TOUS LES ARTICLES

Marguerite Pilven

Marguerite Pilven

Critique d'Art, Commissaire d'exposition

www.margueritepilven.net

  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Nathalie Regard, Dream session Paris

    Il y a 8 ans

    / Articles

    Nathalie Regard, Dream session Paris
    L’explosion des nouveaux médias et de la neuroscience dans le champ social a favorisé ces dernières années l’essor de démarches artistiques interrogeant très directement en quoi notre perception est profondément influencée par des prédispositions inconscientes et comment l’étude de ses mécanismes permet de mieux penser notre relation au monde. En tant que peintre, Nathalie Regard a fait évoluer sa pratique du champ de la représentation vers une approche de plus en plus sédimentée de l’image transformée en code. Sa réflexion phénoménologique s’est toujours accompagnée d’un travail parallèle d’observation et de transcription de ses rêves. La présente exposition retrace un cheminement allant de ses premiers journaux de rêves, réalisés entre 1996 et 2008, à ses recherches neurophysiologiques initiées en 2011.

    L’exercice quotidien de transcription des rêves a exercé Nathalie Regard à se les remémorer de manière toujours plus précise. La particularité du rêve est de créer une réalité à laquelle on assiste du dehors bien qu’elle émane de soi. Nathalie Regard infiltre cet écart par une exploration physiologique de l’activité du rêve. Une branche des sciences cognitives qualifiée en anglais de situated cognition ou embodied cognition défend l’idée que l’on ne peut comprendre le cerveau sans l’inscrire dans un corps, une situation donnée. « Le cerveau existe dans un corps, le corps existe dans le monde et l’organisme bouge, agit, se reproduit, rêve, imagine. Et c’est de cette activité permanente qu’émerge le sens de son monde et des choses » explique le neurobiologiste Francisco Varela.

    Avec la collaboration des chercheurs Roberto Toro, neuroscientifique (Institut Pasteur) et Reyes Haro Valencia, neurologue (Clinique du Sommeil, UNAM, Mexique), Nathalie Regard a développé un protocole expérimental de surveillance du sommeil. Intégrer son corps dans ce contexte d’étude lui a permis de reconstruire le milieu  d’émergence du rêve, tissé sur les échanges permanents entre le dedans et le dehors, la perception interne et l’environnement. Pendant 80 nuits, ses rêves ont été enregistrés électriquement (méthode EEG) et stimulés de manière auditive, attestant, par moments, leur influence dans le récit de ses rêves. Ces correspondances entre l’activité cérébrale et l’expérience subjective du rêve ont été reportées sous la forme tangible de bas reliefs réalisés à partir de données encéphalographiques en 3D. On pourrait voir ces paysages abstraits comme des trophées balisant une quête impossible, les témoignages de connexions fragiles localisées entre l’état de sommeil et de veille, la possibilité tout juste entrevue d’interagir avec une mémoire corporelle ouvrant sur une conscience élargie de notre présence au monde.
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Cyrille Weiner et Grégory Lacoua, TWICE

    Il y a 8 ans

    / Articles

    Cyrille Weiner et Grégory Lacoua, TWICE
    Cyrille Weiner développe depuis 2001 un travail photographique décrivant des territoires contrastés, situés entre nature et constructions urbaines, ou abandon et restructuration de sites. Par l’observation de ces zones intermédiaires, il engage une réflexion sur l’occupation de l’espace et le temps de sa transformation; la façon dont l’individu s’y inscrit solitairement ou socialement, à la marge ou dans le cadre d’aménagement collectifs.

    Ces situations géographiques « entre deux » sont également vécues comme des respirations, des moments où le tissu urbain et son lot d’activité s’interrompent, ouvrant un vide où les habitudes perceptives et l’appréciation des espaces sont bouleversés. Les photographies que Cyrille Weiner réalise sur ces territoires traversés à pied deviennent un support de fictions. Il encourage leur lecture ouverte, et déconnectée de leur contexte d’origine, en construisant des scénarios qui prennent la forme d’expositions mises en scène, de projets éditoriaux et d’installations. Dans le cadre du cycle d’exposition Code Inconnu, il concrétise un projet évoqué depuis longtemps avec le designer Grégory Lacoua : concevoir un objet photographique hybride, à mi-chemin de la sculpture et du mobilier. Tous deux s’intéressent à la possibilité d’enrichir une relation au monde par la création d’objets et de situations dont l’identification incertaine appelle des usages inédits et ravive l’implication du corps et du regard.

