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Marguerite Pilven

Marguerite Pilven

Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

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    Michelangelo Pistoletto

    Il y a 12 ans

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    Michelangelo Pistoletto
    Quatre sculptures de Michelangelo Pistoletto disposées circulairement représentent chacune une saison. Leur composition disparate surprend : le corps en marbre d’une déesse antique sert de socle à une autre sculpture en polyuréthane, matière industrielle qui contraste fortement avec la noblesse du marbre. Le déploiement gracieux des corps féminins autour d’un axe vertical est brusquement interrompu, écrasé dans son mouvement par ces blocs compacts au traitement brutal où l’on distingue des figures humaines mal dégrossies.

    Par ce déséquilibre entre le haut et le bas des sculptures, l’artiste semble vouloir faire coïncider deux conceptions du temps. Celui qui court, rythmé par les saisons qui passent, et l’idée de temps comme éternel retour du même, représentée par les immuables canons de beauté grecs, cariatides supportant la métamorphose des saisons.
    La facture lisse du marbre unifie et suspend les corps dans leur mouvement, tandis que la surface accidentée des blocs maintient les figures à un stade d’inachèvement, dans la tension d’un devenir.

    L’automne et le printemps sont représentés comme des saisons transitoires. Le bloc qui les personnifie représente deux bustes l’un derrière l’autre, peinturlurés en blanc et bleu, comme si l’un s’apprêtait déjà à prendre le relais de l’autre, tandis que la figure unique d’été et d’hiver s’impose, massive et peinte en rouge, sous la forme d’un gros personnage dont les jambes pendent jusqu’aux genoux de la cariatide en été, et sont repliées en hiver.

    Un double mouvement anime les sculptures. Celui des corps se déroulant autour de leur axe central, redoublé par celui du groupe sculpté, disposé de manière à former une ronde, évoquant le mouvement de la terre autour du soleil d’où dérive la division de l’année en quatre saisons. Une entorse curieuse faite à l’anatomie des créatures de marbre renvoie également au phénomène astronomique : leur fesse systématiquement tronquée évoque les solstices marquant les passages d’une saison à une autre, l’avènement ou le déclin d’un cycle.

    À travers ce thème des quatre saisons, Pistoletto développe une réflexion sur l’évolution des formes dans le temps, leur altération inévitable. A chaque saison ses métamorphoses, ses naissances et ses morts. Combinant au sein d’une même oeuvre une figure renvoyant à l’Antiquité grecque et une autre rappelant les sculptures sur bois des expressionnistes allemands, on embrasse également, comme en raccourci, l’histoire des formes dans l’art, ses révolutions.

    Michelangelo Pistoletto
    Galerie de France, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Larry Bell, Cubes

    Il y a 12 ans

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    Larry Bell, Cubes
    Cinq cubes de verre posés sur des socles en plexiglas sont disposés dans l’espace de la galerie. Leur apparente sobriété est immédiatement court-circuitée par la coloration irisée de leur surface. Contrebalançant la sévérité de la forme, elle introduit une labilité de l’expérience sensible qui contraste avec l’exigence de clarté formelle poursuivie par le minimalisme.

    Ce rendu chatoyant de la surface fut à l’époque perçu comme typiquement californien, dans l’esprit du Finish Fetish. Étaient regroupés sous cette appellation les artistes employant des matériaux industriels comme la fibre de verre pour donner à leurs travaux les qualités lisses et réfléchissantes des carrosseries de voiture ou de planches de surf. Mais contrairement à ces artistes, le procédé de coloration employé par Bell n’était guère facilement accessible et limite de ce fait l’influence de la pop culture californienne sur ses travaux.

    Quelle est la nature de cette coloration moirée et vaporeuse ? C’est en faisant chauffer de l’aluminium dans une cuve où il place également les sculptures que l’artiste produit le revêtement métallique qui les colore. Par ce procédé, les faces du cube, toujours transparentes, sont également réfléchissantes et filtrent la lumière, provoquant des reflets à l’intérieur du volume. Ce qui paraissait si stable au premier regard prend une apparence confuse. Lorsqu’on regarde l’intérieur du cube, les faces semblent s’être détachées pour y flotter sans attache.

