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Marguerite Pilven

Marguerite Pilven

Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Sandrine Pelletier, Damoisie

    Il y a 12 ans

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    Sandrine Pelletier, Damoisie
    Diplômée de l’école cantonale de Lausanne (ECAL), Sandrine Pelletier a participé en 2003 à l’exposition Signes des écoles d’art, organisée par le centre Georges Pompidou. Elle y exposait dans un intérieur anglais typiquement cosy et reconstitué par ses soins des broderies représentant des wild boys, adolescents issus du milieu ouvrier anglais que le désoeuvrement conduit à organiser de sanglants combats derrière la maison de leurs parents. En plaçant les images brodées de ces acteurs et de leurs combats dans des cadres dorés, au- dessus du lit ou de la cheminée, l’artiste faisait entrer comme par effraction dans le salon familial cette réalité brutale.

    Pelletier poursuit cette réappropriation d’objets familiers, les prélevant cette fois-ci du monde suranné des grands-mères. L’artiste se glisse d’autant mieux dans leur univers qu’elle manie à merveille la broderie et le crochet, mais le fil qu’elle tire la rapprocherait plutôt de ces ouvrières tisseuses que sont les araignées, faisant proliférer leur ouvrage à l’ombre des ménagères. C’est de façon arachnéenne qu’elle attrape des fragments de réalité pour les jeter en pâture à son imaginaire redoutable. Les caniches, compagnons fidèles comblant le vide affectif de nos grands-mères se convertissent, une fois passés au crible de son humour grinçant, en créatures spectrales et diaboliques tandis qu’un dentier quitte inopinément son antre discret pour aller s’exhiber, fendu par le rire, sur une tapisserie.

    La moisissure gangrène également le salon propret de ces dames, qui répand sur les murs sa présence organique inquiétante. Comme par un effet de contamination, les objets alentour se dotent d’une substance corporelle douteuse les travaillant sournoisement. Les tissus prolifèrent en de secrètes métamorphoses dont la sculpture tentaculaire, Mademoiselle, semble être la triomphale éclosion. Le visiteur est physiquement invité à se joindre à ces jeux de frottements obscènes : au lieu de bénéficier d’un traditionnel livre d’or, il posera confortablement son derrière sur un portrait brodé de l’artiste pour délivrer ses impressions par téléphone, sur sa messagerie personnelle.

    Sandrine Pelletier
    Damoisie
    Galerie Frank Elbaz, Paris


    Communiqué de presse pour la galerie F. Elbaz, 2005
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Laurent Pariente

    Il y a 12 ans

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    Laurent Pariente
    Une grande installation faite de murs blancs recouverts de craie bouleverse l’espace de la galerie Frank Elbaz. A peine avons-nous poussé la porte que nous sommes rejetés à la périphérie de son habituel espace de circulation. Le nouveau dispositif de Laurent Pariente nargue ainsi le visiteur, le faisant patiemment contourner des murs blancs avant de l’introduire, par une ouverture située à l’exact opposé de l’entrée, dans un nouvel espace.

    Le goulet menant au cœur de la structure donne l’impression d’être absorbé par les murs, puis l’espace se dilate à nouveau, redistribué autour des piliers de la galerie. L’absence d’angle droit dans cette chambre close ajoute à notre sensation de déroute. Où que l’on se place, l’espace semble nous contenir, mais cette sensation contraignante cède progressivement devant la lumineuse blancheur des murs. Recouverte de craie, leur surface absorbe intensément la lumière et convertit ces pans lisses en une surface vibrante et sensible.

    Ce ne sont pas les plâtres qu’on essuie, dans ce non-lieu qui bouleverse nos rapports à l’espace. Comme pour mieux nous rappeler l’ambiguïté qui se crée entre intérieur et extérieur, contenant et contenu, et sur laquelle reposent nos sensations physiques altérées, il arrive que des visiteurs repartent avec un peu de craie sur les vêtements…

    Dans le prolongement de ce dispositif sont également exposées des œuvres de l’artiste réalisées sur des plaques de laiton, de cuivre et de zinc. Pariente écorche, biffe vigoureusement leur surface, marquant des passages, de nouvelles circulations dans ces plaques auparavant homogènes. Par l’amplitude de ses gestes, il cherche encore à investir l’espace, à l’habiter.