    Trois photographies de Cyrille Weiner sont ici transférées sur des plaques de verres. Placées les unes derrière les autres, elles font apparaître un paysage flottant et poreux, à la fois naturel et urbain. Ce télescopage d’images rappelle l’effet de relief des anciennes stéreoscopies dont la présentation publique était destinée à un usage collectif. L’ensemble construit un espace de projection à la fois dense et cristallin que le regard traverse, réajuste et reconstruit à sa guise.

    MP
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Magali Daniaux et Cédric Pigot, 78°55’N

    Il y a 8 ans

    / Articles

    Magali Daniaux et Cédric Pigot, 78°55’N
    Le tandem d’artistes Magali Daniaux et Cédric Pigot développe depuis plusieurs années une œuvre profondément polymorphe. De la sculpture à l’installation monumentale en passant par le collage, la poésie sonore, la fabrication d’odeurs ou la création numérique, leur œuvre ne connaît plus de frontières. Elle tend aujourd’hui à prendre une forme de plus en plus immatérielle pour embrasser des sujets qui s’articulent autour d’une réflexion anthropologique sur l’habiter et sur la marchandisation du vivant.  

    Projeté pour la première fois en grand format, leur oeuvre 78°55’N s’inscrit dans un projet d’envergure mené depuis 2010 en Norvège, autour du Global Seed Vault, une banque stockant des graines de culture vivrière en provenance du monde entier. Ils identifient, sondent et délivrent les enjeux de ce “back up de la dernière chance” au fil d’une enquête de terrain mixant approche documentaire et science fiction. Ce projet intitulé “Devenir Graine” a pris la forme d’une plateforme éditoriale numérique accessible sur http://devenirgraine.org et http://lo-moth.com.

    Volet le plus contemplatif de ce projet, 78°55’N nous immerge dans un paysage de fjord et de glaciers filmé en temps réel à Ny Alesund. 78°55’N correspond à la localisation géographique de cet  endroit habité le plus au Nord du monde où se trouve une Station de Recherche Internationale. Les visiteurs sont invités à contempler cette nature intouchée, à confronter leur temporalité à celle, très lente, d’un paysage désertique, quasi statique, évoluant imperceptiblement au fil des heures, de la lumière et du passage des oiseaux.

    Le collectionneur souhaitant ouvrir un mur de son habitation sur ce paysage en changement constant obtiendra l’adresse Internet lui permettant d’y accéder. Les artistes interrogent la portée de cet acte : “Serait-ce une manière ultra-contemporaine de vendre du foncier dématérialisé ? Est-ce le premier pas vers une sorte de “viewshare” en référence au “timeshare”, pratique immobilière qui a explosée dans les années 80 ? Ou un accès en direct, 24h/24, au spectacle du réchauffement climatique, la fonte des glaces en Arctique ?”
    Le soir du vernissage, Hymn to the night, une performance sonore accompagnera la tombée de la nuit sur ce paysage onirique.

    Commissariat d'exposition et communiqué de presse pour la galerie laurent mueller
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Robin Meier, Fossil records

    Il y a 8 ans

    / Articles

    Robin Meier, Fossil records
    Musicien de formation, Robin Meier mène depuis plusieurs années une recherche de nature éthologique axée sur l’intelligence comme capacité d’interagir avec l’environnement. Il crée notamment des dispositifs lui permettant d’établir une communication avec le règne animal par l’adresse de signaux sonores, mais aussi de simuler ou de modifier son comportement.
    Si le monde du signe et de l’artifice distingue traditionnellement l’homme de l’animal, Robin Meier revient sur ce critère d’évolution pour l’explorer et l’interroger. Par les dispositifs qu’il met en place, l’animal devient cet “autre” avec lequel il établit un échange à travers l’étude de ses comportements et de son langage.

