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Marguerite Pilven

Marguerite Pilven

Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Marguerite Pilven

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    Panamarenko, Berthier, Achour... Accidents

    Il y a 13 ans

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    Panamarenko, Berthier, Achour... Accidents
    Contrairement à l’exposition que Paul Virilio réalisait sur le sujet à la Fondation Cartier en 2002, la notion d’accident autour de laquelle s’articulent les œuvres exposées à la galerie Vallois ne contient aucune portée apocalyptique ou tragique. Pas de sang, pas de fumée : les œuvres choisies parlent d’accident comme d’un opérateur de procédures artistiques, un élément perturbateur ou un révélateur esthétique.

    Panamarenko, dont un prototype de PAT (Portable Air Transport) figure dans l’exposition pourrait bien être le lauréat des heureux accidentés de l’art. Sa naissance en tant qu’artiste, qu’il considère déjà comme un accident de parcours, se confirme lorsqu’il réalise en 1966 ses Chaussures magnétiques aux semelles compensées d’aimants qui lui permettent de se promener la tête en bas sur un plafond métallique. Une tâche de rouille court-circuite le contact et parachève l’expérience d’une chute mémorable…
    Ces chaussures ne sont que les premières d’une foule de machines faites par l’artiste pour élargir nos possibilités de déplacement dans l’espace. Flirtant constamment avec l’idée d’accident, Panamarenko définit une attitude de libre expérimentation des formes dont l’issue ne contient, pour le bonheur de tous, aucune nécessité de rendement ou de réussite.

    « Ne pas laisser le monde aux mains des spécialistes », tel est le slogan de l’artiste Julien Berthier qui s’inscrit selon cette perspective comme un digne héritier de Panamarenko. Pour les deux artistes, la non- spécialisation est justement cette acceptation d’un jeu qui fait la part belle à l’aventure et au risque. De ce point de vue, l’accident a presque valeur de manifeste, qui revendique le droit à l’erreur et au raté. Comme Panamarenko, Berthier incarne à sa façon une figure d’ingénieur dont les inventions cherchent à faire reculer les bornes du possible. Avec sa machine à secouer le champagne, il transforme une inoffensive bouteille de Veuve Cliquot en canon potentiel! Fixée à un bras mécanique qui l’agite frénétiquement de haut en bas et braquée vers le visiteur, elle pimente l’exposition par sa constante menace d’explosion.

    Berthier est également l’auteur du sac en plastique qui pendouille, non loin de l’entrée de la galerie et l’on présage à sa vue un gag à venir. Suspendu à un rail, il se promène le long des cimaises en sifflotant avant d’aller effectivement se cogner contre la porte. Ce que célèbre souvent l’artiste dans l’accident, c’est l’irruption du loufoque, les ratés qui comme les lapsus, ont une force disruptive de dévoilement et sont porteurs de poésie. Le fantôme de Buster Keaton n’est pas loin… Boris Achour apporte quant à lui sa touche à ce côté grand guignol en matérialisant sur la cimaise les contours de sa silhouette écrasée…
    La cascade d’accidents corporels se poursuit avec les Falling Photos de Martin Kersels qui, avant de faire des sculptures, a étudié les lois de la gravité avec son propre corps. Prenant la forme d’un triptyque, les photographies sont comme autant d’arrêts sur image d’une chute. Encore suspendu dans les airs, le corps massif de l’artiste se découpe sur fond d’étendue neigeuse. On songe bien sûr au Saut dans le vide entrepris par Yves Klein dont ces photographies pourraient être l’écho parodique, substituant à l’élégant déploiement corporel du dandy le grotesque d’un corps désarticulé.

    Le californien Richard Jackson intègre à sa pratique picturale le vocabulaire explosif de la secousse et la collision en fabriquant des machines à peindre. Un ventilateur a été fixé à l’hélice d’un modèle réduit d’avion au pied duquel ont été déposés des paquets de peinture noire. Une fois la machine branchée, la rotation de l’hélice entraîne celle du ventilateur et transforme la masse inerte de peinture en une pluie aérienne qui éclabousse le sol et les murs de la galerie.