    Laurent Pariente
    Galerie Frank Elbaz, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Audrey Nervi, Do you Remember me ?

    Il y a 12 ans

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    Audrey Nervi, Do you Remember me ?
    Les tableaux réalisés par Audrey Nervi se déploient au rythme de voyages par lesquels elle prend conscience d’une réalité autre et dont elle photographie les aspects qui la touchent ou la frappent. Cette mise en mouvement du corps et du regard est présentée par l’artiste, se disant «.incapable de peindre » à partir de ce qu’elle voit dans son environnement proche, comme le moteur essentiel de son travail, la condition d’une ouverture à l’autre qui stimule cet acte de peindre.
    De retour à son atelier parisien, elle se réapproprie ces clichés pris à la hâte en les assemblant ou les recadrant, puis en les peignant de manière minutieuse, avec une grande attention portée aux détails.

    Au-delà de leur caractère évident de reportage, ces tableaux rendent surtout sensible un regard, un point de vue sur les choses et le monde qui dépasse les clivages de l’objectif et du subjectif, de l’engagé et de l’intime. La tonalité des peintures effectuées à son retour d’Inde privilégie les lumières d’un gris neutre, une palette de couleurs sourdes et sensuelles. Bien que réalistes, elles ne correspondent guère à cette idée de « couleur locale », si chère à Delacroix de retour de ses voyages. Leur intensité est retenue, le jeu des contrastes atténué. Le simulacre de flou photographique donne parfois l’impression d’une mise au point en train de se faire et rend sensible la question de la distance à tenir avec l’objet.

    Audrey Nervi n’est jamais fascinée, elle opère au contraire des coupes dans le réel, fragmente et isole des objets qu’elle prélève en raison de leur fort pouvoir d’évocation : pompe à essence au design arrogant sur laquelle est écrit en majuscules « Power », vélo adossé contre une palissade, recouvert de jerrican d’eau en plastique, évocation d’une situation de pénurie où l’eau potable se rationne et se vend comme une denrée rare… Ces fragments qui opèrent aussi comme des zoom articulent en un même temps ces mouvements d’appropriation et de mise à distance par lesquels l’image se constitue. C’est ce qui rend par exemple si dynamique ce tableau dont la composition retient une femme allongée contre un mur, dans une rue de Calcutta, à côté de laquelle se trouve une flaque d’eau.
    Son titre, Oasis, peut paraître ironique si l’on songe un instant à la densité bien connue de cette ville, mais aussi poétique, évoquant le moment de répit que prend le personnage, par cette mise entre parenthèses du monde extérieur qu’autorise le sommeil. L’artiste est attentive à cette scène de rue, mais entre aussi en empathie avec le modèle. Cette forme de générosité caractérise aussi la tonalité des travaux d’Audrey Nervi pour qui « le sujet est aussi important que la forme », son « moteur à 50% au moins ».

    Lorsqu’aucun personnage n’est représenté, ce qui est le cas pour beaucoup de tableaux, la vision se concentre sur des objets évocateurs, mis en scène en de micros natures mortes qui prennent sens sur un fond de réalité politique et sociale.
    La série Marche ou Crève alterne les petites compositions isolant une vieille tongue en plastique usée s’enfonçant dans le sable et un cadavre de rat en décomposition. Elle frappe par le décalage entre sa forme minimale et l’éloquence de son message, articulant différents niveaux de lecture qui en densifient la signification. Si elle renvoie aussi bien à des considérations d’ordre écologique que sanitaire, une réflexion plus existentielle travaille également ces vanités contemporaines. Des objets triviaux ou abjects ont remplacé les traditionnelles, et si esthétiques, bougies et têtes de mort pour un constat plus brutal, ancré dans cette « situation pourrie » qui gangrène un pays comme l’Inde. Droit dans le mur, titre d’une autre série, n’est guère plus optimiste. Mais parce que ces tableaux mettent à l’écart une réalité qui serait trop factuelle pour privilégier le point de vue décalé, tout pathos est évacué. La recherche d’une expression qui soit juste, leur mélange de sentiment et de lucidité en font plutôt des propositions profondément humanistes.