    Il n’est à ce titre pas anodin que Robin Meier ait utilisé la banque sonore du Golden Record dans le cadre de l’une de ses recherches. Ce disque embarqué par la Nasa à bord des sondes spatiales Voyager contient des sons enregistrés sur terre choisis pour leur caractère “universel”. Destiné à d’éventuelles formes de consciences extra-terrestres, il est surtout une invitation à interroger notre vision anthropocentrique du monde en élargissant le spectre de notre rapport à l’Autre, à l’inconnu.

    La recherche “paléo-acoustique” qu’il réalise pour le Studio en emprunte le caractère utopique fondé sur une possibilité de rencontre défiant l’espace et le temps. Robin Meier analyse et interprète musicalement la stridulation d’un insecte d’époque préhistorique à partir des nervures de ses ailes visibles sur un fossile.

    “La première possibilité pour que Voyager passe par une planète potentiellement habitée sera dans plusieurs millions d'années - un temps après lequel une bonne partie des sons contenus sur ce disque auront disparus sur terre, comme les sons de l’insecte que je reconstruis. Quelque part on se trouve donc dans la situation des extra-terrestres retrouvant Voyager ! Par ailleurs la méthode de production sonore de ces insectes, appelée stridulation, ressemble dans le principe tout à fait à ce que fait un tourne-disque dont l'aiguille est mise en vibration par les sillons du disque. J'aime ce double parallèle que je voudrais mettre en œuvre pour l'incarnation physique de ce projet.”

    Commissariat d'exposition et communiqué de presse pour la galerie laurent mueller / STUDIO
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Mischa Kuball - Playtime (domestic version) Paris
    Scénographe de l’image projetée, Mischa Kuball interroge les dispositifs de médiation de la réalité par les médias et ses implications sociales. L’installation playtime (domestic version) - Paris, lui a été inspirée par le film éponyme de Jacques Tati et les recherches optiques de Marcel Duchamp synthétisées dans Le Grand Verre.

    La sophistication technique, qui prend en charge toutes les approches de la réalité médiatisée par les images, permet–elle une meilleure communication ? Autorise-t-elle une connaissance extensive du monde où constitue-t-elle un barrage pour la vision ? Le foyer de l’installation est un film tourné dans les rues de Paris et sur-médiatisé par un dispositif de projection complexe qui l’étire et le disperse dans le temps et l’espace. Mischa Kuball a souvent fait de cette « vision éclatée » le sujet de son oeuvre. Des « présents d’ailleurs » infiltrent quotidiennement notre vie à travers les écrans portables qui nous accompagnent. Ces fenêtres nous déplacent facilement de l’endroit où nous étions, ou du problème qui nous retenait ; nous voici soudain soustraits, distraits de nous même, l’ici et maintenant éclate.

    En imaginant un dispositif proche de celui des lanternes magiques, Mischa Kuball « brise les divisions traditionnelles entre imagination, espace et temps causées par les développements technologiques et débattues en sciences ». L’ensemble évoque tout autant les images fuyantes d’un paysage perçu d’un train en marche que les spectacles polychromes provoquées par les vitraux dans les architectures religieuses. Ce ballet mécanique est un condensé centrifuge d’expérimentation optique et d’émerveillement pop.

    Le caractère inachevé de l’installation playtime (domestic version) - Paris conserve un style interrogatif, proche d’une réflexion phénoménologique portée sur le terrain favori de l’empirisme; la perception. En bon scénographe, Mischa Kuball mise sur la capacité de chacun à organiser ce flux continu d’interactions. Il retient l'ambivalence critique du film Playtime qui convertit les frustrations et les ratés de l’expérience en des catalyseurs de poésie.