    Tim Davis, un jeune artiste invité par la galerie exploite également l’accident de façon tout à fait singulière. Sa démarche consiste à photographier des peintures classiques dans les musées avec pour critère de sélection leur éclairage maladroit. Ainsi voit-on une représentation de Judith, dont le visage a disparu, noyé dans une flaque de lumière. Ce piètre éclairage est comme une blague, si l’on se rappelle l’acte héroïque qui rendit Judith célèbre : la décapitation du tyran Holophernes, dont elle tient la tête entre ses mains…

    Les crash de voiture ont aussi droit de cité, bien sûr, qui fascinaient déjà Andy Warhol et firent de James Dean l’icône d’une jeunesse ivre de vitesse. L’auteur des très beaux tirages de crash automobiles n’est autre que Marcel Odermatt, un brigadier suisse chargé de photographier dans les années 60 les collisions survenues sur les routes de son canton! C’est au critique et commissaire d’exposition, Harald Szeemann, que l’on doit d’avoir décelé l’intérêt esthétique de ces photographies - accrochées dans un commissariat- pour les dévier de leur trajectoire strictement documentaire et provoquer un dernier accident de parcours.

    Panamarenko, Berthier, Achour...
    Accidents
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2006
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Yayoi Kusama

    Il y a 12 ans

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    Yayoi Kusama
    Trois installations de Yayoi Kusama investissent actuellement l’espace de la galerie Templon. A l’entrée, une huile sur toile invite le visiteur à revenir sur un vocabulaire plastique récurrent dans son travail : les filets (Infinity Nets) et les pois (Polka Dots), sorte de matrices d’abord explorées au pinceau pendant les années 1950 puis sur des formats de plus en plus grands au cours des années 1960, pour ensuite prendre la forme de sculptures en tissu bourrées de coton, puis d’installations absorbant le spectateur en un rapport fusionnel avec son univers plastique.

    La particularité de ce travail réside essentiellement dans ce déploiement obsessionnel de systèmes graphiques dont la genèse est intimement liée à l’enfance de l’artiste, les premiers dessins datant de ses dix ans, lorsqu’elle fut pour la première fois victime d’hallucinations psychiques qui devaient la harceler sa vie durant.

    Basés sur des effets optiques de répétition, sérialité et accumulation de formes proliférant dans l’espace, les travaux de Yayoi Kusama prennent racine dans une perception idiosyncrasique de l’espace qui, lors de crises hallucinatoires se remplit de formes répétitives le divisant, et menaçant le sujet de dissolution. Impressions effrayantes d’étouffer ou de se désagréger en particules ont été plusieurs fois décrites par l’artiste qui, aujourd’hui âgée de 76 ans, n’a cessé de les exorciser sous la forme d’installations à la fois séduisantes et repoussantes.

    Cette ambivalence caractérise toutes les pièces visibles ici, qu’il s’agisse de Heaven and Earth, ensemble de boîtes verticales d’où prolifèrent des formes phalliques en tissu blanc évoquant à la fois les tentacules d’un monstre marin ou une espèce végétale inconnue, ou encore de Gold Shoes, cinquante chaussures à talon dorées traversées de protubérances organiques, sorte de champignons évoquant également des pénis-parasites se nourrissant de la forte charge érotique de ces accessoires féminins.
    Narcissus Garden, ensemble de sphères argentées réfléchissantes, ramassent en boule l’espace. Notre reflet lilliputien grandit à mesure que nous avançons à leur rencontre, pour mieux nous perdre dans leur chatoiement et leur pouvoir hypnotique.

    Une fois encore, cette exposition célèbre un travail qui a déjà fait l’objet de nombreuses expositions en France. En 2001, l’artiste bouleversait totalement l’espace de la Maison du Japon avec une suite d’installations formant un labyrinthe gigantesque où le visiteur s’engouffrait, perdant progressivement toute notion objective de son environnement. La dernière Biennale de Lyon incluait deux chambres recouvertes de pois, que des miroirs disposés au mur et au plafond dupliquaient à l’infini, provoquant un ensemble de sensations psychédéliques et vertigineuses.

    Yayoi Kusama
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Valerio Adami

    Il y a 12 ans

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    Valerio Adami
    Le peintre italien Valerio Adami expose actuellement des travaux réalisés entre 2001 et 2004. Une profonde unité se dégage de chacune des compositions, de la saturation des surfaces où ne subsiste aucun blanc, aucune trace de doute ou d’inachèvement.