    Audrey Nervi
    Do you Remember me ?
    Galerie Frank Elbaz, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Emilie Benoist & Jérôme Zonder, Narratives

    Il y a 12 ans

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    Emilie Benoist & Jérôme Zonder, Narratives
    C’est une même fascination pour le vivant et ses représentations scientifiques qui a motivé Emilie Benoist à présenter ses sculptures et Jérôme Zonder ses dessins chez Eva Hober. Pour l’un comme pour l’autre, l’étude du corps humain a progressivement dépassé le seul enjeu de la représentation pour devenir un sujet d’exploration à part entière et les entraîner dans ce qui peut aujourd’hui s’apparenter à une odyssée de la matière.

    Dès l’entrée de Narratives, le spectateur se trouve au cœur d’un récit qui se déploie autour de lui. Au centre, son double imaginaire Medulla spinalis, figure l’étrange et annonce la traversée des corps qui s’opère dans le lieu, s’appuyant sur une science qui découvre le corps transparent et surtout infini.

    La vision d’ensemble est troublée car la figure centrale, telle un spectre, a absorbé l’ensemble des couleurs sur elle, laissant la matière grise se répandre sur les treize œuvres qui l’entourent. Des dessins à l’encre noire saturés de Jérôme Zonder, aux gris plombés d’Emilie Benoist, la matière même de l’information est manipulée.

    Mêlant leur vision créatrice, Emilie Benoist et Jérôme Zonder invitent à un voyage dans l’imaginaire, à un récit du corps et de sa nature. L’ensemble des pièces qui jalonnent Narratives, comme autant de points dans le temps et l’espace, permettent de prendre la mesure de l’amplitude des mondes qui nous constituent.
    Le cerveau constitue depuis plusieurs années l’objet de prédilection d’Emilie Benoist. Manipulant des produits de consommation courante, elle passe alternativement d’une représentation du cerveau en trois dimensions à sa mise à plat sous la forme de coupes sagittales, entraînant le spectateur dans une traversée fascinante de cet organe où les frontières entre science et imaginaire s’abolissent.

    Cette immersion dans la matière l’autorise à tous les bouleversements d’échelles, pour une perte progressive de repères avec le réel. Sans dessus-dessous est une sculpture reproduisant une dégénérescence cellulaire d’Alois Alzheimer dont l’œilleton placé au centre télescope le spectateur dans un fragment de galaxie. La pièce intitulée Ce Monde poursuit ce va et vient ininterrompu du volume au plan, de l’objet en 3D au paysage étendu. Des feuilles de journaux saturées de graphite gardent en mémoire la trace de leur manipulation antérieure et décrivent par leur relief rocailleux un paysage originel.

    Dès ses premiers autoportraits, Jérôme Zonder a mis en place une technique de dessin pointilliste pour aller au-delà de la surface visible du corps, plonger dans le vertige de sa réalité atomique infiniment labile. Dans Macrophage O, la représentation d’une subjectivité fermée sur elle-même cède le pas devant la réalité biologique d’un corps ouvert. C’est la fragilité du sujet menacé de dissolution que Zonder pointe en travaillant simultanément le corps à différentes échelles.

    Dans la mesure où le sujet se construit lui-même à travers le récit de ses expériences, la notion de narration se lie étroitement chez Zonder à celle d’identité. Ses bandes dessinées : Je et Visite Guidée déploient des univers chaotiques qui s’apparentent à une guerre des récits, à une arène dont individus ou cultures se disputeraient la suprématie. Symbolisant tout autant les tensions entre l’individu et la masse que les conflits géopolitiques, Zonder traite la matière du récit comme un prolongement idéologique de pulsions destructrices. Il anticipe également le pire : la vision d’un monde dans lequel produire du récit s’assimilerait à créer les conditions de sa survie.

