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Marguerite Pilven

Marguerite Pilven

Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Marguerite Pilven

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    Carmit Gil, Mandalas & Roundabouts

    Il y a 13 ans

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    Carmit Gil, Mandalas & Roundabouts
    On serait tenté, en se remémorant l’ensemble des travaux proposés par Carmit Gil, de les rapprocher de cette définition de l’art comme « transformation spirituelle de la matière » énoncée par Théo Van Doesburg, fondateur de l’art concret.
    Opérant un travail de réduction sur des objets du quotidien, l’artiste en propose une vision épurée qui les redessine avec force dans l’espace environnant et attire notre attention sur leurs qualités formelles. Le Bus qu’elle a exposé lors de la Biennale de Venise en 2003 était de ce point de vue tout à fait exemplaire.: libérée de sa carrosserie, l’armature se déployait dans l’espace en un réseau de lignes soulignant les qualités spatiales de ce trivial moyen de transport.

    Les nouvelles pièces exposées montrent que loin d’être une fin en soi, ce travail de réduction minimaliste des objets est plutôt le point de départ de leur réappropriation imaginaire et symbolique. L’analyse des formes et de leurs composantes autorise l’artiste à les modifier pour y introduire des variations significatives, tout en conservant de l’objet initial sa logique d’ensemble.
    Travaillant cette fois-ci exclusivement à partir d’objets circulaires, Gil prélève des systèmes graphiques issus du design urbain, comme celui des enjoliveurs ou de plaques d’égout auxquels elle intègre des idéogrammes naturels (fleurs, étoiles) ou religieux, comme l’étoile de David ou la croix.

    Si le mandala tibétain est directement évoqué par l’artiste, il est intéressant de noter, par delà cette influence spécifique, que la forme circulaire est pour nombre de traditions spirituelles et religieuses symbole d’union et d’harmonie. Ce caractère inclusif attribué au cercle se retrouve dans l’emploi qu’en fait Carmit Gil : différents niveaux de réalité coexistent qui, par le biais d’analogies formelles, fusionnent en un ordre plastique nouveau et polysémique.
    En faisant tenir ensemble des esthétiques contradictoires, Gil confronte également le double héritage qui nourrit l’ensemble de son travail : l’abstraction géométrique et une tradition ornementale très présente dans la culture orientale.

    Roundabouts
    Carmit Gil’s Mandalas
    Galerie Frank Elbaz, Paris


    Communiqué de presse pour la galerie Frank Elbaz, 2005
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    Thème : Arts plastiques
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    Carmit Gil, Gallery Carpet

    Il y a 13 ans

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    Carmit Gil, Gallery Carpet
    L’artiste israélienne Carmit Gil a présenté à la dernière Biennale de Venise son Bus, une armature du transport en commun de même nom, dépouillée de sa carrosserie pour être exhibée, peinte en rouge.

    Pour sa première exposition personnelle, galerie Frank, Carmit Gil habite les lieux avec une installation spécialement réalisée pour l’événement : Gallery Carpet.

    Rien devant nos yeux lorsque nous poussons la porte, c’est vers le sol qu’il faut regarder pour voir ce « tapis de galerie » composé d’une surface plastifiée orange et de pièces de bois qui, une fois assemblées, forment des éléments décoratifs. Cette frise de fleurs stylisées courant sur les côtés du rectangle coloré évoque les traditions décoratrices maghrébines comme l’enluminure juive ancienne.

    Curieusement, ce tapis ne contient aucune composante textile, il est fabriqué avec des matériaux qui lui sont étrangers et revêt de ce fait un statut particulier : c’est une proposition plastique insistant sur les qualités formelles de l’objet. Le tapis, c’est d’abord ce qui délimite un espace, un territoire. Le cadre constitué de pièces de bois tridimensionnelles met l’accent sur ses qualités architecturales.

    Indissociable des cultures nomades de l’Orient et de l’Extrême-Orient, façon pour les peuples d’habiter le sol avec son esthétique et ses symboles, cet objet renvoie à l’idée d’une appropriation de l’espace. Le tapis est aussi un élément essentiel de la convivialité que l’on trouve même dans les maisons aux intérieurs les plus sobres. C’est un espace d’accueil et de partage, facteur de lien social. Les pièces en bois évoquant la structure du puzzle renvoient aussi à cet aspect collectif.