    Personnages, paysages et objets s’articulent en des compositions complexes qui n’obéissent à aucune règle préétablie. Depuis des années maintenant, Adami a travaillé à mettre en place un langage plastique singulier, à la syntaxe rigoureuse, où les notions d’espace et de profondeur, de relation entre sujet et objet sont entièrement bouleversées, repensées de manière à pousser l’expression à son maximum d’intensité.

    La ligne, le trait du dessin, commande tout ce jeu. Pas un tableau n’est réalisé sans que sa construction n’ait été au préalable définie au détail près. La ligne cherche son parcours dans le dessin préparatoire pour circuler ensuite sans hésitation dans l’espace du tableau qu’elle divise, sépare en plans, articule en figures et objets. Epaisse et noire, elle enchaîne les humains et les choses, les soude entre eux pour en stabiliser définitivement les rapports.

    Il ne s’agit jamais, pour Adami, de restituer le monde de manière réaliste, qui limiterait l’expression créative à la perception naturelle, confuse, toujours changeante du monde. Les impressions sont transposées par un assemblage mental qui ne cède jamais rien à l’ordre naturel des choses. Le tableau est le résultat final de manœuvres graphiques recourant à l’ellipse, au collage, au travail de la mémoire. Les artifices narratifs propres au cinéma, comme celui de la coupe et du montage sont toujours à l’œuvre dans ces constructions plastiques.

    Les tableaux déclinent des mises en scènes de couples, issus de la mythologie ou du quotidien. Lorsqu’ils s’enlacent, comme c’est le cas pour Figuracontrafigura ou Uomo e Donna in Palestra, l’étreinte des corps ressemble à une fusion impossible, où chaque personnage est finalement renvoyé à sa solitude. Le maniement de contrastes colorés opposant des pourpres à des tonalités glaciales, une ligne noire qui traverse et scinde les corps sont les équivalents plastiques par lesquels Adami figure le drame.

    Ces variations autour d’un même thème, le couple, s’intensifient et prennent une épaisseur expressive par ces recours à l’artifice. Celui des couleurs, d’abord, dont la saturation et l’intensité parfois quasi phosphorescente ne sont prélevées d’aucune réalité extérieure et qui apportent, par leur forte présence, une humeur, une tonalité psychologique au dessin. Les accessoires ont également leur importance dans la construction de ces allégories : radiateur, téléphone, bicyclette, ventilateur et sac à main occupent l’espace avec autant d’aplomb que les personnages.
    On remarque ces mises en place efficaces de l’accessoiriste dans une composition comme Figuracontrafigura, où le cintre sombre qui pend contre un mur de la chambre et les persiennes cassées chargent la composition d’une atmosphère oppressante, sans que l’on sache vraiment d’où ces objets banals tirent une telle puissance.

    La représentation de rideaux, arcades, fenêtres et autres éléments d’architecture souligne aussi le caractère fabriqué de l’image. Aucune parcelle de l’œuvre n’est abandonnée aux désordres du sentiment et du pathos. Ces constructions sévères et calibrées proposent comme une retranscription objectivée des sentiments, semblables en cela au chant lyrique où douleur et mélancolie s’expriment, mais de façon étudiée et précise.
    « Peindre moins et penser plus — la mémoire rumine — on perd son ego, on devient instrument, violon ou piano », écrivait le peintre.

    Valerio Adami
    Préludes et après-ludes
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Tony Cragg

    Il y a 12 ans

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    Tony Cragg
    Les nouvelles sculptures de l’artiste anglais Tony Cragg interpellent d’emblée par leur forme étrange, évoquant à la fois une origine organique et minérale. On y retrouve cette attention que l’artiste a toujours portée à la forme et aux propriétés physiques de la matière. Cragg a en effet gardé de sa formation scientifique une démarche pragmatique et critique d’analyse des formes. Par un travail basé sur leurs transformations et leurs hybridations, il explore leur identité et leurs possibles.