    Cette dimension illusionniste à laquelle on peut rester suspendu comme en hypnose, tant il est difficile de bien saisir ce qu’il se passe au juste sous nos yeux est le fruit d’un jeu savant d’interaction entre l’espace et la lumière. Cet aspect rapproche Larry Bell d’artistes comme Robert Irwin ou James Turrell. Il partage avec eux un même intérêt pour la phénoménologie de la perception: les déplacements du spectateur définissent l’aspect des sculptures de Bell et sont de ce fait un vecteur essentiel de l’oeuvre.

    Décrivant son travail, Larry Bell disait : « mes travaux traitent de rien et illustrent au sens le plus littéral le vide et l’absence de contenu ». Le spectateur est, certes, confronté à un espace vacant, mais infiniment variable. Cette vacuité des sculptures est également ce qui permet d’opèrer des liaisons entre les qualités matérielles de l’œuvre, le spectateur qui la regarde et l’espace d’exposition qui la contient. Ces cubes fonctionnent comme des révélateurs d’une expérience perceptive dont ils sont le réceptacle.

    Larry Bell
    Cubes
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2006
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Jean-Michel Alberola

    Il y a 12 ans

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    Jean-Michel Alberola
    Dans les années 1980, Jean-Michel Alberola était préoccupé, comme d’autres peintres de sa génération, par le devenir de la peinture et la pertinence de sa pratique. Cette méditation sur les fins de son art devait le conduire, dans un premier temps, à s’intéresser conjointement à la fable mythologique de Diane et Actéon et à l’épisode biblique de Suzanne et les vieillards, deux récits portant sur la question du regard, de la pulsion scopique coupable, ou « plaisir rétinien » selon le vocabulaire de Duchamp.

    Il n’est alors pas étonnant que ce dernier soit la figure tutélaire de cette exposition, pour avoir critiqué de façon décisive la prétention d’autonomie de la peinture moderne.
    En matérialiste, Alberola sape toute idée de peinture qui fonctionnerait en vase clos, loin des contradictions et des incohérences du monde. Il en fait au contraire un espace fondamentalement hétérogène, inscrit dans un rapport permanent à l’extérieur, au risque d’affaiblir le pouvoir de séduction de ses œuvres.

    Les compositions déroutent en effet souvent le regard. Les tableaux semblent toujours être laissés dans la tension de l’inachèvement, dans la suspension du doute. Des pans de l’image apparaissent fragmentés, morcelés, comme autant de pièces d’un puzzle complexe qu’il nous faudrait recomposer. L’image finale est obtenue à la suite d’enfouissements successifs de figures et d’objets sous des couches de peinture. On distingue ainsi des silhouettes humaines dont il ne reste que l’ombre ou les traits de contours. À la manière d’un indice, ces formes fantomatiques signalent un « avoir été là ».

    Albérola nous placerait-il, comme l’écrivait Catherine Millet en 1987, devant « la mise en scène de la disparition de la peinture dans la peinture elle-même » ? Dans l’œuvre intitulée Sans Equilibre, où le plan d’une sorte de labyrinthe est peint en noir et blanc, est inscrite en capitales cette injonction : « De longs couloirs… accompagnez-moi ».

    Si Albérola s’enfonce dans la nuit de la peinture, pourquoi ne pas voir là, plutôt que l’acte d’un fossoyeur, une sorte d’archéologie inversée, c’est-à-dire la condition même de sa renaissance ?
    Un tableau intitulé : Marcel Duchamp, el Salvador donne en tout cas envie d’y croire.

    Autre pièce à conviction : ce petit ex-voto renfermant, comme dans un tabernacle, un portrait peint de Duchamp, l’œil rieur et auréolé de rayons à la manière d’un saint, ainsi que l’étui d’un appareil photo.
    Si Duchamp n’était pas explicitement photographe, on connaît la portée décisive que la logique photographique a eu sur tout son travail, affranchissant la peinture de son fonctionnement mimétique.

    Par cet hommage amusé qui présente Marcel Duchamp comme le « sauveur » de la peinture, Alberola poursuit une perspective essentielle de son travail : engager sa peinture dans un rapport dialectique au réel, inscrire sa pratique dans le devenir de l’histoire. L’image cesse d’être alors immédiatement lisible pour s’ouvrir à l’opacité du monde.