    Emilie Benoist & Jérôme Zonder
    Narratives
    Galerie Eva Hober, Paris


    Communiqué de presse pour la galerie Eva Hober, 2006
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Joachim Mogarra, Paysages romantiques et autres histoires
    Avec la série des Paysages romantiques, Joachim Mogarra propose une version étonnante et décalée de lieux et thèmes pittoresques de cette période de l’histoire de l’art : montagne, grotte, voyageur solitaire apparaissent, isolés sur un fond noir ou baignés dans une lumière vaporeuse. Mais la montagne est un glaçon éclairé à la lampe de poche, la grotte, un bouchon de liège creusé au milieu, et le voyageur, un simple jouet !
    Le travail de la lumière, le cadrage en contre-plongée, la grandeur des formats et le rendu charbonneux des tirages permettent en fait à l’artiste de créer de véritables ambiances qui extraient ces objets quotidiens de leur contexte pour n’en garder que la forme et les effets de matière.

    Eclairés par derrière, le sucre et la glace deviennent translucides. Mogarra s’empare de ces denrées de base pour y sculpter des temples mystérieux ou un paysage métaphysique dont les contours se détachent sur un fond indéterminé.
    Les arrières plans sont volontairement flous, animés de lumières diffuses qui donnent l’illusion d’un espace illimité, d’un paysage enseveli sous la brume dont ne se distinguerait que quelques détails. Mogarra met en place une économie de l’image basée sur l’ellipse et les raccourcis. Jouant également avec le hors champ, il enrichit son image de possibles. Le spectateur est encouragé à prolonger le voyage au-delà de ce qu’il voit.

    Les thématiques sont souvent choisies pour leur exotisme ou leur caractère grandiloquent. On pense à la série intitulée Les plus hauts sommets, où un cache pot blanc retourné fait office de Mont Blanc et une corbeille de Nanga Parbat.
    Une relation d’ordre ironique se met en place entre l’objet représenté et son référent, soulignée par une légende manuscrite. Il s’agit toujours de faire grand avec de petits objets et d’incarner l’exceptionnel avec le prosaïque.

    C’est probablement ce jeu qui rend les propositions plastiques de Mogarra si séduisantes. Les techniques élaborées de création de l’image sont remplacées par une aptitude à glaner, dans les objets du quotidien, les conditions de possibilité du voyage imaginaire et du bricolage de visions fantastiques.

    Joachim Mogarra
    Paysages romantiques et autres histoires
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Jason Martin, Nudes

    Il y a 12 ans

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    Jason Martin, Nudes
    Le peintre anglais Jason Martin présente une nouvelle série de travaux, caractérisés par une grande sensualité. Leur facture particulière est obtenue à l’aide d’un outil de sa fabrication, un large pinceau peigne avec lequel il accompagne de tout son corps la matière dans son mouvement.

    Appliquée en une couche épaisse sur des supports aussi variés que la toile, l’aluminium ou le plexiglas, la peinture se répand de manière ondoyante et tourbillonnaire, par vagues successives mais sans rupture dans le mouvement. La surface est prise dans un même remous de matière, traitée à la façon d’un all over.
    Le support est une arène, travaillée aux dimensions du corps. Pour les plus grands formats, Jason Martin est monté sur une échelle, redescendant progressivement tout en se contorsionnant pour comprimer la matière avec le peigne. Des stries extrêmement fines et resserrées biffent la surface, creusant dans le frais de la peinture des sillons où vient s’accrocher la lumière.