    L’illusionnisme d’une sculpture comme Bad Guys conduirait presque à la décrire comme un profil pivotant autour de son axe central à une vitesse telle que son volume se déforme, à ceci près qu’elle ne tourne guère de manière effective. Il serait plus juste de dire que le mouvement s’est imprimé dans la matière, selon un phénomène semblable à celui du fossile portant la trace physique d’une ancienne vie.

    Le caractère mnémonique de la matière constitue un thème privilégié de l’artiste qui, passionné de géologie, a réalisé plusieurs sculptures construites par strates successives de manière à exhiber le volume dans sa profondeur, les différentes parties constitutives de l’ensemble. La patine et l’érosion fabriquées à plusieurs reprises de manière artificielle par l’artiste sur des sculptures réalisées avec des matériaux nouveaux procèdent également de cet attrait pour les matières que la marque du temps a rendues plus denses et plus vivantes.

    Level Head évoque une stratification rocheuse superposant deux profils embryonnaires tournés dans des directions opposées. Mais ce qui les oppose réside également dans le traitement de chacun. Le profil placé en tête de la sculpture, modelé avec des formes arrondies, l’apparente à une roche tandis que l’autre qui le supporte se découpe de manière incisive dans l’espace, se distinguant du premier par son caractère aérodynamique. La préhistoire et les nouvelles technologies semblent coexister dans cette même pièce.

    Les sculptures ont d’ailleurs pour point commun avec l’image de synthèse de faire varier un motif unique selon des perspectives, des échelles et des angles différents, rejoignant en cela leur complexité et leur possibilité. Cragg joue également avec la tridimensionnalité. La sculpture intitulée Discussion qui évoque frontalement un crâne de bison se démultipliant de manière croissance offre une toute autre figure lorsqu’on la regarde de côté. Ce volume de bois abrite aussi deux profils se faisant face, puis se rejoignant progressivement à mesure qu’ils se dilatent. Ceux-ci apparaissent déjà, microscopiques, dans les rainures du bois, offrant le spectacle vertigineux d’une figure dupliquée à l’infini.

    Tony Cragg fait ici figure d’alchimiste, qui liquéfie le bronze et le marbre, bouleverse l’inertie de la sculpture et condense en celle-ci une pluralité de significations et de correspondances. Les catégories du naturel et de l’artificiel autrefois distinctes dans son travail se confondent ici, évoquant aussi les possibilités angoissantes de la manipulation génétique.

    Tony Cragg
    Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Robert Mapplethorpe

    Il y a 12 ans

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    Robert Mapplethorpe
    Directeur artistique de Dior Homme, Hedi Slimane est invité à présenter des photographies de Robert Mapplethorpe qu’il sélectionne par affinités. Un portrait original de l’artiste à partir de thèmes qui lui sont chers.

    On connaît l’obsession de Mapplethorpe pour le corps. Corps morcelé, objet de la pulsion scopique, ou pureté de corps tendus, dont la musculature athlétique est photographiée sur un fond neutre.
    Cette fascination explique que l’artiste ait choisi ses modèles parmi les acteurs de la scène punk rock, genre musical ayant accordé une place décisive aux performances corporelles. Par son déhanché érotique, Elvis, le premier, précipitait le corps sur le devant de la scène, scandale qu’une Amérique puritaine s’empressa d’ailleurs de résoudre en filmant la star en plan américain.

    Bien que non exclusivement composés de rock stars, les portraits ici exposés procèdent d’un même attrait de l’artiste pour l’allure de ses modèles. Postures arrogantes ou sensuelles, accessoires éloquents et sens de la mise en scène caractérisent ces prises de vues. Les photographies de mode ont largement repris cette imagerie rock’n’roll, porteuse de nouvelles attitudes, à commencer par celles du styliste Hedi Slimane, dont les éphèbes au visage blafard semblent souvent sortis de frasques nocturnes.

    Des photographies comme celles de Tim Scott coiffant délicatement sa crête punk avec un peigne ou de Clarissa portant une veste de costume évoquent l’attrait de Mapplethorpe pour les allures androgynes. L’un de ses plus célèbres clichés reste le portrait de Patti Smith, réalisé en 1975, pour sa pochette d’album Horses. La chanteuse y posait en dandy débraillé, cravate noire défaite et veste négligemment posée sur l’épaule. Considéré à l’époque comme un suicide commercial, ce choix radical fera finalement l’objet d’une véritable fascination. « Confusion is sex », titrait le groupe Sonic Youth sur l’un de ses disques, en 1983. Une idée que l’univers de la mode exploitera aussi largement.