    Jean-Michel Alberola
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Jacques Villeglé

    Il y a 12 ans

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    Jacques Villeglé
    Limitant volontairement sa démarche plastique au prélèvement d’affiches lacérées trouvées sur les murs des villes, puis à leur transfert sur toile, Jacques Villeglé inaugure dès le début des années 50 une attitude artistique radicale. L’artiste donne à ces productions anonymes et collectives une existence dans le monde institutionnel de l’art. Il renonce clairement au statut d’artiste-auteur pour devenir un glaneur et un intermédiaire d’affiches trouvées dans les rues, qu’il considère comme de nouvelles peintures sociales. Les affiches politiques constituent un ensemble éloquent de ce désir de rendre manifeste une expression d’ordre collectif.

    Outil essentiel de propagande, l’affiche politique n’est-elle pas la plus apte à soulever les passions du « Lacéré Anonyme » ? Inventé par Villeglé, cet artiste fictif personnalise l’ensemble des interventions réalisées sur les affiches par des individus anonymes. A la suite de déchirures successives et d’arrachages sauvages, le slogan politique côtoie la réclame, les noms et visages de leaders politiques apparaissent, tronqués par des mains rageuses. Au message imprimé se mêlent également les revendications écrites à la main.

    L’affiche se modifie au gré des humeurs successives, son message s’altère et se mélange à ceux des affiches qu’elle a recouvertes jusqu’à devenir illisible. Des fragments de couches inférieures apparaissent, provoquant à la surface un chaos de couleurs et de signes porteur d’affects : un nouveau langage plastique émerge, qui convertit la surface de l’affiche en une arène symbolique dont les messages se disputeraient la suprématie.

    Partageant avec les Nouveaux Réalistes une démarche affirmant la portée décisive du choix et de la réappropriation d’objets quotidiens, Villeglé s’en distingue cependant par le caractère exclusif de l’objet choisi et l’absence d’intervention sur celui-ci. Partant du constat que le dialogue est impossible avec « l’esthétisme institutionnel qui se veut une manifestation de soi-même », l’engagement artistique de Villeglé peut-être perçu comme une réponse à la sclérose intellectuelle de son temps.
    Son renoncement au statut d’auteur procède également d’une volonté d’accélérer le mouvement d’ouverture de l’art vers une extériorité, un autre, pour créer la possibilité d’un dialogue renouvelé, aux prises avec le réel.

    Jacques Villeglé
    Politiques
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Imi Knoebel

    Il y a 12 ans

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    Imi Knoebel
    L’artiste allemand Imi Knoebel réalise sa première œuvre d’envergure en 1968, dans un atelier de l’Ecole de Düsseldorf octroyé par Joseph Beuys dont il suit les cours. Ce travail intitulé Raum 19 inscrit d’emblée sa pratique au carrefour de la peinture et de la sculpture. Châssis, panneaux d’aggloméré et baguettes sont posés au sol ou adossés au mur, les uns contre les autres, en un jeu de superposition par strates. L’objet-tableau se décompose pour s’articuler en une syntaxe nouvelle, qui met en valeur les éléments constitutifs du tableau et l’espace qui les contient. L’approche sculpturale du tableau, son ouverture vers l’espace, constituent l’essentiel du vocabulaire plastique de Knoebel, des leitmotivs dont il ne cesse d’explorer les possibilités.

    Dans sa récente série, An Meine Grüne Seite, l’artiste met en place un dispositif d’effeuillage du support dans son épaisseur, articulant deux plans monochromes de couleurs différentes. Alors que le panneau faisant office de fond est fixé à la cimaise, celui qui le recouvre s’en sépare pour opérer une saillie vers le spectateur. Uniquement fixé au mur par le bord supérieur, ce décollement progressif de la surface du haut vers le bas évoque un store que l’on aurait tiré. Ainsi soustrait au regard, le fond déborde cependant sur les côtés de la surface couvrante et déplace l’attention de la surface vers les bords du tableau.
    Introduisant des distorsions dans les rapports convenus entre couleur et fond, Knoebel traite ces composantes comme des entités autonomes. Leur relation d’interdépendance devient un enjeu de l’économie interne de l’oeuvre.