    Le tapis investit donc toujours l’espace d’une charge affective supplémentaire. Il singularise le lieu, induisant parfois des comportements comme celui d’enlever ses chaussures, geste par lequel on signifie son respect des lieux. La galerie où l’on découvre le travail de l’artiste apparaît ainsi comme un espace de rencontre.

    Carmit Gil
    Gallery Carpet
    Galerie Frank Elbaz, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Sarah Dobaï & Dan Hays

    Il y a 13 ans

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    Sarah Dobaï & Dan Hays
    La nouvelle littéraire est le format à partir duquel Sarah Dobaï a réalisé l’ensemble des portraits exposés. Les titres, Lorraine as Cora, Patrick as Billy, accolant le nom du modèle au personnage qu’il représente, renseignent déjà sur la nature de ces portraits, à cheval entre fiction et réalité.
    Ces deux photographies composent la série de Two on a Party, histoire de Tennessee Williams, d’un jeune garçon et une femme d’âge mûr que la précarité, la fuite en avant perpétuelle, poussent à s’associer en un couple bancal. La nouvelle de Williams qui procède d’un constant mouvement de va et vient entre Cora et Billy et s’inscrit toute entière dans la réalité produite par ce couple est évoquée par la photographe en une confrontation de leurs portraits, engageant les figures en un jeu d’opposition de sexes, d’âge et de physionomie.

    Mais les deux portraits se répondent essentiellement par une même vulnérabilité physique. La rougeur des peaux trahit le malaise du jeune garçon assez gauche, dont la peau de blond s’empourpre si facilement, et l’alcoolisme de la femme dont les yeux gonflés sont décrits par Williams comme « deux œufs pochés dans une mer de sang ». Les postures, les regards, les mains ajoutent encore à l’éloquence de ces portraits. Des doigts nerveusement croisés du garçon au geste de la femme se tortillant une mèche de cheveux.
    Bien que l’éloquence des photographies y soit pour beaucoup, on est aussi retenu par la forte présence des personnages. Un travail attentif de la lumière incarne dans le détail leur carnation, l’étoffe des vêtements. On songe également, par l’attention portée par la photographe à la composition et aux postures corporelles des modèles, à toute une tradition picturale du portrait, de Vélasquez à Géricault.

    Les photographies réalisées d’après les nouvelles de Carver condensent également à travers leurs nombreux détails de mise en scène et d’ordre sensible un ensemble de données narratives qui en renforcent le côté cinématographique. Ces fragments de récit semblent toujours pris entre un avant et un après qui conduit à en prolonger la vision par des projections imaginaires.
    A la manière de ces écrivains capables de décrire avec une précision de scénariste des attitudes et des comportements, Dobaï livre en ces images synthétiques et denses des pans d’histoire, quelques thèmes typiques de la littérature et du cinéma américain.

    Le peintre anglais Dan Hays peint depuis son atelier des paysages du Colorado, vus à travers une webcam. Ces images sont le fruit d’une recherche ludique de l’artiste effectuée sur internet à partir de son nom et prénom. Il découvre ainsi les images de son homonyme, un sénateur américain ayant placé des webcam en divers endroits de sa propriété afin de pouvoir la contempler de son bureau. Anecdote, peut-on dire, mais qui rappelle l’intérêt porté par l’artiste aux images triviales de pauvre définition à partir desquels les désirs sont néanmoins mis en scène, ici peut-être, ceux de maîtrise ou de possession.

    Mais cette matière première est aussi choisie pour sa surface, dont le peintre rehausse, par petites touches de couleurs vives la division des pixels, la trame particulière de l’image sur écran en une sorte de fauvisme numérique hypnotique. Disposées côte à côte, les différents tableaux composent une grille où sont présentées plusieurs vues simultanées du même paysage. Des tentes et des camping-car apparaissent régulièrement sur cette étendue naturelle que ferment des montagnes. Le titre, Colorado Pioneers, renvoie d’abord aux mythes américains de la conquête de l’Ouest, de la frontière entre nature et culture. Cette idée de conquête de nouveaux espaces est redoublée par le recours même du peintre aux nouvelles technologies qui prennent le relais de la perception naturelle et lui permettent de peindre non pas sur le motif, mais de son atelier à Londres. Les vues plongeantes, panoramiques, multipliant les points de vues sur un même endroit excèdent la perception naturelle, relevant plutôt d’un dispositif semblable à celui de la vidéo surveillance. La peinture de paysage trouve ici de nouveaux territoires.