    Dans un ensemble de photographies réalisées dans les années 80, Mapplethorpe rompt cette relation au modèle pour construire des prises de vues plus intimes, fonctionnant comme des allégories. L’austère photographie d’un crâne donne le ton de cette série lugubre, où l’on sent sourdre de façon insistante l’angoisse de la mort.
    On y retrouve le modèle Lisa Lyon, ex-championne de body building féminin, dont Mapplethorpe a, maintes fois, photographié le corps athlétique et vigoureux. Il fait ici le deuil de ce symbole de puissance en le réduisant à l’état d'ombre spectrale.

    On ne peut s’empêcher de voir en ces photographies l’envers désenchanté de la levée des tabous qui caractérisa l’ère post 68. Elles évoquent la mélancolie d’une sexualité vécue de manière intense et affirmative sur laquelle ne pesait pas encore la menace du sida.

    Robert Mapplethorpe
    Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

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    Robert Longo, Ourobouros

    Il y a 12 ans

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    Robert Longo, Ourobouros
    Déferlement d’une vague, éruption d’un champignon atomique, pétales de rose nous aspirant dans un mouvement centrifuge, le caractère dynamique de la forme en expansion est le sujet des derniers travaux de Robert Longo.

    On retrouve, bien sûr, cette facture extrêmement soignée, du dessinateur qui n’a plus rien à prouver côté prouesses techniques. Partout s’expose dans les fusains sur papier, aux formats gigantesques pour certains, son goût des espaces infinis et de la matière en dilatation.

    La ligne vigoureuse comme les clairs obscurs fortement contrastés traitent les formes de façon sculpturale, soulignant leurs volumes et leur masse. Le champignon s’élève sur un fond sombre en une colonne verticale et tourbillonnante, la vague s’élance et se courbe, dont l’extrémité en pointe exagère la dynamique d’ensemble.

    On ne s’étonne point dès lors que Robert Longo soit passé au traitement en trois dimensions de ses sujets. Un groupe de trois petites sculptures en bronze argenté reprennent le motif du champignon atomique. Variation sur le même thème : l’une des versions insiste sur son analogie avec un champignon végétal, l’autre le rapproche du symbole mythologique de l’arbre cosmique et le troisième en propose un traitement plus abstrait, représentant sous la forme de trois plateaux la circonvolution de la matière autour d’un axe central.

    Seuls dessins introduisant de la couleur, la série des roses intitulée « Ophélia » et soulignant de ce fait la consonance romantique de l’ensemble. Comment ne pas y songer devant ces dessins traitant exclusivement de phénomènes naturels, de catastrophes et de l’immensité de l’univers ?
    Peut-être est-ce dans ces dessins de roses qu’apparaît avec le plus d’évidence l’influence conjuguée de la photographie et du cinéma, présente dans l’ensemble de l’œuvre de Longo. Vue en plongée, la fleur est traitée comme une spirale de pétales concentriques émergeant d’un noir profond et dont le centre est à hauteur d’œil.

    La faiblesse de Longo tient sans doute en partie de cette exploitation, récurrente dans son travail, des effets spectaculaires obtenus par le cadrage et le zoom. Comme si du cinéma, il n’avait retenu dans sa propre pratique que les possibilités sensationnalistes. On est finalement ici dans un régime de la pure image, proche en cela de la publicité. Vendre la vague, vendre la rose… Tout autre enjeu semble avoir déserté ces séduisants dessins.

    Robert Longo
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2006
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

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    Richard Jackson

    Il y a 12 ans

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    Richard Jackson
    Une énergie motrice est toujours à l’œuvre dans le travail de Richard Jackson, qu’il s’agisse de ses drippings mécaniques ou de ses fresques murales. Inventeur de machines à peindre spectaculaires, il introduit dans la pratique de la peinture une dimension ludique qui la dépasse et l’excède.