    Viennent ensuite les compositions monumentales qui opposent à la légèreté de l’effeuillage un caractère beaucoup plus physique. De grosses cassettes monochromes montées les unes à côté des autres servent de socle à de fins panneaux. La variété des supports opère un décalage des plans dans la profondeur et provoque un allègement dans la partie supérieure de la composition. Les plans colorés semblent flotter, comme libérés de leur attache au support, affranchis des limites matérielles du tableau.
    En d’autres endroits, Knoebel insiste au contraire sur l’adhésion de la couleur au support en peignant vigoureusement la surface de manière à laisser visibles les traces du pinceau puis en fermant cet ample mouvement du haut vers le bas par des coups de pinceaux horizontaux qui soulignent les limites du support. Le traitement hétérogène des surfaces, mates ou brillantes, absorbantes ou réfléchissantes, participe également de ces jeux de confrontations et déséquilibres qui rythment les compositions.

    Aussi originaux que ces dispositifs puissent paraître, leur matière première comme leurs caractéristiques formelles proviennent toujours de l’objet-tableau. Définissant un champ de travail aux contours précis, Knoebel pousse en réalité de façon extrêmement cohérente les conséquences d’un travail de prospection centré sur cet objet spécifique.

    Imi Knoebel
    New Works
    Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Helmut Newton

    Il y a 12 ans

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    Helmut Newton
    Né en 1920 à Berlin, Helmut Newton commence à travailler en tant que photographe de mode, pour Vogue, Elle ou Stern. L’exposition que lui consacre Daniel Templon nous montre comment il s’est depuis éloigné des contraintes du genre, pour en brouiller les codes et y projeter sans pudeur ses fantasmes.
    Le titre de la série, Yellow Press, mentionne la matière première à partir de laquelle Newton a développé son univers fantasmatique : la presse à sensation. L’artiste en collectionne depuis des années les clichés dont il exploite les codes pour les mélanger à ceux de la mode et du feuilleton policier.

    Une vidéo en noir et blanc montre une femme entrant précipitamment dans une chambre souterraine et retirant loin des regards la combinaison qui la dissimule. Elle tire la fermeture éclair de sa cagoule cousue à hauteur des lèvres, celles de ses chaussures et de sa combinaison. La caméra suit ses mouvements, jouant sur la forte charge érotique du zip des fermetures. Une fois débarrassée de sa perruque et de ses faux cils, elle s’étend sur son lit et le téléphone sonne : « Mama, che gio sentirte ! » s’écrit-elle dans le combiné. Il s’agit en fait d’un spot publicitaire pour la marque de chaussures Lampo Lamfranchi.

    A l’image de ce court-métrage, les photographies de mode flirtent constamment avec la série noire. La série intitulée True or false murder scene montre un somptueux corps féminin qui, victime de sévices, est étendu inerte sur une moquette à motifs rouges. Privilégiant la prise de vue en plongée, Newton photographie trois fois le corps sous différents angles, mimant la démarche scientifique du document policier et usant de ce prétexte pour s’en délecter. Avec malice, Newton s’amuse de ces décalages qui enrichissent la trame narrative des photographies et permettent l’irruption de l’ob-scène, c’est-à-dire de ce qui est derrière la scène : fantasmes, désirs cachés…
    Une autre série met en scène une femme aux yeux recouverts de sparadraps et aux seins nettement visibles sous un transparent soutien-gorge noir. Sur un deuxième cliché, elle écarte les bonnets de son sous-vêtement, découvrant ses seins, et sur le troisième, enfonce le doigt dans un de ses tétons, tout en continuant à fixer l’objectif avec ses yeux aveugles. Jouant sur le dualisme du manifeste et du caché ainsi que sur l’analogie formelle œil/sein, ne peut-on y voir une métaphore du voyeurisme, pratique qui a manifestement sa place dans le propos de l’artiste ?

    De grands tirages papier reproduisant des pseudos-unes de journaux poursuivent ce jeu de simulacres. « SEQUESTRATA ! » titre un canard italien, avec pour photo une femme nue, allongée face contre terre et attachée par le poignet au pied d’un radiateur. «.WHAT’S NEW MURDER » titre pour sa part la une du New Republic que vient illustrer la photo d’un cadavre masculin étendu dans un intérieur bourgeois. Le cadrage retient aussi de sensuelles jambes croisées, chaussées de talons aiguilles, signalant de manière elliptique une présence féminine à l’endroit du meurtre. Newton reprend dans cette composition le dispositif stratégique de l’image à sensation qui émoustille l’imagination du lecteur par la mise en scène d’indices.