    Cette façon de modeler la matière en lui faisant prendre la lumière, tout comme ce corps à corps avec elle font déborder la pratique picturale de Martin vers des préoccupations d’ordre sculpturales : les rouleaux lumineux modulent la surface, provoquant une illusion de profondeur. La matière s’anime, se renfle et se rétracte en ondulations qui évoquent des plis anatomiques.
    Nudes, titre de la série, souligne d’emblée cette thématique du corps la traversant. Jamais représenté, il habite pourtant chaque tableau, ne serait-ce que par la manière dont il a été conçu.

    Le corps du peintre donne la mesure de son acte : le pinceau n’est pas seulement animé par la main, mais par le mouvement conjoint des bras, des épaules et de flexion des jambes.
    La sensualité évidente des peintures procède de cette implication physique, comme des teintes employées par le peintre. Des tableaux comme Girl ou Couple évoquent la chair par leurs teintes rosées et le rouge profond de Darling s’accorde aux plis de la peinture pour former des lèvres aériennes.

    Jason Martin s’inscrit dans une lignée expressionniste qu’il réinvente. Le traitement de la matière picturale s’apparente à un enregistrement, à l’empreinte d’un geste. Bien que très différente de l’éclatement caractéristique d’une œuvre comme celle de Jackson Pollock, les peintures de Martin sont travaillées par une pulsion dynamique, issue de ce même engagement physique du corps tout entier.

    Jason Martin
    Nudes
    Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


    Pour paris-art.com, 2006
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    James Lynch, Le Grand Café

    Il y a 12 ans

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    James Lynch, Le Grand Café
    A première vue, l’installation de James Lynch est assez froide, avec ses chaises dépareillées créant une ambiance de salle d’attente déserte. Pourtant, tout semble être fait pour nous retenir : les sièges, les écrans télévisés directement posés sur le sol invitent à s’asseoir.

    Sur un premier téléviseur, un dessin d’animation nous montre une jeune fille courant, une cafetière à la main. On se retrouve à la regarder passivement, avec pour bruit de fond le souffle amplifié de sa respiration haletante. Une musique obsédante rythme les efforts physiques de la jeune fille tandis que s’écrivent sur les murs devant lesquels elle passe, à la manière d’un graffiti réalisé par une main invisible, les mots « I was running and running with a coffeepot, everybody was there drinking coffee including you ». Son visage crispé, ajoutée à la signification redondante du graffiti, enferme notre attention sur cette course interminable. On comprend l’objet de la course lorsque la jeune fille arrive enfin dans une pièce où plusieurs personnes l’attendent, une tasse à la main. Café et tasse se rejoignent, la boucle est bouclée.

    Sur les sièges alentour, des tableaux sont posés où sont peints des protagonistes du film, tous assis avec un mug à la main, en une attitude fatiguée ou songeuse. Ces personnages qui nous entourent contribuent à nous immerger un peu plus dans ce récit surréaliste qui ne se dévoile que par fragments.

    Si ces éléments narratifs se répondent, c’est au visiteur d’articuler ces pièces détachées du récit. Ce dispositif visuel simple et attrayant nous retient dans le jeu infini des interprétations : il y a suffisamment d’éléments pour construire un semblant d’histoire, mais agencés de telle manière qu’ils provoquent des décalages que la diversité des médiums employés souligne, par lesquels on bascule d’une situation anodine au récit fantastique. Cette histoire absurde et légère (une jeune fille courant dans la ville avec une cafetière à la main pour chercher une tasse) contient finalement une sorte de gravité, à la façon de ces rêves qui dévoilent par suites de flashs et d’associations leur signification cachée.

    James Lynch
    Le Grand Café
    Galerie Frank Elbaz, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

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    Antal Lakner, Habit de gravitation double

    Il y a 12 ans

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    Antal Lakner, Habit de gravitation double
    L’artiste hongrois Antal Lakner expose ses "Outils de travail passifs", qu’on a pu voir et tester lors de la Biennale de Venise, en 2001. Il pointe avec ironie les bouleversements provoqués par les machines de haute technologie dans la relation de l’homme à son environnement et surtout à son propre corps.
    Si l’outil est le prolongement du corps, mobilisant à la fois l’activité physique et intellectuelle, la machine, par son dispositif mécanique, ne sollicite guère les efforts musculaires.