    Commissariat d'exposition et communiqué de presse pour la galerie laurent mueller
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Corinne Laroche, Mes heures cadmium et lumnieuses n'ont rien à craindre des noirs profonds de la nuit
    Depuis 2007, Corinne Laroche développe un dessin dont une grille fournit la structure de base, le point de repère et l’horizon. Maintenue plus ou moins visible en surface, mais non moins présente, cette grille permet le déploiement intensif et expansif d’un geste simple, de l’ordre du griffonnage. Ce protocole une fois posé élude les questions de choix compositionnel et de techniques pour favoriser l’approche intuitive, tout comme l’improvisation musicale repose sur une partition invisible.

    Parlant de partition, c’est l’art de la fugue de Bach qui donne son titre à la série de dessins formant le cœur de cette exposition, Rectus-Inversus. « Cette musique relève d'une rythmique imperturbable, parfaitement contrôlée qui provoque une mise en concentration mentale incroyable, sa composition est un jeu d'écritures mélodiques superposant endroit et envers, forme et contreforme ». Réalisé en 2010 et formé de quatre diptyques, Rectus-Inversus, est conçu à partir des pixels d’une image numérique formant un schéma de départ. Chaque schéma génère deux dessins binômes, l’un étant le négatif de l’autre. Présenté la même année à Berlin (2010), Rectus-Inversus a ensuite fourni la matrice d’un nouvel ensemble de dessins intitulé Extension I. Ces trois moments de développement de l’œuvre, de la création d’un schéma à la réalisation d’un premier ensemble de dessin et à sa reprise, forment le segment de ce que l’on peut considérer comme un seul et même dessin, ou dessein : lier entre eux des instants, des espaces, faire apparaître après coup leur appartenance à un flux vital de création faisant progressivement advenir une « géographie personnelle ».

    Les « heures cadmium et lumineuses » dont il est question dans le titre adressent d’ailleurs un écho à une série de dessins réalisée depuis 2007 au crayon sur un papier pré-quadrillé, Mes Très Riches Heures, des pages d’écriture d’une grande sobriété graphique que l’artiste assimile aux exercices d’un écolier faisant ses pages de lettres. Il y a quelque chose du moine copiste dans l’exercice méditatif de reprise qui sous-tend tout le travail de Corinne Laroche, et caractéristique du travail minutieux d’enluminure auquel le titre fait bien sûr référence.

    Dans la tradition religieuse de l’icône qui intéresse particulièrement l’artiste, la copie d’une même figure n’est pas vécue comme une restriction, mais comme la possibilité de chasser l’anecdote liée aux choix de sa stylisation pour se concentrer sur la somme d’instants nécessaires à son apparition. Il en est de même chez Corinne Laroche, dans la dissociation qu’elle établi entre le temps de réalisation indéterminé de l’ouvrage et la possible émanation d’une figure. Par « figure », Corinne Laroche entend « tout ce qui peut faire l’objet d’une évocation de forme connue chez le regardeur ». Si l’œuvre n’est pas figurative à proprement parler, il n’en demeure pas moins qu’elle peut évoquer par son mouvement d’expansion une forme de territoire géographique, un paysage ou la formation cellulaire d’un corps. Chez Corinne Laroche, l’image est toujours à venir, sa révélation est différée, comme étirée dans le temps d’une œuvre perçue à l’échelle d’une vie.

    Communiqué de presse pour la galerie laurent mueller
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Playtime, le corps dans le décor (2)

    Il y a 9 ans

    / Articles

    Playtime, le corps dans le décor (2)
    L’exposition Playtime prend pour fil rouge le thème du « corps dans le décor ». Elle se structure par une installation d'Elvire Bonduelle redistribuant l'espace d'exposition autour d'un tourniquet composé de quatre "coins d'attente" . Le visiteur est invité à s'y asseoir pour contempler les oeuvres.