    Les images construites par Newton combinent des esthétiques à finalité très différente. Si l’univers de la mode reste omniprésent dans ce travail, les actrices de ces récits photographiques étant de superbes mannequins, une intrigue les place toujours dans un contexte qui dramatise leur corps et rend manifeste l’érotisme latent de leurs accessoires. Téléphones, pistolets ou chaussures à talons véhiculent une signification au-delà de leur seule présence. En s’appropriant des stéréotypes qu’il détourne, Newton pointe avec amusement ce qui pourrait rapprocher le travail du paparazzi de celui du photographe de mode : créer du fantasme, fabriquer des images qui font vendre.

    Helmut Newton
    Yellow Press
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2003
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Gilbert & George

    Il y a 12 ans

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    Gilbert & George
    Les artistes Gilbert & George font leur première apparition officielle dans le monde de l’art sous la forme de sculptures vivantes. Vêtus d’un costume des plus conventionnels, le visage grimé, ils tiennent la pose comme deux mannequins devant le public des musées et des galeries londoniennes, manifestant d’emblée leur position d’artistes interessés, situés parmi les choses du monde.

    Cette première proposition donne le ton de ce qui va suivre, un art obstinément incarné, taillé aux mesures de l’homme, en complète rupture avec les spéculations purement théoriques de l’art conceptuel. « Le XXe siècle a été le siècle maudit d’un art que personne ne peut comprendre. Les artistes décadents ne s’adressent qu’à eux-mêmes et à quelques élus (…). L’art déroutant, obscur et obsédé par la forme est décadent et une négation cruelle de la Vie des gens. »

    À rebours de cet art pur et désengagé, Gilbert & Georges puisent leur iconographie dans les désordres du monde : le sexe, l’argent, la violence ou les inégalités sociales sont autant d’aspects évoqués dans les œuvres photographiques réalisées depuis 1970. D’abord sagement contenus en photomontages organisés selon un principe de symétrie, les éléments de l’image s’agencent par la suite de manière plus libre. Travaillant d’après des négatifs qu’ils retouchent, colorent et agrandissent, Gilbert & George réalisent des fresques monumentales et criardes, cherchant par ces images puissantes à toucher le plus grand nombre.
    La plupart du temps, les physiques de Gilbert & George apparaissent au cœur de ces dispositifs. Toujours vulnérables, parfois totalement nus, les artistes se représentent jetés au cœur d’objets démesurément agrandis formant un environnement All Over chaotique et oppressant. Leurs silhouettes lilliputiennes se contorsionnent ou grimacent de dégoût dans ce fatras d’objets multicolores.

    L’actuelle série poursuit cette représentation d’une condition humaine aliénante. Contrairement aux travaux antérieurs, la palette se limite ici à trois couleurs : le noir, le blanc et le rouge qui durcissent l’image, lui ôtant ce caractère psychédélique qui prévalait jusqu’ici. Les figures de Gilbert & George évoluent cette fois-ci dans un espace saturé de plaques de rues agrandies et rangées côte à côte par ordre alphabétique. De forme rectangulaire, elles s’intègrent à la structure des panneaux qui, placés bord à bord, dessinent un quadrillage et le redoublent.
    Confinés dans cet espace rigide, les silhouettes écrasées de Gilbert & Georges luttent au sein de cet environnement étriqué en quête d’espace vital et comme cherchant à s’arracher de l’inéluctable anonymat qui frappe le Man on the Street.

    Un malaise gangrène les œuvres de l’intérieur, qui se répercute sur les visages effrayés des artistes et les pousse à se faire vomir en se fourrant deux doigts dans la gorge. Des morpions géants sont également de la partie, apparaissant ça et là entre deux noms de rue, puis s’immisçant entre les initiales de Gilbert & George. On serait tenté de dire qu’il y a quelque chose de pourri au Royaume Uni… De nature imprécise, sans localisation possible, le mal surgit sous la forme de symptômes physiques ou prend l’apparence d’insectes se logeant impitoyablement dans les parties intimes.
    Une fois encore Gilbert & George traquent le vers dans la pomme. Ils semblent vouloir rendre palpables les peurs et accès de culpabilité qui nous assaillent, ces maux puissants et invisibles qui nous parasitent et nous effondrent.