    Sarah Dobaï & Dan Hays
    Galerie Zürcher, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

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    Léo Delarue

    Il y a 13 ans

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    Léo Delarue
    Les sculptures de Léo Delarue investissent actuellement de leur présence organique la galerie Zürcher.
    Détour évoque par son titre les mouvements contradictoires de la matière. Des tuyaux de douche recouverts d’aluminium serpentent sur le sol, étouffant entre leurs anneaux une masse informe et plâtreuse. Au lieu de se déployer du centre vers la périphérie, comme c’est le cas pour une conception classique de la sculpture, l’œuvre se ramasse au contraire sur elle-même en une étreinte violente.

    Non loin de celle-ci, faite de semblables matériaux, une autre sculpture oppose à la première son rayonnement vers l’extérieur et sa cadence régulière, animée de pleins et de vides, dessine une structure plus aérienne, que maintiennent des membranes en plastique transparent terminées par des ventouses.

    Un vocabulaire plus physique, plus organique encore est à l’œuvre dans la vingtaine de petites sculptures en terre posées côte à côte, directement sur le sol, évoquant tour à tour des viscères, des animaux marins ou des étrons pondus par un animal étrange. Ces formes anti-sculpturales contiennent quelque chose de primaire et de régressif. Composés de fins boudins de terre tressés, ourlés, enroulés, les volumes de terre se contorsionnent à nos pieds, évoquant avec autant de force des formes naissantes ou agonisantes.

    Une autre sculpture intitulée Impatiences est toute en protubérances et boursouflures, comme prête à éclater. Sa surface animée de mouvements ondulatoires est brillante et rouge, attrapant ça et là la lumière. Obscène comme une langue épaisse, elle est traversée de tuyaux en plastique renvoyant autant à des organes respiratoires que digestifs. Dressée péniblement sur quatre petites pattes, cette masse informe a quelque chose de grotesque.

    Le vocabulaire de Léo Delarue, multiple et protéiforme, se développe avec inventivité. Sa prédilection pour les matières malléables comme le silicone, le latex ou la résine la conduit à réaliser des formes hybrides qu’elle maintient à un degré d’inachèvement, dans l’opacité et les désordres de la matière.
    Un humour traverse également tous ces travaux, notamment par la façon dont ces œuvres tiennent parfois sur un équilibre fragile et dont la matière respire ou se rétracte comme un animal, évoquant un univers amorphe en pleine mutation.

    Léo Delarue
    Galerie Zürcher, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
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    Nicolas Darrot, Journal des enfants-loups

    Il y a 13 ans

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    Nicolas Darrot, Journal des enfants-loups
    Écrit dans les années 20, le témoignage d’un révérend anglais ayant recueilli deux fillettes élevées par des loups au fond d’une termitière fournit le point de départ du nouveau travail de l’artiste. Ni vraiment humaines, ni totalement animales, leur description fait se croiser les deux règnes de façon troublante.

    Montée en trophée de chasse, la tête d’un sanglier immaculé accueille le visiteur. En plus de son caractère avenant, consternant pour un tel animal, ses yeux et sa gueule s’animent. Autre hiatus : le sanglier parle, il ne grogne pas. Bien que le message demeure incompréhensible à nos oreilles profanes, un autre plus implicite semble vouloir dire : ici commence un territoire intermédiaire où les frontières entre genre humain et animal se délitent.

    Les grognements sourds d’Amala, prénom donné à l’un des enfants par le révérend, ne tardent pas à donner la réplique à notre sanglier sympathique. Mais ici point de visage, point de regard. Une fourrure polymorphe nous fait face, de laquelle émergent des mâchoires humaines plus proches pourtant de la gueule que de la bouche. Cet organe assumant tour à tour chez l’homme la formulation du logos et une fonction prosaïque de subsistance n’est-il pas l’un des plus représentatifs de notre double nature ?

    La présence de la Louve dont la fonction d’allaitement est matérialisée par un circuit luminescent focalise encore notre attention sur la bouche comme vecteur de communication, de ce qui entre et sort. Évocation de la tendresse maternelle commune aux mammifères ou allusion au stade oral décrit par Freud, moment où l’ingestion d’aliments et la satisfaction sexuelle se confondent ?
    A travers la thématique physique de la bouche/gueule, Nicolas Darrot met en branle un jeu d’ambivalences, la labilité des métamorphoses autorisant ce va et vient graduel de l’homme à la bête où se télescopent de façon constante les indices de leur différence et de leur proximité.