    L'exposition s'ouvre sur un dialogue établit entre les photographes Lucien Hervé et Cyrille Weiner, à travers une sélection de leurs photographies filtrée par des références au film Play Time de Jacques Tati, réalisé en 1967.  Par ses collaborations avec Le Corbusier, et des architectes majeurs du modernisme,  Lucien Hervé a contribué à mettre en image la radicalité de la modernité comme instauration d’un ordre nouveau et le projet social qu’elle a porté en repensant l’habitat. Lucien Hervé fait œuvre de photographe bien plus qu’il ne documente l’espace construit. Il en amplifie les effets, les dynamise, les relationne dans un jeu fortement contrasté d’ombres et de lumière. Son oeil est dans la machine photographique. La récente publication intitulée « Le Corbusier – Lucien Hervé – Contacts » (ed. du Seuil)  atteste que le mouvement du corps est indissociable de sa conception de l’architecture. Son regard, sensible au caractère dynamique de l'espace habité, n'a pas seulement documenté les constructions de Le Corbusier; il a amplement contribué à enrichir la perception de l'architecte sur son objet d'étude. En vérité, c'est une autre nature qui parle à la caméra que celle qui parle à l'œil", écrivait Walter Benjamin.

    L’ambition des urbanistes d'après-guerre a été de replacer l’humain au cœur de la ville, mais l’architecture normative (et non plus fonctionnaliste) qu’elle a généré s’est progressivement écarté de cette volonté de départ.
    Cyrille Weiner est l’homme d’une autre génération, celle qui a vu le projet social de l'architecture moderne glisser vers l’écueil de la cité dortoir, où « habiter » s’est confondu avec « loger ». Loger un corps n'est pas nécessairement l'encourager à habiter un espace. C'est ainsi qu'en allant chercher l'humain en marge des villes, là où aucun dessein architectural ne l’attend, Cyrille Weiner a observé ses comportements de vie. Là où la pensée rationnelle des espaces s'évanouit, des actions improvisées s'engagent. Elles échappent aux loisirs planifiés et au bonheur standardisé. L'approche de Cyrille Weiner est optimiste et sans nostalgie, avant tout sensible à la façon dont l’homme se réapproprie son environnement. Le photographe se penche sur les usages, parfois totalement décalés, qui sont fait d'un espace construit pour ouvrir une réflexion d'ordre anthropologique sur l'habiter.

    Chez Elvire Bonduelle, des œuvres liées à l’idée d’aménagement de l’habitat irriguent une réflexion sur le fait de « trouver sa place ». Au moyen d'installations, dessins, et mobiliers aux formes volontairement simples et dépouillées, où le design de type fonctionnaliste flirte avec le dessin d'enfant, elle imagine depuis quelques années des "oeuvres praticables." Cette "dictatrice du bonheur", comme elle aime à se définir, s'attache ici à "concevoir" du confort dans l'espace d'exposition, un lieu qui tend souvent à oublier le corps pour ne favoriser que la projection mentale dans les oeuvres. L'oeuvre d'Elvire Bonduelle tente ainsi de restaurer un équilbre entre le corps et le décor.

    Les artistes Emese Miskolczi et Nathalie Regard ouvrent la réflexion sur l'habiter à l'ère du numérique. Leurs œuvres se situent à l’intersection du visuel et du virtuel. La métaphore machinique est fortement présente dans les travaux de ces deux artistes, marqués par la notion de processus et de répétition. Elle entretien une connivence avec la définition de la maison comme "machine à habiter" par le Corbusier. La dématérialisation des espaces représentés évoque également ces nouveaux territoires de la "surmodernité" appelées « Non-Lieux » par le sociologue Marc Augé, des lieux de passage non destinées à être habités comme les aéroports, les salles d’attentes ou les écrans d’ordinateur ; l’appareillage informatique appartenant, en partie, au même espace que celui dans lequel notre corps agit 1. La fascination de ces deux artistes pour les zones intermédiaires s’exprime par une reconstruction plastique de leur nature transitoire. La métaphore du chantier comme valorisation du travail, très présente chez Lucien Hervé, resurgit également avec force dans leurs oeuvres.