    Gilbert & George
    Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
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    Georg Baselitz

    Il y a 12 ans

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    Georg Baselitz
    La question du motif pictural, de la relation entre la figure et le fond du tableau, a constamment agité le travail de Baselitz. Attachant plus d’importance à la peinture elle-même plutôt qu’à sa justification par un sujet, il ne souhaite cependant pas évacuer le motif, conservant ainsi à ses travaux une matérialité, un ancrage dans le réel que n’ont pas les tableaux abstraits.
    En 1968, le peintre apporte une solution radicale à ce conflit de la figure en retournant ses tableaux afin qu’elle se retrouve tête en bas : « Le meilleur moyen de vider ce qu’on peint de son contenu pour se tourner vers la peinture en soi ».

    Dans cette nouvelle série d’aquarelles monumentales, Baselitz alterne dans une même composition le sens de ses figures : à l’endroit, à l’envers, sur le côté. Faisant pivoter son support, il dessine alternativement sur tous les côtés de la feuille. Baselitz opère dans une première série des variations à partir de son autoportrait en pied, aux côtés de sa femme, et dans une autre, intitulée Einstein, il s’attache à la figure d’un violoniste jouant de son instrument en position assise.

    On remarque d’emblée dans ces dessins une absence de hiérarchie définie entre la figure et le fond qui, ajoutée à l’orientation multiple des figures sur le support, rend la composition instable. Le fond, de couleur sombre et toujours très dilué, enveloppe la figure dans un espace indéterminé. Les surfaces subissent un traitement inégal. Jouant sur les possibilités de l’aquarelle, Baselitz dilue ou opacifie les couleurs par endroits, les répandant aussi parfois en coulures. Les coups de pinceaux distribués en tous sens achèvent de donner au fond un caractère trouble, une facture grossière et inachevée.

    Le motif est croqué à la manière d’une caricature, de façon précise et synthétique, directement sur le blanc de la feuille. Bien que les figures donnent l’impression de flotter sans attache sur la surface opaque, Baselitz souligne leur densité corporelle.
    Il se représente avec sa femme tout deux en maillot de bain, la chair pendante, les joues tombant vers le bas. Quant au violoniste qui fait l’objet de la deuxième série, Baselitz le représente bien campé sur un tabouret, doté d’épaisses chaussures noires soulignant sa pesanteur, son adhésion au sol.

    La palette est globalement très limitée dans cet ensemble d’aquarelles, Baselitz attachant peu d’importance à la valeur descriptive de la couleur. Les teintes sont surtout employées pour distinguer les masses, créer des effets de contraste et de matière qui dynamisent le dessin et en relient les différents éléments.

    Une série d’oppositions plastiques entre le dessin et la peinture, le sec et l’humide, le tendu et le fluide donne un caractère vigoureux et fortement expressif à l’ensemble des dessins. Dans certains d’entre eux, Baselitz confronte également le haut et le bas du tableau en plaçant deux figures tête- bêche. La symétrie des motifs provoque ainsi une tension très forte au centre du tableau.

    Le peintre convertit la surface du tableau en une arène traversée de tous côtés par des jeux de forces, des choix plastiques contradictoires, des éléments qui se heurtent et se contredisent. Le résultat ne donne cependant jamais l’impression d’une composition dissolue, mais plutôt d’une violence disruptive latente que ce jeu serré d’opposition contient.

    Georg Baselitz
    Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Edward Ruscha

    Il y a 12 ans

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    Edward Ruscha
    La galerie Daniel Templon présente actuellement deux séries photographiques d’Edward Ruscha, d’abord diffusées par l’artiste sous forme de livres. Deux archétypes de l’american way of life y sont déclinés : la piscine privée et le parking automobile.

    Vus du ciel, la superficie bleue électrique
    des piscines et les vastes espaces destinés aux automobiles ont l'exigence formelle d'un tableau de Mondrian. Thirty-Four Parking Lots impressionne par sa qualité graphique. Les prises de vue aériennes soulignent le découpage rationnel de l'espace et mettent en valeur la relation architectonique des parkings à l’environnement.

    Les axes de circulation s’étalent en lacets complexes, serrent en étau les habitations, ou se croisent à 90° ; les constructions carrées alternent avec des espaces vides dont les stries indiquent les emplacements de parking. L’espace se coupe et se recoupe à l’infini afin de contenir habitations et transports privés et de relier entre elles ces unités disparates, accordant parfois la place à une nature sous forme d’arbres soigneusement alignés.