    Les délicats pictogrammes luisant doucement dans une obscurité partielle représentent Kamala. Contrairement à la cadette Amala, n’ouvrant la bouche que pour boire et manger, l’aînée franchira le seuil décisif du langage, basculant de ce fait vers l’humain, le civilisé. La luminosité des pictogrammes ne fonctionnant que par intermittence pour s’évanouir à nouveau dans l’obscurité évoque la fragilité de cet acquis. Kamala ne survivra guère plus longtemps que sa sœur à ce double déracinement.

    Le témoignage du révérend Singh est avant tout le récit d’une métamorphose impossible, d’un combat tragique avec la nature humaine que Darrot place ici sous le signe du Cerf, animal assimilé dans l’iconographie religieuse médiévale au Christ en croix, autre figure divisée entre sa double nature.
    Cet automate intitulé Macrotermitinae fait figure d’élément central. Sagement tapi sous un voile transparent, son corps se meut par paliers, en un mouvement ascendant pour se figer verticalement. La tête du cerf se tourne entièrement vers le haut et le voile ainsi tendu prend la forme d’une termitière géante, rappelant le lieu d’origine et la métamorphose des enfants-loups.

    Ce mouvement d’érection, associé à la symbolique puissante de l’animal n’est pas sans faire penser à quelque cérémonie rituelle chamanique, dimension à laquelle participe l’automate représentant le révérend. Manipulée comme une marionnette par un bras mécanique l’arrachant au sol pour le faire retomber, la figurine en transe est soumise au caprice d’une volonté extérieure. Au fond de la galerie, des lettres fixées à des baguettes mobiles, dont l’agencement décrit alternativement les mots « apesanteur » et la «.peur sainte », rythment ce ballet complexe des automates.

    Maniant avec inventivité et poésie les éléments clés du Journal des enfants-loups, Nicolas Darrot inscrit le témoignage singulier du révérend Singh dans un récit plus vaste d’ordre mythologique. Circulant à travers ce dense réseau de symboles, des analogies apparaissent, qui de la fable de Diane et Actéon au happening de Joseph Beuys se confrontant à un coyote ne cessent d’exprimer notre fascination pour le règne animal en ce qu’il représente, sans doute, la part la plus obscure de l’homme.

    Pour Paris-art, 2006
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Saville, Lucas, Chapman... Collecting British

    Il y a 13 ans

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    Saville, Lucas, Chapman... Collecting British
    Est-ce un défi de collectionner anglais aujourd’hui ? La collection Saatchi, de célébrité internationale après la très médiatique — et polémique — exposition Sensation a montré à la Royal Academy de Londres les travaux iconoclastes de ces Young british artists (nés dans les années 1960) qui remuent les sensibilités.

    Les travaux de Jenny Saville et Sarah Lucas infligent à la représentation du corps féminin des entorses significatives. D’impitoyables visions remplacent les dispositifs traditionnels de mise en valeur de ses charmes. Lorsque Sarah Lucas expose en 2000 une photographie intitulée Woman in a Tub, elle s’inscrit dans le sillage d’une tradition picturale qui a proposé des variations multiples de ce thème. Mais à la place d’une femme se livrant paisiblement à ses ablutions, un cintre recouvert d’un débardeur blanc sur lequel sont fixés deux citrons à hauteur des seins fait office de baigneuse. Un corps de poulet avec les pattes écartées pend du vêtement. L’assemblage d’objets prosaïques transforme le corps en un fétiche grotesque, prêt à la consommation.

    Jenny Saville a réalisé une série photographique, en collaboration avec Glen Luchford, intitulée Closed Contact. Elle se fait photographier totalement nue, le corps écrasé sur un verre, compressé. On le perçoit dans toute l’épaisseur de sa chair, ses plis, ses bourrelets, sa lourdeur. Les parties charnues du ventre et des seins s’étalent contre le verre en tranches de chair amorphes, s’exhibant directement à la surface de l’œuvre.
    Entre l’esthétique de photographie médico-légale et la performance, cette image de nu féminin, plus morbide qu’érotique livre en pâture le corps de manière si puissante et tactile qu’elle donne une sensation d’étouffement. La présentation de la photographie, montée sur un caisson de plexiglas donne l’impression que le corps est contenu dans une boîte, un aspect qui rappelle les propositions plastiques du chef de peloton anglais, Damien Hirst.