    En fin de parcours, l'installation de Mischa Kuball, "Playtime domestic version", synthétise l'approche dynamique, et phénoménologique de l'espace rythmant l'exposition et accordant une importance à l'interaction du visiteur avec les oeuvres. Cette oeuvre immersive met en relation la vue et le mouvement. Elle plonge le visiteur dans l'obscurité, au coeur d'une projection d'images mouvantes filmées à Paris et se jouant de ce qu'il voit.

    Pour conclure... Issus d’une génération témoin de mutations importantes dans l’espace urbain, Lucien Hervé (1910-2007) et Jacques Tati (1907-1982) apportent une perspective historique sur les travaux des cinq autres artistes : Lucien Hervé rappelle à quel point la photographie a accompagné les étapes du mouvement historique moderne : la transformation urbaine, le nouveau paysage industriel, l’expansion du territoire. Le regard qu’il porte sur l’architecture de son temps est emblématique d’une approche utopique du « vivre ensemble ». Si l’urbanisme moderniste a insisté sur la vocation relationnelle et sociale des espaces aménagés, les « Non-Lieux » renvoient à l’expérience du déracinement, mais aussi à la dérive contemplative, celle que décrit Jacques Tati dans Playtime avec les personnages de Mr Hulot déambulant dans "Tativille" et d'une jeune touriste américaine se séparant de son groupe organisé.
    De l'urbanisme moderniste à l'appropriation de friches et de territoires virtuels, cette exposition est une réflexion anthropologique sur l’habiter, liée aux usages de l’espace construit. « C’est seulement si l’on a la capacité d’habiter que l’on peut construire », écrivait Heidegger dans un texte intitulé "Construire, Habiter, penser".

    MP, août 2013

    1 - Ces lieux sont mentionnés à titre d’exemple. Tout lieu peut devenir un « non lieu » et inversement, en fonction de l’usage que l’on en fait. Une friche urbaine ou naturelle (non-lieu) peut devenir un squatt (lieu) et une habitation devenir un « non-lieu », comme le décrit Tati dans Play Time, avec les "appartement-vitrines.

    Présentation du commissariat d'exposition Playtime, le corps dans le décor, réalisé à saint Dié des Vosges, du 11 juillet au 21 septembre 2014.
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Danica Phelps - the more poetic side of money -
    Pour sa première exposition en France, Danica Phelps montre à la galerie laurent mueller une série de dessin extraits d’un projet de vie intitulé Income’s Outcome. L’exposition comporte également d’autres oeuvres réalisées sur place, lors de son séjour parisien avec son fils Orion, dans le studio jouxtant la galerie. Composé comme un journal intime, Income’s Outcome repose sur une économie de vie que Phelps consigne, sauvegarde et partage avec le spectateur. Rien n’est évacué dans ce cycle vital de la production et de la dépense qui rythme le déploiement de sa série,et en définit la cadence comme le contenu. Phelps partage aussi bien les épisodes tumultueux de sa vie sexuelle, qu’un simple passage à la laverie ou une sortie avec son fils. Ces épisodes esquissés d’un trait sensuel et précis, comme saisis dans le vif, s’accompagnent d’informations chiffrées sur ce qu’ils ont coûté. Ces moments d’intimité et de création qui n’ont pas de prix sont ainsi comptabilisés.

    Danica Phelps tient ses comptes quoi qu’il arrive. Ce protocole, aride et disciplinaire, semble interroger, voire refuser, la division de l’art et de la vie, du travail et du plaisir. En confrontant deux écritures, celle, sensuelle et légère des dessins, et celle, comptable et fastidieuse (parfois déléguée à des assistants), de codes barres placés en bas de chaque dessin, Phelps touche un nerf sensible du marché de l’art qui en est aussi le levier : la confrontation entre valeur d’usage et valeur d’échange, circulation du désir et investissement.