    Les immenses machineries une fois mises en branle font œuvre elles-mêmes, l’artiste se contentant d’en actionner le mécanisme. En grimpant sur une vespa qu’il démarre, il réalise un Dripping explosif. La toile qui le supporte, posée sur un disque relié au moteur se met à tournoyer sur elle-même, à la vitesse de 80 km/heure. Emportés par ce mouvement centrifuge, les paquets de peinture liquide que l’artiste a directement versés sur la toile s’étalent en coulures et se disséminent en une pluie colorée psychédélique.
    Lorsque Jackson relève la tête, la toile, les murs, le sol de la galerie en sont recouverts. On imagine sa jubilation quasi enfantine : ça crache, ça fait du bruit et aussi de la peinture !

    À soixante ans, l’artiste semble avoir de l’énergie pour dix. A peine redescendu de son scooter, le voilà actionnant devant son public un gros fauteuil fleuri qu’il a hissé sur un ressort. En soi, c’est déjà une sculpture grotesque : le fauteuil aux formes boursouflées, une fois en l’air, paraît lourd et ridicule, façon peut-être de tourner en dérision ce Lay-Z (nom du fauteuil lisible sur l’étiquette) et l’inertie dans laquelle il plonge son utilisateur. Après l’avoir recouvert de coussins fourrés de peinture rose bonbon, il l’agite furieusement en actionnant le ressort. Les coussins craquent sous la secousse et déversent leur liquide. Quand ceux-ci tombent, Jackson les saisit à pleines mains pour les remettre à leur place, se barbouillant au passage de ce cambouis flashy. Ca coule, ça colle, ça dégouline. Phase finale de mise à mort de la bête : Jackson propulse le fauteuil jusqu’au plafond et l’écrase sur toute sa longueur. Une fois pris en étau, il le fait tourner, dessinant au plafond un cercle rose presque parfait. Tout ça pour ça !

    Dans ces travaux, les moyens se confondent avec la finalité de l’œuvre, faisant partie intégrante du résultat. Les Wall Paintings en sont un autre exemple. Jackson fixe au mur des toiles trempées de peinture uniquement par un clou, puis les fait pivoter en les pressant énergiquement contre le mur, réalisant ainsi des traînées de peinture épaisses et circulaires.
    Répétant cette opération en plusieurs endroits du mur, il fait se rejoindre les cercles qui s’organisent en une harmonie colorée complexe. Lorsque la fresque est terminée, Jackson laisse pendre les toiles à leur clou, les intégrant au résultat final du travail.

    Richard Jackson se situe dans une tradition américaine de renouvellement de la peinture, tant par son emploi de formats gigantesques que d’un procédé pictural très physique, à la fois maîtrisé et ouvert au hasard. Mais on pense également aux Nouveaux Réalistes ; qu’il s’agisse des machineries de Jean Tinguely ou des tableaux tirs de Niki de Saint-Phalle, ces artistes ouvrirent également leur pratique de l’art au vocabulaire explosif de la secousse et de la collision.

    Richard Jackson
    Unusual Behaviour
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Pierrette Bloch

    Il y a 12 ans

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    Pierrette Bloch
    Depuis les années 1960, Pierrette Bloch aligne imperturbablement des petites touches d’encre noire sur des feuilles blanches qu’elle a posées au sol, à l’aide d’une plume ou d’un pinceau. Bien qu’elle ait aussi réalisé dans les années 1980 des travaux à partir de fils de crin noués ou agrégés en trames complexes, elle n’interrompt jamais cette pratique du dessin qui demeure privilégiée.

    Leur procédé très simple d’exécution dévoile la pression de la main, plus ou moins insistante, la qualité du geste, appliqué ou emporté. L’artiste déroule une écriture faite de pois, points, tirets et taches, à la fois nerveuse et concentrée, emportée par un mouvement qui se déploie du haut vers le bas, ou d’un côté à l’autre de la feuille.

    Pas de commencement ni de fin dans ces encres que Bloch réalise l’une après l’autre jusqu’à ce que sa main se lasse. La seule limite est en fait physique, semblable à celle ressentie par le promeneur que ses pieds ne peuvent plus porter. Ce n’est donc pas tant de limite qu’il faudrait parler que de « finitude ».
    « J’entreprends un long voyage sur une feuille, je m’enveloppe dans ce parcours ; ce n’est plus une surface, mais une aventure dans le temps. Le format n’existe plus ». Les métaphores de la promenade et de l’errance, reviennent souvent dans les textes concis que l’artiste écrit en contrepoint de son travail graphique.