    En se mettant de la sorte en scène dans leurs oeuvres, les deux femmes affirment une position engagée et revendicatrice. Sarah Lucas s’empare d’attributs masculins en se montrant, sur un autoportrait, debout les jambes écartées, avec un long poisson placé sur l’épaule à la manière d’un boa. Bien qu’associé au sexe féminin, Got a Salmon on, qui est le titre de cette photographie, signifie aussi en argot anglais « avoir une érection ».
    Cette dimension androgyne ou confusion des sexes intéresse également Saville, qui photographie des transsexuels, ces sujets au corps hybridé par le recours à des implants en silicone.

    L’hybridation des corps apparaît également dans les travaux de Jake & Dinos Chapman, duo d’artistes choc qui exposait, lors de Sensation, des mannequins d’enfants siamois se faisant l’amour entre les arbres d’un jardin, les deux moitiés intimement imbriquées autorisant les positions sexuelles les plus hardies. Une sculpture intitulée Peep Show place un mannequin nu dans une large caisse. Le petit trou percé sur un des côtés de la boîte laisse passer les palpitations lumineuses d’un stroboscope placé à l’intérieur et interpelle le regard. Une fois en position de voyeur, on voit le mannequin pivoter sur lui-même, le corps traversé de phallus en érection.
    Ce télescopage indécent frappe par sa concision, proposition vulgaire tellement directe qu’elle coupe court à toute escapade interprétative. On est comme devant un constat lugubre qui a pris la forme d’un collage déjanté : le voyeur s’y retrouve, réfléchi en position de parasite suceur de sang. Le mercantilisme sexuel est évoqué dans nombre des propositions hyperboliques des Chapman.

    La peinture anglaise est également représentée dans cette exposition, tableaux et série d’aquarelles de Cecily Brown à la fois iconoclastes et inscrits par leur facture et leurs thèmes dans la tradition des maîtres de la peinture anglaise. L’artiste reprend par exemple dans ses aquarelles le détail d’une composition de William Hogarth qu’elle décline en un jeu de variations plastiques, parfois à la limite de l’abstraction. On retient également parmi les peintures exposées un intérieur de Dexter Dalwood d’ambiance étrange et une version peinte du personnage de Tarzan par Sophie Von Hellermann qui flirte avec la naïveté du Douanier Rousseau.

    Saville, Lucas, Chapman...
    Collecting British
    Galerie de France, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
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    Alain Bublex, Unbuilt

    Il y a 13 ans

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    Alain Bublex, Unbuilt
    Alain Bublex a toujours été séduit par la ville : sa concentration d’activité, la densité de son architecture sont les sujets de prédilection à partir desquels il travaille et propose des idées ludiques, loufoques, ou parfois provocantes.
    En 1998, il suggérait ainsi d’investir l’espace urbain saturé en y implantant des « UMH, Unités Mobiles d’Habitation, ou volumes habitables légers aux structures métalliques et larges baies vitrées ». L’idée originale est de Peter Cook et Bublex lui donne corps sous la forme de maquettes et de montages photographiques.

    Bublex reprend des projets non construits (Unbuilt) pour leur donner une visibilité avec des images fictives. Il s’intéresse aussi au projet de Le Corbusier qui prévoyait, dans les années 1930, de réaliser le plan urbanistique pensé par l’industriel Gabriel Voisin. Ce dernier proposait de reconstruire intégralement le vieux centre historique de Paris, en dégageant ses axes de circulation. Les espaces d’habitation étaient reconstruits en tours de 50 mètres de hauteur, et l’activité commerciale déplacée en périphérie de la ville.
    Bublex réalise, en suivant les notes établies par Voisin, un plan de ce que serait aujourd’hui Paris si le projet avait vu le jour. Il combine pour cela des photographies de grands axes périphériques à des dessins numériques par lesquels il greffe du possible sur le réel.

    Un hommage est également fait à cet autre inventeur de formes qu’est Philippe Stark par un dessin épuré d’urbaniste reproduisant avec exactitude une rue située à Issy-les-Moulineaux. D’après Bublex, Stark aurait projeté de se l’approprier en la reconstruisant totalement. Mais ici, point d’intervention matérialisant le fantasme, la rue est représentée telle qu’on peut la voir actuellement. Bublex semble simplement vouloir pointer l’absence de plan d’ensemble qui la caractérise, l’état d’indécision dans lequel elle est semble suspendue. Il y a des vides entre les habitations, un ciel immense, autant d’espaces béants attendant d’être remplis par quelque idée de construction audacieuse.