    La circulation de l’argent, son côté le plus poétique serait donc la matérialisation objective d’un flux vital. Danica Phelps fait d’ailleurs de ses acheteurs des maillons de son oeuvre. Elle consigne leur nom sur une seconde génération de dessins réalisée par un transfert sur papier de soie de chaque dessin vendu. Ces reproductions sont réalisées sur demande, et sans limitation du nombre. L’acheteur de seconde main est informé des ventes précédentes du dessin de son choix. Lieux et dates des transactions, identité des acheteurs informent chaque nouveau propriétaire du son pedigree ou de la généalogie de son acquisition. Leur prix est en revanche immuable et fixé par l’artiste en fonction de l’importance affective qu’elle leur accorde.

    La subversion du travail de Danica Phelps ne repose pas tant sur l’étalage de sa vie intime et financière que sur une profonde remise en question des critères de valeur de l’art, sa démarche consistant à en analyser les moyens matériels d’existence et à en permettre les conditions.

    Communiqué de presse de l'exposition à la galerie laurent mueller (5 juin - 18 juillet 2014)
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Olivier Leroi - Double printemps

    Il y a 10 ans

    / Articles

    • 1 - Untitled
      Untitled
    • 2 - Image Olivier Reloi Double Printemps
      Image Olivier Reloi Double Printemps
    L’exposition regroupe des dessins et sculptures d’Olivier Leroi sélectionnés sur l’ensemble de son parcours. Ce choix valorise deux aspects qui le sous-tendent : une importance accordée au geste, une perception affinée de la réalité au-delà de son apparence.

    Olivier Leroi dessine sur des feuilles de papiers choisies. Des indices de leur vécu en guident le sens. Les dessins s’ancrent dans un moment en le cristallisant et sont la manifestation d’une conscience, un précipité d’expérience. Leur sobriété, alliée à une attention ténue au détail, touche à la question des origines, au sens de l’acte. Ces allégories construites sur des glissements d’échelles associent l’observation concrète aux visées de l’attente. Le plus intime interroge le plus universel, l’infime et l’infini dialoguent dans un mouchoir de poche.

    Lorsqu’il dessine à partir d’images imprimées, Olivier Leroi les découpe pour leur attribuer de nouveaux contours. Ainsi, leur matière se fait substance. Elle migre vers une possibilité de sens décelée dans l’épaisseur de son information. Souvent présent dans ses oeuvres récentes, le personnage de Pinocchio ne symbolise-t-il pas la transformation de la matière en énergie ?

    Par un jeu de correspondances entre le visible et l’invisible, Olivier Leroi bouscule la neutralité de la perception qu’il rattache à la connaissance de soi. Les éléments qu’il assemble dans ses collages ont une fonction souvent métonymique. Par leur diversité de nature, Olivier Leroi convoque une pluralité de mondes ; il en provoque la convergence inattendue au moyen d’équations qu’il revient à l’autre de résoudre.

    L’ironie socratique d’Olivier Leroi défait les certitudes et surprend. Elle tient à une économie de circonstances dont la teneur fait la vitalité de l’oeuvre. C’est ce temps premier du regard, celui de l’étonnement renouvelé, qu’il invite à ressentir et dont il nous propose l’éclosion.

    Communiqué de presse de l'exposition commissariée à la galerie laurent mueller, du 25 mars au 26 avril 2014.

    Olivier Leroi est né en 1962 à Romorantin, France.
    Forestier de formation, il a suivi le cursus de l’Institut des hautes études en arts plastiques à Paris, dirigé par Pontus Hulten. Lauréat du prix Altadis, il a notamment exposé au Château d’Oiron (2004), et au Parvis centre d’art contemporain, Ibos (2005), dans le cadre de la Force de l’art, (2006) et dans les galerie Anne de Villepoix (2003), Sémiose (2008) et Aline Vidal (2009). Il a réalisé plusieurs commandes publiques dans le cadre du 1% artistique et a dernièrement été invité par la Fondation de France à réaliser un ”cabinet curieux” au parc de Branféré. Son oeuvre figure dans plusieurs collections privées et publiques dont : Collection Claude Pompidou, FNAC, FRAC Limousin, FRAC Haute-Normandie. Son travail fait l’objet d’une monographie qui se prépare actuellement chez Actes Sud.
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Emese Miskolczi, Présences