    Marcher, tricoter, « faire des points », autant de pratiques qu’on peut réaliser de façon quasi somnambulique en raison de leur caractère répétitif et dont Bloch évoque le caractère apaisant. On sent sourdre en effet une inquiétude dans cette boulimie de dessin, l'écriture patte de mouche avec laquelle l'artiste recouvre compulsivement de longues bandes de papier, plus d’un mètre parfois, conjurant le temps qui passe.

    « Apprendre à ne pas développer, c’est apprendre à démasquer la contrainte culturelle et sociale qui s’exprime d’une manière autoritaire par les règles du développement » écrivait Blanchot dans L’Entretien infini. Pas de progression qualitative visible dans ce travail, pas d’arguments ni de justification : Chaque œuvre nous situe au cœur du propos de Pierrette Bloch qui tient tout entier dans ce travail de variation. Quotidiennement, du bout de son pinceau, elle expérimente une infinité de possibles, en se tenant sensible aux infimes modulations des signes que sa main dépose. A ceux qui verraient dans cette pratique un terrain d’intervention limité, Pierrette Bloch démontre depuis des années qu’il suffit pourtant d’une feuille blanche et d’un pinceau pour se donner le vertige…

    Pierrette Bloch
    Galerie Frank Elbaz, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Paul-Armand Gette

    Il y a 12 ans

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    Paul-Armand Gette
    Pendant vingt ans, Paul Armand Gette nous a convié à partager le plaisir hédoniste qui le lie aux êtres et aux choses, à la source même de son travail.

    L'artiste commence par photographier de très jeunes modèles, guettant un moment propice pour voler leur image. Il y a le cadre, le prétexte de départ : une promenade sur la plage avec deux petites filles, une partie de tennis avec une nièce, et l’occasion de la photographie, où elles se penchent pour ramasser un coquillage, une balle. Rapt, moment où le regard de Gette s’est délecté, non sans perversité, du passage d’un geste vers un autre, de l’état transitoire qui a fait remonter les jupes ou plaquer le short contre les fesses.

    Viennent ensuite d’autres séries photographiques, en couleur et de plus grand format, que Gette compose. Du rapt enregistré, on passe à la mise en scène très orchestrée de petites histoires dans lesquelles le plaisir du toucher se joint à la délectation visuelle, avec la complicité, cette fois-ci, de modèles plus âgés. La main de Paul-Armand Gette passe de l’autre côté de l’objectif, franchissant l’espace qui le sépare de son modèle pour saisir son pied délicatement bronzé. Sur la photo suivante, c’est la main du modèle qu’il prend, une paume ouverte au creux de laquelle est posée un coquillage renversé.
    Ces raccourcis subtils d’une rencontre entre deux corps mettent en branle un jeu d’équivalences et d’analogies : la paume de la main, plissée et chaude, réceptacle de ce coquillage au creux rose visible, le doigt de Gette, assez d’indices, semble-t-il, pour aiguiller nos interprétations.

    Des vulves, l’artiste en voit partout. L’obsession apparaît dans les fleurs, les fruits et les troncs d’arbres entaillés qu’il photographie. Armand Gette poursuit une vision paganiste où la Nature est femme et dont les petites déesses chthoniennes, à la fente bien visible sur le bas-ventre, célébraient déjà la générosité.
    La mythologie est ailleurs convoquée dans une série d’images figurant des nymphéas. Les fleurs sont déposées dans une baignoire aux pieds dorés, où repose une serviette brodée aux initiales de l’artiste. En référence aux ablutions que les nymphes de l’Antiquité pratiquaient loin des regards, Gette donne corps au fantasme, ou conjure l’impossible rencontre. Il évoque le passage des créatures divines par le dépôt de ces objets symboliques.

    Diane et Actéon, puni pour avoir surpris la nymphe au bain, sont d’ailleurs au centre d’une dernière série de photographies. Version 2000 de la déesse lunaire : une femme vêtue d’une robe à l’imprimé militaire de camouflage, à la lisière du visible et du caché. Une façon de rappeler à quel point Diane était désirable par le seul fait de demeurer insaisissable, figure clé du fantasme sexuel que célébrait déjà Klossowski.
    Nul sentiment de transgression n’apparaît cependant dans l’univers de Gette, rien n’est pathétique ni sentimental ; simplement hédoniste, subtilement libertin.