    Les "Outils de travail passifs" s’inscrivent dans le prolongement dans ce constat. D’aspect très simple et dépouillé, leur forme géométrique peut se définir comme le squelette d’une activité laborieuse mise à nue, réduite à son plus simple appareil. Le Home Transporter reprend la structure d’une brouette prolongée par un tapis roulant permettant de marcher sans se déplacer, tandis que le Wallmaster s’apparente à un portique sur lequel un rouleau a été fixé qu’on déplace de haut en bas comme pour blanchir un mur.

    Le Forest Master est un outil composé d’une scie traversant un cylindre métallique qu’on actionne d’avant en arrière, comme on le ferait pour couper une bûche. L’appareil de fitness trouve donc toujours son schéma dans un outil de production déjà existant et télescope ainsi en un seul objet deux modes de dépense : l’une productive et l’autre récréative, destinée à augmenter la masse musculaire. Ces gadgets futuristes pourraient finalement être les accessoires d’un film d’anticipation parodique…

    C’est avant tout sur la réalité physique du corps que Lakner veut diriger l’attention du spectateur. La Passiv Dress, combinaison ressemblant à celle d’un astronaute, fait ressentir à l’individu qui la porte deux fois plus fortement la force de gravitation. La sensation inédite provoquée par le vêtement fait prendre conscience du constant travail d’équilibre fourni par notre corps pour le maintien de sa station verticale.

    Des préoccupations d’ordre scientifique et neurologique motivent également cette fabrication d’objets destinés à être appréciés avec le corps plutôt qu’avec les yeux. Alors que les informations sensibles qui passent par l’œil ne sont enregistrées que très partiellement par le cerveau, les stimulations d’ordre tactiles ou olfactives (qui conduisirent il y a quelques années l’artiste à réaliser à Berlin une installation avec de la fumée de cigare) affectent en revanche le corps de manière beaucoup plus directe et puissante. Cette volonté d’impact sur les sensations corporelles motive la plupart des projets conduits par l’artiste.

    Antal Lakner
    Habit de gravitation double
    Galerie Frank Elbaz, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Marguerite Pilven

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    Ilkka Halso, Museum of Nature

    Il y a 12 ans

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    Ilkka Halso, Museum of Nature
    Ilkka Halso interroge à travers ses nouveaux travaux photographiques les évolutions possibles de notre relation à la nature. Ses utopies cauchemardesques anticipent les conséquences de la mainmise illimitée de l’homme sur son environnement.

    Le projet de restauration imaginaire de la nature entrepris par le photographe finlandais Ilkka Halso a commencé en 2000, avec la construction d’échafaudages cernant une parcelle de blé, un rocher ou un arbre, puis photographiés. Ces pseudo-restaurations d’éléments naturels évoquent autant une intervention chirurgicale qu’elles rendent compte du dialogue instauré par l’artiste avec la nature. Halso décline ainsi à travers chaque prise de vue les relations possibles de l’homme à son environnement dont il interroge la fragilité et la complexité.

    Dans ses nouveaux travaux, l’artiste franchit une étape en soumettant ses photographies au traitement digital, passant de l’installations in situ à de vastes architectures virtuelles dessinées par ordinateur. Les interventions modestes et bien réelles sur la nature cèdent le pas à des vues de l’esprit rendues possibles par le recours aux nouvelles technologies. Les formats s’agrandissent et les installations, une fois libérées de la contrainte matérielle de leur réalisation, gagnent en monumentalité.

    Dans ces travaux, la relation homme-nature n’est plus perçue en terme d’expérience, avec ce que cela suggère de limitation matérielle, mais sous la forme de scénarios futuristes, d’utopies par lesquels Ilkka Halso anticipe une mainmise illimitée de l’homme sur la nature. Si les architectures virtuelles que construit l’artiste s’harmonisent toujours à merveille avec le paysage, elles n’en contiennent pas moins une dimension excessive : ces architectures de pouvoir convertissent également la nature en une beauté sous cloche.