    En reprenant des projets qui n’ont pas eu de portée effective sur le réel, Bublex fait un peu comme Michelet qui prétendait redonner la voix à ceux que l’Histoire n’avait pas entendus. Recourant aux possibilités virtuelles de l’image, il redonne vie à des projets que le cours trop sage du monde n’a pas retenus.

    Alain Bublex
    Unbuilt (Tous les Bouvard n’ont pas la chance de trouver leur Pécuchet)
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
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    Elvire Bonduelle, Non Non Non

    Il y a 13 ans

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    Elvire Bonduelle, Non Non Non
    Non Non Non… Elvire Bonduelle ne se livrera toujours pas au bon sens. Voudrait-elle au moins faire un effort ? Elle invente des coussins qui sont comme des cales, triangulaires et imprimés faux bois pour donner, malgré tout, un peu de tenue à son grand corps dégingandé. Mais c’est compter un peu vite sur la demoiselle qui, avec malice, se ménage aussi la possibilité de les adapter à ses poses alanguies. Comme dans un tour de passe-passe, elle les assemble en diverses configurations qui oscillent entre l’ordre et le désordre, l’homogène et l’hétérogène.

    Devant ces propositions à l’équilibre fragile, on se demande lequel de ces deux éléments, corps ou coussin-cale, a dû s’adapter à l’autre pour parvenir enfin à un point d’harmonie ! Car même s’ils sont mous, les coussins de forme triangulaire restent assez peu adaptés aux courbes du corps. Au final, on ne saura jamais vraiment si Elvire s’y love ou s’y cale.

    Il semblerait qu’à travers ses propositions absurdes, comme avec cette vidéo intitulée Il faut que je m’assouplisse, Elvire flirte constamment avec l’idée de conditionnement, et d’adaptation aux lois sociales. En travaillant cette tension entre des formes géométriques et organiques, qui est une problématique classique de la sculpture, Elvire file l’air de rien la métaphore d’un monde dur et hostile qu’il s’agit de rendre plus confortable.

    Elvire s’agite aussi dans des films d’animation réalisés par ses soins. Elle bricole des éléments de décor avec du carton pour décrire ses maladresses et menus malheurs domestiques. Et bien qu’elle finisse par conclure qu’il faut « se détacher des petites choses », l’enfer se situe encore du côté de ces objets sur lesquels elle n’a pas prise.
    Les propositions d’Elvire Bonduelle prennent également la forme de comptines semi-innocentes qu’elle chantonne sur des musiques sautillantes et acidulées, composées et jouées au synthétiseur par son ami et complice Séverin Tézenas. Sur l’un des clips les accompagnant, son corps se trémousse avec une maladresse enfantine, au milieu de nuages, dans un monde aérien qui a l’avantage de ne pas être étriqué.

    La thématique du corps est omniprésente dans les propositions d’Elvire. Ses éléments de mobilier ou obstacles pour faire de l’exercice physique sont autant de propositions à la fois ironiques et thérapeutiques tournant autour d’un même sujet : l’entrée dans l’âge adulte et l’esprit de sérieux. Comme pour retarder le passage obligé dans la raideur de ce monde, Elvire emprunte, avec une pointe d’humour et de provocation, les sentiers de la régression. Par de constantes allusions à la petite enfance, elle évoque un stade où l’on se confronte encore au réel par le biais d’objets transitionnels.
    Des rideaux sont imprimés avec les lettres KK de couleur marron et PP (pie grec deux fois) de couleur jaune, couleurs que l’on trouve également dans les coussins-cales. La pièce intitulée Lit d’ami se compose quant à elle d’un matelas découpé en étoile et recouvert d’une housse jaune pipi, avec, posé en son centre telle une offrande, une couette et un oreiller marrons mis en forme d’étron géant.

    Qu’on ne se méprenne donc pas sur l’évidence de ces pièces qui, derrière une naïveté de façade, s’avèrent plus ambivalentes qu’on ne pourrait le penser.

    Elvire Bonduelle
    Non Non Non
    Galerie DedibY, Paris


    Pour la galerie DedibY, 2006
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    Thème : Arts plastiques
  • Julien Berthier & Virginie Yassef, Everything’s gonna be all right
    La galerie Vallois consacre sa nouvelle exposition aux travaux de deux jeunes artistes récemment diplômés de l’école des Beaux-Arts : Julien Berthier et Virginie Yassef.
    L’efficacité de leurs œuvres tient dans la brièveté de leur proposition, dans un jeu de rapports éclairs entre l’œuvre et son titre jouant sur des glissements de significations.

    Dans les vidéos de Virginie Yassef réalisées lors d’une résidence à Pékin, le titre fonctionne en contrepoint de ce que l’on voit. À la lumière du titre Dragon, la pelleteuse dont l’artiste filme les déplacements sur un chantier, charriant du sable entre les dunes, prend des allures d’animal préhistorique avec son long cou mécanique.
    Spiders filme les déplacements d’un ouvrier tirant un câble électrique, entre deux autres sur lesquels il tient en équilibre avec ses jambes et ses bras. Yassef concentre la séquence sur les mouvements gracieux et habiles de l'homme, au-dessous duquel circulent les automobiles. Sensible à la concentration urbaine de Pékin, elle semble vouloir en isoler des actions pour se concentrer sur leur rythme et leur déploiement spécifique dans l’espace, à la manière d’un chorégraphe.

    Avec sa pièce Billy Montana, Yassef recycle la célèbre étagère Ikea de même nom, intercalant entre les planches de plexiglas qui la composent d’autres planches colorées. Elle en sature l’espace jusqu’à la rendre inutilisable. L’étagère s'assimile ainsi à une colonne verticale, évocant les travaux du sculpteur minimaliste Donald Judd. Par cette intervention simple et identifiable, Yassef se réapproprie l'objet manufacturé pour le détourner de sa fonction ustensilaire, tout en prenant cette fonction au pied de la lettre (une étagère étant conçue pour être remplie). Plus qu'une proposition absurde, il s'agit d'une stricte tautologie plastique qui n'ajoute ni ne retranche rien aux propriétés de l'objet, mais les fait voir différemment.

    Les travaux de Julien Berthier jouent aussi de ces décalages entre une réalité donnée et sa transformation par le biais de petites interventions. Dans la photographie Goudarchitecture, l’artiste a glissé une curieuse maisonnette, fabriquée avec le fromage de même nom, entre les autres habitations composant la vue panoramique urbaine. Le titre, jeu de mots à tiroirs, précise en passant que la proposition est good.

    « Everything’s Gonna Be all Right », nous assure d'ailleurs l’artiste, que l’esprit d’invention pousse, depuis 2000, à proposer ses Machines Berthier pour améliorer notre quotidien. On retrouve ici le protoype grandeur nature de sa Para Site, réalisée en matière éponge bleu ciel ! Ce véhicule d’aspect étrange serait destiné, d’après les mots de son concepteur, à « créer un nouveau rapport au déplacement urbain tout en redonnant sens à la notion de communauté ». Le principe : une voiture qui puise son énergie en se branchant chez les commerçants ou les voisins, et qui par le seul fait de cette dépendance électrique, contribue au « resserrement du tissu social ».

    Une série de dessins permet de prendre connaissance des autres inventions de notre artiste ingénieur, parmi lesquelles des propositions de façades cache-misère destinées à masquer un immeuble banal, façon « grec antique », « saloon » ou « titanic ». On y apprend aussi par le biais d’un mode d’emploi comment déposer un cadeau dans une voiture fermée à clé, comment faire grincer les portes des maisons de campagne neuves, ou comment inaugurer de nouveaux rapports dynamiques entre une chaise et le sol en taillant en allumettes les pieds de la chaise et en recouvrant le sol de grattoirs. On n’arrête pas le progrès !

    Les oeuvres des deux artistes puisent avec finesse dans l'héritage de l'art conceptuel dont ils détournent la rigueur à des fins humoristiques. La logique de ces facécies est en effet toujours circonscrite à un geste ou à une proposition unique. Virginie Yassef et Julien Berthier jouent avec les catégories logiques qui régissent notre approche pratique du quotidien ou notre langage. Le prétexte de départ de l'oeuvre semble parfois tenir à une association d'idées ou à un jeu de mots. Une occasion de s'amuser avec esprit.