    Paul-Armand Gette
    Les Nymphalides
    Galerie du jour Agnès b, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Mills, Paik, Sugimoto...My Own Cinema

    Il y a 12 ans

    / Articles

    Mills, Paik, Sugimoto...My Own Cinema
    Avec My Own Cinema, la galerie Vallois interroge les liens entre arts plastiques et cinéma en présentant une sélection de travaux qui empruntent au septième art ses codes sémiologiques, son dispositif de projection ou son potentiel fantasmatique.

    Après s’être intéressé en 2001 à l’illustration sonore de Metropolis, le célèbre DJ Jeff Mills s’approprie désormais Three Ages de Buster Keaton, faisant travailler de concert des pratiques communes au cinéma et à la musique électronique : le collage, la boucle et la juxtaposition. L’image et le son subissent un traitement similaire de montage pour donner lieu à une composition ludique. Mills s’amuse à isoler une scène particulièrement grotesque, aux gestuelles éloquentes qui, une fois montées en boucle, se calent sur les pulsations de sa musique. Les sons redoublent les mouvements qui se répètent mécaniquement, et cette ponctuation électronique en fait rejaillir tout le comique.
    L’exploration des liens possibles entre image et son donne lieu à de multiples combinatoires qui conduisent Mills à réaliser des séquences quasi abstraites jouant sur des effets plastiques : l’image se démultiplie sur la surface de l’écran pour former un damier psychédéliques dont les palpitations lumineuses rappellent celles des boules à facette.
    Nam June Paik fait figure de pionnier dans la mise en place de cette écriture fondée sur le montage et le collage. Il décrivait ses vidéos comme « toutes construites en forme de sonates avec thèmes, contre-thèmes, développements, séquences plus ou moins rapides ». Rhapsody in RGB porte en son titre cette idée de composition musicale. La sculpture est composée de neuf téléviseurs encastrés dans un meuble, dont les pulsations cathodiques suivent chacune un rythme différent et construisent une grille hypnotique.

    Cette fascination de l’écran irradiant sa lumière de l’intérieur est également à l’œuvre dans les travaux du photographe Sugimoto. À la fin des années soixante-dix, il photographie des écrans de drive-in , livrant le portrait nostalgique d’un grand mythe américain. L’ouverture prolongée de l’obturateur, pendant tout le temps de la projection, annule les images du film pour n’en garder que l’empreinte luminescente. Cette mise en abstraction de l’écran de cinéma le réduit à l’état de trace, avec ce que cela comporte de rapport à la disparition et à la mémoire, mais en fait également le réceptacle possible de toutes les projections et fantasmes.

    L’industrie du cinéma, impossible à dissocier de son immense pouvoir de séduction, est aussi celle qui construit ces machines à fantasmes que sont les stéréotypes. Avec sa série photographique Untitled Film Stills, Cindy Sherman rejoue de façon troublante cette identification passionnée à un personnage de cinéma.
    Les stills sont ces quelques photographies tirées d’un film, destinées à servir d’appât visuel, comme une publicité. Celles de Sherman obéissent à la formule à suivre, synthétisant chaque fois, par la création d’un personnage féminin excitant les imaginations, d’une mise en scène éloquente, de postures et d’ambiances lumineuses très précises, un drame ou une romance de série B.

    Le travail de Matthias Müller met également en abîme ces représentations stéréotypées. Il monte bout à bout des séquences issues de films hollywoodien qui mettent en scène des femmes dans leur chambre à coucher se levant effrayées à l’entente d’un bruit. Les séquences s’enrichissent de ces jeux de similitude et de différences pour faire voir les ficelles de cette chorégraphie de l’effroi : jeu avec le hors cadre, bande musicale à sensation... D’autres artistes comme Saverio Lucarellio ou Joachim Mogarra sont également de la partie, qui « font leur cinéma » avec tout ce que cette expression suggère de fantaisie.

    Mills, Paik, Sugimoto...
    My Own Cinema
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2005     
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    Thème : Arts plastiques