    Il y a 10 ans

    / Articles

    Emese Miskolczi, Présences
    Depuis plusieurs années, Emese Miskolczi construit une œuvre qui mixe la photographie et la vidéo. Chaque sujet qu’elle approche génère une méthode de travail en plusieurs étapes. L’artiste observe une situation qu’elle documente de manière exhaustive. Elle retranscrit ensuite cette documentation de façon intuitive et contemplative. Dans ses montages vidéo et ses photographies longues poses, le temps devient une matière qu’elle fractionne, étire, dissèque et manipule. Elle tente ainsi d’ouvrir de nouveaux horizons perceptifs sur une réalité que nous croyons connaître.

    Avec le soutien de l’Espace Photographique Arthur Batut, Emese Miskolczi a sollicité cent quarante huit habitants de Labruguière pour les filmer et réaliser des portraits de groupe à partir de leurs traits individuels. Commerçantes, rugbymen, aides soignantes, pêcheurs, hommes et femmes du club des aînés, élèves d’une classe Maternelle, adolescents du collège ont ainsi défilé devant sa caméra. L’artiste leur a chaque fois demandé de prononcer une phrase de présentation choisie pour l’ensemble du groupe en fixant des yeux l’objectif1. La série couvre un prisme d’activités qu’elle a souhaité la plus ample possible. Elle s’étend également aux âges de la vie : les modèles les plus jeunes ont quatre ans et les plus âgés sont à la retraite.

    Le portrait social n’est ici pas issu d’une juxtaposition de ses membres mais de la surimpression numérique de leurs images. Superposés, synchronisés dans leurs mouvements, ces portraits parlent, respirent et clignent des yeux comme une seule personne. Le visage qui émerge de leur télescopage est une image purement virtuelle. Elle est la formule visuelle condensée de tous ceux et celles qui lui ont donné leurs traits.

    Cent quarante huit portraits, juste assez pour approcher significativement  les différents visages de Labruguière, en pénétrer la substance, les traits communs. Mais si condensée soit-elle, cette formule reste vacillante. Montée en boucle, son apparition et ses métamorphoses évoluent à une vitesse que nos yeux peinent à suivre consciemment. La fixation longue de ces portraits dans les yeux fait apparaître une multiplicité d’images subliminales dans la friction de leur matière en mouvement. En invitant l’œil à se tenir aux aguets, Emese Miskolczi suggère que les effets de surface sont un leurre. Elle ne décide pas de l'apparence finale de ces images, mais construit le dispositif qui permet de les faire apparaître.

    Le montage en boucle est au temps ce que la superposition est à l’espace : une tentative d’extraire une vérité contenue dans les traces mémorielles de la matière, à force de répétition. Aucun des modèles ayant posé pour ces portraits ne se reconnaîtra en propre, car il n’est donné à personne de commander les expressions de son visage ni de les percevoir. C’est justement ce décalage entre un visage et l’image de ce visage qu’Emese Miskolczi explore par les voies du ressemblant. Les images qu’elle compose sont la manifestation troublante d’une part insaisissable de l’identité recherchée entre le singulier et le général, au carrefour de l’individuel et du collectif.

    L’émotion ressentie à la vue de ces corps vibrant à l’unisson tient sans doute à une forme de sublimation que l’on retrouve dans les chœurs dramatiques ou musicaux. La force de la parole (ou de l’image) commune est qu’elle fait entendre aussi bien son unité que sa dispersion ou sa diversité. Les portraits composites réalisés par Emese Miskolczi sont un équivalent visuel de la polyphonie : une combinaison de plusieurs voix indépendantes liées les unes aux autres par les lois de l’harmonie.

    Marguerite Pilven    

    Texte du catalogue d'exposition Présences, proposée à l'Espace Arthur Batut du 13 décembre 2013 au 14 février 2014.

    1 « Je donne des soins », pour les aides soignantes, « j’ai quatre ans »pour les élèves d’une classe de Maternelle, « je suis une des anciennes de Labruguière », pour les femmes du Club des Aînées…
    Suite
    Thème : Arts plastiques