    Un certain fatalisme traverse ces visions, lié à l’idée qu’une instrumentalisation croissante de la nature conduira peut-être un jour à son exploitation marchande abusive, comme c’est le cas avec Forest of Sponsors où l’artiste imagine un dispositif de protection des forêts qui répondrait à une logique d’économie de marché en proposant aux sponsors d’apposer leur nom sur les troncs d’arbres. Halso imagine également l’aménagement de la nature en vaste parc d’attraction, musée ou théâtre. Autant de scénarios qui disent avant toute chose notre impossibilité à nouer une relation authentique au monde, notre désir impétueux de maîtrise.

    Ilkka Halso
    Museum of Nature
    Galerie Frank Elbaz, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Claus Goedicke, Thingnothing

    Il y a 12 ans

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    Claus Goedicke, Thingnothing
    Des photographies aux cadrages horizontaux ou verticaux qui suivent les propriétés physiques des objets et les soulignent. Les formats sont monumentaux et l’objet choisi pour cette série est la bouteille en plastique qui, photographiée sur un fond neutre, atteint alors un degré fascinant d’abstraction.

    Le programme de Claus Goedicke pourrait se rapprocher de celui de Ponge.: « revenir aux choses même », pour les élever au rang d’ob-jet, c’est à dire de ce qu’on jette devant soi pour mieux le considérer. Deux ensembles de photos, l’un en noir et blanc et l’autre en couleur, exposés à l’entrée de la salle d’exposition, montrent les prémices des travaux actuels. Goedicke commence par photographier les objets dans leur véritable contexte : une cafetière électrique voisine des tasses sur une table de cuisine, des flacons de parfums, tubes de crème et shampooing sont rangés sur un meuble de salle de bain, dans un souci d’ordre formel que préside la recherche d’un rythme. Les cadrages horizontaux ou verticaux suivent les propriétés physiques des objets et les soulignent.

    Désormais, les formats sont monumentaux et l’objet choisi pour cette série est la bouteille en plastique, photographiée sur un fond neutre, isolée de tout contexte. Goedicke a ôté à chaque fois leur étiquette, faisant ainsi valoir le caractère sculptural, le disegno. Le choix du ton sur ton est aussi une constante de cette série : la bouteille a la même couleur que le fond devant lequel elle est placée. Elle est souvent photographiée de côté afin d’en exhiber la jointure, ou ligne d’assemblage de ses deux parties. Goedicke l’éclaire avec insistance, comme pour mieux accentuer notre rapport frontal à l’objet.

    Un dispositif méticuleux d’éclairage sépare les plans ou les confond, met en valeur le volume de la bouteille ou la dissout dans le fond jusqu’à la limite de son évanouissement. Jouant sur ces différents degrés de visibilité, Goedicke pousse ces objets triviaux jusqu’à un degré fascinant d’abstraction. La lumière se propage, immatérielle, et brouille les rapports entre figure et fond, créant un espace éblouissant qui noie nos repères visuels.

    Ces photographies ne sont pas sans faire penser au color-field américain, en raison de leur emploi spectaculaire de la couleur et de la négation fréquente de toute illusion de profondeur. On est happé par ces immenses plages colorées dans lesquelles les bouteilles paraissent flotter comme en apesanteur. Un halo lumineux les enveloppe et dissipe leur matérialité. À partir d’un travail attentif aux aspects immanents à la perception, Goedicke réalise des images irréelles aux effets extrêmement précis. Il parvient ainsi à un travail photographique d’une grande élégance. La lumière exalte les couleurs, leurs multiples nuances, leur caractère changeant, comme si l’artiste voulait rendre sensible, jusqu’au vertige, ces incessantes mutations du visible.

    Claus Goedicke
    Thingnothing
    Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


    Pour paris-art.com, 2003
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    Thème : Arts plastiques