    Julien Berthier, Virginie Yassef
    Everything’s Gonna Be all Right
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Boris Achour, Conatus (pilote)

    Il y a 13 ans

    / Articles

    Boris Achour, Conatus (pilote)
    Actif depuis 1993, l’artiste Boris Achour ne cesse de passer d’un medium à un autre. Il s’en explique lors de nombreux entretiens en présentant cette hétérogénéité comme un « jeu de déplacement permanent ». Privilégier l’énergie du devenir aux formes réifiées et l’investigation à la posture dogmatique, beau programme, certes, mais qui n’empêche pas de nous donner envie de dire qu’on connaît la chanson…
    Mais surprise à la galerie Vallois où l’artiste a donné à sa pensée la forme séduisante d’une constellation de mobiles. Cette nouvelle proposition synthétise, sans pour autant les capitaliser, des paramètres depuis longtemps à l’œuvre dans son oeuvre.
    La structure des sculptures - principalement des mobiles - s’accorde à la démarche de l’artiste qui se veut en mouvement perpétuel. Leur équilibre instable ne tient d’ailleurs parfois qu’à un tour de sparadrap !

    Les éléments suspendus par des crochets à l’armature du mobile se présentent comme des constellations précaires, des configurations possibles mais jamais nécessaires. Ils apparaissent en effet d’un mobile à l’autre, en d’autres configurations qui signalent leur caractère interchangeable : « ou bien…, ou bien », tel est le credo de l’artiste.

    En faisant tenir ensemble des formes qui renvoient à des univers aussi différents que l’art minimal ou la science-fiction, la structure arborescente de ces mobiles fait aussi songer à la pensée rhizomatique développée par Deleuze, qui fascine de toute évidence l’artiste.
    Intitulée Conatus, l'exposition fait aussi explicitement référence à Spinoza. Ce concept souligne la joie que procure au sujet le fait de s’accomplir à travers des actes. Le caractère bricolé des mobiles souligne d’emblée ce plaisir de la trouvaille issu du maniement de matériaux a priori sans intérêt. Qui eut cru, par exemple, qu’on puisse réaliser la parodie convaincante d’une sculpture cinétique en agençant des pailles entre elles ? Le fait de recourir à des matériaux triviaux pour les transformer en des propositions plastiquement intéressantes focalise l’intérêt de l’œuvre sur l’acte créateur qui s’assimile à leur réappropriation joyeuse, à une forme d’intelligence en acte.

    De ce point de vue, on repense aux Actions peu. En 1993, l’artiste alors en mal de galerie réalisait de petites interventions dans la rue, de manière tout à fait minimale et précaire, essentiellement motivé par cette idée d’exister par l’acte.
    Trouver les actes justes qui nous accomplissent, telle était déjà l’idée de Boris Achour, qui préférait à la solitude de l’atelier une démarche affirmative d’inscription de soi dans l’espace public, ne serait-ce que pour y faire bouger des choses infimes. Car à quoi cela sert-il d’être artiste si l’on ne s’inscrit pas dans le monde ? Les Actions peu, ou « Deviens ce que tu es… »

    Cinquante neufs néons disposés sur les cimaises de la galerie forment les mots : Conatus (pilote). Ils correspondant aux cinquante neufs jours que dure l’exposition et s’allument un par un, chaque jour. Allusion, peut-être, au dispositif de la série télévisée se dévoilant dans le temps, mais aussi à cette forme dynamique de la connaissance dont il est question dans l’éthique spinozienne.

    Bien que cette nouvelle exposition paraisse se distinguer des précédentes par le recours à des formes non existantes, Achour ré-inscrit malgré tout celles-ci dans le contexte d’un prélèvement.
    Une vidéo nous le montre puisant un à un, comme dans un réservoir de formes, les éléments qui figurent sur les mobiles, comme ceux d’un jeu de construction. Manière de court-circuiter à nouveau l’illusion d’une création qui aurait été faite ex-nihilo. Achour ne fait que rejouer les recherches plastiques antérieures d’un Donald Judd, d’un Franz West ou d’El Lissitzky, pour y superposer les siennes. Il souligne l’apport de ces artistes, connectant sa recherche «d’ici et maintenant» à l’histoire polyphonique des formes.
    Cette tentative de dilatation de «l’ici et maintenant» génère d’ailleurs ces sculptures parodiant une préhistoire des formes : stalactite en polyuréthane, reliefs géographiques d’avant la formation des continents jouxtant des motifs futuristes aux réminiscences de 2001 Odyssée de l’Espace.
    Rigueur et poésie, humour et philosophie se conjuguent dans cette folle odyssée spatio-temporelle à travers les formes de l’art. Le spectateur s’embarquera aux côtés du pilote, si toutefois, il veut bien se prêter au jeu.

    Boris Achour
    Conatus (pilote)
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2006
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    Thème : Arts plastiques