    On a volontiers associé l’œuvre de Ruscha à la mouvance Pop, mais des aspects de son travail évoquent tout autant, voire plus, les recherches minimalistes et conceptuelles.
    Thirty-Four Parking Lots a au départ été conçu en vue de l’édition d’un livre. Ruscha a demandé à un pilote et à un photographe aérien de lui réaliser des photographies de parking vides, situant de manière précise et significative son intervention au seul assemblage de ces informations visuelles. À la manière d’un iconographe, il analyse et ordonne un donné objectif.

    Le format carré des clichés souligne leur caractère de fragment plutôt que celui de paysage aérien, comme si Ruscha cherchait à mesurer cette réalité urbaine particulièrement vertigineuse de Los Angeles, faute de pouvoir la synthétiser en une vision particulière dont le paysage donne toujours l’illusion.

    La série met en valeur les aspects récurrents de cette ville, son organisation en damier, et sa structure entièrement adaptée aux déplacements en voiture. Seules traces de vie sur ces photographies : des sillages serpentant la surface des parking ou des taches d’huile, indices de récents passages d’automobiles, irruptions d’accidents à l’intérieur de ces formes rigides.

    Ruscha enregistre ces données avec un regard tranquille et désengagé. Il évoque sa relation ambivalente à Los Angeles, faite de fascination et de répulsion, et dit ouvrir les yeux sur « le pouvoir des choses qui n’ont pas de sens ».
    Attentif aux aspects plastiques de cette ville, il en dévoile certaines obsessions, comme cet idéal de maîtrise de l’espace que vient satisfaire sa parcellisation rigoureuse et un urbanisme exclusivement pensé à l’échelle de l’automobile. Bien que très distancié, ce travail photographique demeure singulièrement poétique, comme peuvent l’être les séries photographiques de Bernd et Hilla Becher.

    Edward Ruscha
    Photographs
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Claude Viallat

    Il y a 12 ans

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    Claude Viallat
    Lorsqu’en 1967, le groupe BMTP (Buren, Mosset, Toroni, Parmentier) répond à la crise de la peinture par une attitude nihiliste, Claude Viallat et d’autres, groupés sous la bannière Support-Surface, choisissent d’en expérimenter les possibles, dans une démarche analytique de ses composantes : planéité du support, relations de la forme au fond, effets du pigment sur la toile et d’autre tissus.
    L’actuelle exposition des œuvres de Viallat galerie Daniel Templon peut être perçue comme un approfondissement de ces questions sur la peinture. Portes et fenêtres en est le titre, annonçant les structures autour desquelles il organise ses compositions.

    Toiles de tente, auvents de magasins sont les tissus employés et montés ensemble par de grosses coutures marquant les verticales et les horizontales. Seules formes porteuses de mouvement, ces fameux rectangles mi- angulaires, mi- arrondis, signature de l’artiste, qui traversent le tableau en diagonale et invitent l’œil à en balayer l’espace. La trajectoire n’est plus incursion du premier plan vers le fond - portes et fenêtres sont fermées - mais celle, légère, qui parcourt le tableau dans sa planéité, en surface.

    Viallat manipule librement les différentes composantes du tableau et les fait se rencontrer de diverses façons : le tissu boit la couleur ou disparaît derrière elle, les formes passent par dessus le cadre du tableau ou glissent en dessous.
    Le potentiel de la peinture est ainsi exploré par une analyse patiente de ses composantes matérielles, ouvrant sur une poésie visuelle où la thématique du passage est très présente. Le titre Portes et fenêtres ne fait-il pas d’ailleurs référence à des questions essentielles de la peinture, de ce qu’elle doit nous montrer, par exemple ?
    La peinture, fenêtre tournée vers le monde ou vers cette intériorité subjective dont parlait Kandinsky ?

    Celles de Viallat se situent en zone frontière. Les formes abstraites dont il anime ses toiles donnent l’impression de passer sur la surface, à la manière d’ombres ou de traces de pas, ou de flotter dans l’espace du tableau. On y voyage, pensant parfois à ces autres tableaux-seuils que sont les Intérieurs de Matisse.

    Claude Viallat
    Portes et Fenêtres
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques