TOUS LES ARTICLES

  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Marguerite Pilven

    Il y a 13 ans

    Marguerite Pilven

    http://www.margueritepilven.net

    Ce site présente les articles de Marguerite Pilven à propos d'art contemporain

    Thème : Arts plastiques
  • Vacillements

    Il y a 13 ans

    / Expositions et résidences / Interlignes / Présentation

    • 1 - DSC_0072
      DSC_0072
    • 2 - Séquence 43
      Séquence 43
    • 3 - FLG-1
      FLG-1
    Vidéo HDV, 2 minutes 40

    avec la participation d'Aurélien Mascaut

    L’image énigmatique d’un adolescent suspendu dans le vide, avec sa part d’humour burlesque et sa part de frayeur menaçante, nous plonge dans l’ambiguité. Transporté le long d’un « travelling » sur un pont roulant mécanique, on se prend à imaginer les marchandises qui étaient jadis transportées à sa place. Entre l’usine, symbole de lourdeur et de pollution d’un côté, et la verdure légère et oxygénante des arbres de l’autre, un monde lui aussi ambivalent et fait de juxtapositions se dessine. Ce signe particulier de Ferrière-la-Grande et de son profil « rurbain », où ces deux réalités ont longtemps cohabité sans empiéter l’une sur l’autre, nous frappe désormais tel un vacillement du sol sous nos pieds. Les transformations du paysage au cours de l’histoire ainsi que les vestiges de l’activité industrielle constituent comme un patrimoine en creux. En investissant ce dernier, on peut dès lors trouver une manière de réinscrire la dimension « vitale » de l’expérience ouvrière que suggère la captivité flottante de l’adolescent. En effet si le développement économique a reposé sur l’édification de machines de diverses sortes, l’économie n’en demeure pas moins elle-même une « machine » à l’intérieur de laquelle doivent se développer les vies d’hommes, de femmes mais aussi d’enfants (aussi bien l’enfant au travail à certaines époques que l’enfant face à l’avenir).

    L’adolescent perdant le sens de la gravité pour s’envoler symbolise l’héritage paradoxal des ressources énergétiques autrefois générées ; mais elles ne sauraient faire oublier les énergies humaines qui s'y sont investies. Ce corps gesticulant de toutes ses forces recèle sans doute un signe d’ironie contre l’idée préconçue du dépeuplement ou du « no man’s land » que l’on prête souvent aux régions désindustrialisées où les usines ont fermées ; mais il tient aussi au-delà d’une chaîne sur laquelle les corps se sont épuisés individuellement, la promesse d’une « chaîne » possible entre les générations d’hier et celles de demain. L’œuvre de Luc Bérimont (Le bois Castiau) nous invite d’ailleurs à concevoir l’enfance, non comme un moment figé dans le marbre du passé, mais comme un état de mutation temporelle où le passé et le présent se rencontrent et insufflent de la vie dans les lieux d’où elle s’est échappée ou consumée.
    Suite
    Thèmes : Arts plastiques, Vidéo
  • L'Harmonie

    Il y a 13 ans

    / Expositions et résidences / Interlignes / Présentation

    • 1 - DSC_0148
      DSC_0148
    • 2 - Séquence 43c
      Séquence 43c
    • 3 - Séquence 43d
      Séquence 43d
    Vidéo HDV, 7 minutes 20

    avec la participation des membres de l’Harmonie municipale de Ferrière-la-Grande


    Tel un cortège d’anges musiciens mais rebelles qui voudraient manifester leur mécontentement, l’Harmonie avance vers nous mais arrive de très loin, comme le tonnerre qui gronde par échos. Le caractère cacophonique ou « déréglé » de leur musique, comme si chacun jouait dans sa bulle alors même qu’ils avancent comme un seul homme, entre en contact métaphorique et « romantique » avec la nature luxuriante qui les entoure. Ainsi du ciel et de sa lumière qui semble accompagner le mouvement de la fanfare par alternance d’éclaircies et d’ombres. Ces troubadours désenchantés deviennent des oiseaux de bons et de mauvais augures, annonçant les humeurs du ciel comme les mariages et les deuils, faisant la pluie et le beau temps sur la vie en communauté.

    Dieu sait quelle nouvelle ils sont venus annoncer cette fois-ci ; car leur marche fait d’abord l’effet d’une procession surréaliste où chacun retrouve son âme d’enfant, celle qui souffle dans l’instrument sans réfléchir au son qui en sortira. Mais l’innocence du souffle n’empêche pas la dimension collective et intergénérationnelle de faire pressentir la mélodie de l’Événement ; celle qu’on entend siffler en douce, à l’orée des grands mouvements de l’histoire, sans en reconnaître les notes. S’il est encore tôt pour prédire la destination de ces trouble-fêtes de l’Harmonie, ils rappellent par ailleurs tout un musée imaginaire où cohabitent les Musiciens du Caravage qui semblent n’en faire qu’à leur tête, les Musiciens tragiques de James Ensor qui forment un orchestre zoologique et la Sainte Cécile (patronne des musiciens) de Raphaël qui regarde le chœur des anges trônant dans le ciel alors qu’à ses pieds traînent des flûtes et des luths déglingués.
    Suite
    Thèmes : Arts plastiques, Vidéo
  • Vives voies

    Il y a 13 ans

    / Expositions et résidences / Interlignes /  Présentation

    Série de cinq vidéos HDV (5'15, 3'25, 8', 2'50, 2'10)

    avec la participation de Michèle Debrenne, Henry Fontaine, Sylvie Heuclin, Lucienne Philippe et Luisa Seba

    Les cinq micro-fictions prenant directement place sur la voie ferrée qui traverse Ferrière-la-Grande indiquent une ligne de temps imaginaire. Les personnes que l’on rencontre à différents points de cette ligne y improvisent en solitaires, comme les protagonistes d’un film d’anticipation. Sauf qu’ici la "science-fiction" ne doit plus se comprendre comme une forme désengagée de prédiction de l’avenir, placée sous le signe de l’inéluctable et de la catastrophe, mais au contraire comme la capacité de chacun à transgresser le temps du quotidien, pour entrer, à sa manière et avec ses moyens, dans une temporalité utopique. Car la voie ferrée, à la fois dans et hors de la vie des habitants, à la fois trace du passé avec le développement industriel et voie de transit vers un avenir inconnu, devient comme la scène mentale de ces récits mis-en-gestes.

    Gestes d’expérience (jouer une mélodie, se mesurer à un habitat) ou gestes compulsifs (collectionner, tricoter), tous guidés par l’horizon de l’enfance où les barrières du vrai et du faux s’écroulent. L’important n’est pas de faire semblant que nous partons pour un long voyage sous la protection d’une troupe d’animaux, mais plutôt la potentialité des lieux et des histoires multiples auxquels ce départ nous relie. Organiser son environnement en fonction des  mondes intérieurs qui nous habitent, toucher aux objets comme à des  témoins de notre lien fragile avec le présent… voilà l’attitude de celui qui "sort" de son rôle au lieu d’y entrer, conscient qu’il faut parfois se couper des autres pour mieux voir apparaître le "jeu social". Ainsi le plan-séquence, qui tranche l’espace tout en intensifiant la durée, révèle la dimension rituelle de nos manières de faire, d’être et d’apparaître ; nos résistances aux normes du langage et du vivre-ensemble.
    Suite
    Thèmes : Arts plastiques, Vidéo
  • Pièces et mémoire

    Il y a 13 ans

    / Expositions et résidences / Interlignes / Présentation

    • 1 - DSC_0060b
      DSC_0060b
    • 2 - FLG-9
      FLG-9
    • 3 - Séquence 1b
      Séquence 1b
    • + 1 media(s)
    Installation en boucle, vidéos HDV 8’40 et 11’15, vidéo analogique 19'

    avec la participation de Robert Carlier


    Le triptyque de vidéos réalisé en collaboration avec Robert Carlier, ancien ouvrier de la fonderie Miroux à Ferrière-la-Grande, nous plonge dans une triple dimension. Celle-ci se compose d’une visite-souvenir, aujourd’hui, sur la friche de l’ancien site ouvrier fermé en 2002 ; d’un film personnel qu’il réalisa en 1991 à l’intérieur même de l’usine avant son licenciement économique en 1998 ; et enfin d’une vidéo qui met en scène les modèles réduits sophistiqués qu’il construisit durant son temps libre, reprenant à l'identique les formes, les matières et les couleurs de ces machines qu'il réparait tous les jours à l'usine. Lors de sa visite, Robert Carlier nous éclaire de ses souvenirs sur les détails d’une journée de travail type, sur l’organisation et les recoins de l’usine. Mais la mémoire qui se met au travail aléatoirement sur le terrain vague prend la forme d’une description vivante, au présent, qui déstabilise notre conception du témoignage. Les mouvements zélés de sa baguette feraient presque apparaître les machines comme par le pouvoir d’une invocation magique. Le dialogue fictif qu’il établit avec ses collègues de l’époque se prolonge ensuite dans les images filmées par Robert Carlier lui-même. Les regards complices et les plaisanteries suscités entre collègues par la caméra se détachent alors de la chaîne de travail et de l’automatisme des machines.

    Si les images témoignent autant des transformations introduites par la caméra que de l’usine elle-même, il ne faut pas oublier que le geste de filmer outrepasse l’interdit opposé par le lieu de travail, qui s’avère donc aussi un lieu d’échange et de sociabilité. Puis par l’effet renversant de la troisième vidéo, la main de l’ouvrier n’est plus contrainte à suivre le rythme imposé par la machine mais elle la manipule dans un décor lilliputien. La force de travail pure se voit soudain réinvestie dans le savoir-faire de l’ingénieur maquettiste. Les trajets vacillants de la mémoire qui vont d’un point à un autre, du passé au présent, nous amènent désormais au royaume d’un art de la mémoire. Ici l’expérience se reconstruit « pièce » par « pièce », comme l’édifice d’une vie où le travail rime amèrement avec l’enfance, mais où les modèles réduits survivent aux usines.
    Suite
    Thèmes : Arts plastiques, Vidéo
  • Futur antérieur

    Il y a 13 ans

    / Expositions et résidences / Interlignes / Présentation

    • 1 - DSC_0113
      DSC_0113
    • 2 - Séquence 43b
      Séquence 43b
    • 3 - FLG-2
      FLG-2
    Vidéo HDV, 6 minutes

    avec la participation de Geoffrey Daux

    Un personnage s’avance, vêtu d’une combinaison qui semble autant celle d’un bactériologue en mission scientifique que celle d’un cosmonaute tombé sur une planète abandonnée. Car si la planète en question n’est autre que la terre, les gestes précautionneux et méthodiques qu’il accomplit nous en éloignent, comme si nous étions en zone de haute radioactivité. Il rôde ainsi une irrésistible atmosphère de science-fiction, ou à tout le moins, une remise en cause de la gravité terrestre (on pourrait aussi bien imaginer le personnage sous l’eau, explorant une carcasse de bateau). On pense au scénario spectaculaire du « dernier homme sur terre », que le cinéma a souvent revisité, mais rejoué ici avec une certaine distance comme la métaphore du dernier témoin, celui d’une culture ou d’une société que l’Histoire n’aurait pas retenue dans ses pages officielles. Les crevasses et les angles asymétriques du bâtiment déchu semblent donc figurer les méandres d’une mémoire que notre scaphandrier arpente pour mieux les combler.

    Les bruits de machines et d’usines qui retentissent en fond sonore offrent la bande-son possible d’un savoir qui se serait perdu en route sur le chemin du progrès industriel. Mais tout comme pour la gravité, le rapport au temps est lui aussi devenu incertain, ou plutôt s’ouvre à d’autres possibilités. Marchant ainsi sur les ruines d’un temps révolu, où il cherche les spécimens végétaux qui témoignent de traces de vie, sa seule présence transforme l’architecture dans un décor pour une archéologie du futur.
    Suite
    Thèmes : Arts plastiques, Vidéo
  • Salle de bain

    Il y a 13 ans

    / Travaux

    • 1 - vue générale
      vue générale
    • 2 - détail
      détail
    • 3 - vue générale ramassée
      vue générale ramassée
    • + 2 media(s)
    Thème : Arts plastiques
  • Texte par Aurélie Wacquant Mazura

    Il y a 13 ans

    / Travaux / Salle de bain

    Salle de bain (éclaté)

    Prenant acte des contraintes que le lieu impose, immense et ouvert sur l’extérieur tout l’été, Elvire Bonduelle et Bertrand Planes ont « bâti » pour cette exposition aux Tanneries une salle de bain géante. Mais non pas, comme on aimerait s’amuser à le croire, au sens où Gargantua s’y plairait à faire sa toilette…     
    Car si elle nous apparaît réellement géante, c’est que la salle de bain compose en fait avec une structure en éclaté, distendant complètement les proportions et donnant à la pièce une perspective infiniment étirée.
    Ainsi baignés dans une étrange étrangeté, nous sommes soudainement happés par cet espace blanc, livide, incroyablement net et immaculé, en tension avec le contexte même de l’installation, dont le cadre délabré nous rappelle que les Tanneries sont d’anciennes usines désaffectées. L’intimité à laquelle nous inviterait cette salle de bain, décor naturel pour un corps nu et propre, contraste alors singulièrement avec l’atmosphère encore laborieuse et impersonnelle de l’usine.
    Le travail in situ réalisé par nos deux artistes, fruit d’une résidence d’un mois aux Tanneries, révèle leur complexe appropriation des espaces. Car c’est en se confrontant eux mêmes à une surface aussi gigantesque, qui plus est sans vie, qu’Elvire Bonduelle et Bertrand Planes ont choisi de nous mettre en scène, tels des lilliputiens, dans un monde aux proportions absurdes et dans la salle la plus symbolique de notre habitat quotidien.
    Soudain en effet, comme si nous étions emportés par le conte, l’espace semble nous échapper, cauchemardesque, puisque chaque élément nous apparaît minuscule, inatteignable, absorbé par des distances incongrues. Eloignés les uns des autres, ils nous obligent à parcourir des lieues avant de les voir se rapprocher, et nous rappellent à notre fragilité d’humains, petits poucets contemporains. De luxueuse (le luxe serait-il vraiment l’espace ?) la salle de bain devient couloir de l’angoisse.
    Formant un immense ensemble vide, simplement ponctué ici ou là pour nous rappeler un semblant de réel, l’installation nous interroge sur les distorsions de l’espace contemporain, que nous avons l’habitude de vivre au quotidien contraint et réduit au strict minimum. Seulement s’il est ici immense et étendu, il en devient paradoxalement étonnamment inconfortable. Le vide nous confrontant soudain à la vanité de nos exigences.
    Quête du bonheur, rêve d’espace et de grandeurs, sont absorbés, anéantis presque par un décor devenu surréaliste à l’inquiétude plus que palpable.
    Elvire Bonduelle et Bertrand Planes jouent ici, comme ils nous ont habitué à le faire dans leurs travaux antérieurs, de notre perception. Mettant un point d’honneur à nous révéler, encore une fois - car nous ne voulons pas l’entendre – qu’elle nous joue naturellement des tours. Toujours techniquement infaillibles, répondant à de précieux calculs de mise en perspective, méticuleux et précis, les artistes, magiciens du quotidien, usent de la simple distorsion des proportions d’échelle pour rompre un équilibre visuel aux premiers abords confortable.

    Sur le principe du ready made, les objets simplement posés au milieu de l’espace, imperturbablement familiers, ont ici au final un autre rôle, celui de nous questionner sur notre rapport au monde.
    A l’image de la place toute symbolique - au cœur de la salle de bain - du miroir, telle une toute petite porte ouverte à Alice pour entrer dans le pays des merveilles, les artistes nous invitent à quitter le monde strictement matériel, des meubles ancré dans le sol, pour nous plonger dans un espace, cette fois-ci « mental », dans une évasion fantastique.
    Nous immergeant dans l’immensité de la salle de bain blanche, au cœur de l’usine devenue fantôme, ils nous engagent à pénétrer dans un univers, s’il est ultra carré et calculé, avant tout sensible. Spectateurs malmenés entre vie très réelle ou allégorie fantasmagorique, nous avons malgré tout à disposition, par cette échappée mentale, aussi bien le vide de la salle à remplir que la page blanche à carreaux de céramique pour coucher nos émotions.
    Proposition donc, l’installation nous offre le temps et l’espace - devenus rares - pour ressentir pleinement et laisser libre cours à nos émotions.

    Aurélie Wacquant Mazura
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Anne Van Der Linden

    Anne Van Der Linden

    Artiste peintre et dessinatrice

    www.annevanderlinden.net

    "Lion battu"

    Il y a 14 ans

    / Editions

    "Lion battu"
    Dessin sérigraphié, édition Alain Buyse, 30X40 cm, noir et blanc
    Suite
  • Anne Van Der Linden

    Anne Van Der Linden

    Artiste peintre et dessinatrice

    www.annevanderlinden.net

    Sub yu - Fanny Lasserre

    Il y a 14 ans

    / Presse

    C'est très librement que Anne Van der Linden commence le dessin. Les Beaux-Arts ne la retiennent que deux ans car elle s'y sent trop vite enfermée. C'est à travers l'abstraction qu'Anne débute la peinture, un trop-plein de choses internes à extirper d'elle-même qui ne la convainquent pas et la conduisent petit à petit à réintégrer des figures. Au fil des rencontres et des expériences elle se dirige vers un propos plus radical : « il y a une volonté d'en découdre, de tout mettre sur la table ».

    Née en 1959, Anne Van der Linden hérite des remises en questions de mai 68, revendique son féminisme : « la femme moderne est à la fois épanouie et souffrante. Il y a encore à dire sur les femmes » et avoue un goût de la provocation : « On parle du corps et de ses fonctions, pourquoi ne pas mettre au même niveau les fonctions sexuelles comme les autres fonctions. Si on considère que la sexualité et les pulsions violentes sont ce qui gère le monde, qu'elles sont puissantes dans la motivation des comportements, ça devient le moteur des choses. C'est assez drôle de parler du barbare, du pulsionnel et de le mettre en parallèle avec l'individu civilisé. En peinture on peut le faire. Des choses étranges se passent, c'est surprenant ! » Ce n'est qu'en 1995 que sa peinture telle qu'on continue de la découvrir aujourd'hui prend naissance.Entre l'extérieur et l'intérieur, entre le social et la fonction du corps, l'animal et l'individu civilisé, Anne transforme ses idées, narre une histoire parfois métaphorique à l'instar des contes de fées dont la cruauté sous-jacente se laisse entrevoir lors d'une seconde lecture. Les œuvres d'Anne Van der Linden se lisent également à la lumière de sa personnalité. « Ce n'est pas un art de voyeur, je n'ai pas envie d'exhiber la souffrance. Je ne travaille pas avec des modèles vivants, ce que j'aime c'est le personnage qui porte son pathos, son esprit, qui en est comme l'étendard. »

    Alors que voit-on sur les toiles d'Anne Van der Linden? D'où vient la force de sa peinture, de son trait, qui donne au regardant l'envie sourde et refoulée de ne pas tout voir? On veut mettre des mots, des explications simplifiées sur ces histoires de corps et de sexe, sur cette violence crue, sur cette chair à vif qui nous brûle, donner du sens pour dominer notre peur ancestrale de la mort, de la torture, de l'enfer, du péché, du doute, de la culpabilité.

    Anne fait face à tous ces questionnements existentiels, face à son corps, face au corps de l'autre, à son désir de dévoration: « comment arriver à toucher l'autre si ce n'est par la dévoration ? Englober l'autre par la bouche ou tous les orifices. C'est d'ailleurs vain. Comment arriver à comprendre le mystère de l'autre par la pénétration physique ? La peinture le permet. » Pour comprendre ce que l'individu regimbe à vouloir mettre en perspective, elle affronte la part la plus intime de nous même, notre inconscient pulsionnel, notre animalité que la société s'acharne à faire disparaître au profit d'une civilisation faussement éduquée.

    Cependant Anne ne cherche pas à faire peur, elle s'amuse même parfois de jeux de mots : « Ane dans le bois » représente une grossesse inversée. « La mère est un âne et je suis Anne ! » Nous sommes entre le sens des mots et le sens des images, renvoyés assez directement à une autre artiste qui a peint d'une façon aussi métaphorique une naissance, la sienne, intitulée « My birth ». Frida Khalo, dont la souffrance physique bien réelle qui une partie de sa vie la cloua sur un lit, donna à son œuvre cette couleur crue et violente.

    Diego Rivera affirme « qu'elle est la première artiste féminine à reprendre avec une sincérité et une impassible cruauté, les thèmes généraux de la vie des femmes* ».
    Anne Van der Linden semble reprendre le flambeau de cette expression picturale. « La violence elle est là, elle est très forte, elle passe par des canaux souterrains, elle est de moins en moins au niveau des rapports directs, mais elle est en train de nous détruire. » Ce ne sont pas les deux seuls tableaux qui pourraient entrer en correspondance parmi les œuvres de ces deux artistes. Mais les influences de Anne sont multiples. De l'imagerie mystique médiévale à l'association libre de Freud, en passant par Jerôme Bosch et sa représentation des enfers, les gravures d'écorchés du XVIIIe, la mythologie, c'est un univers dionysiaque que nous offre Anne Van der Linden, un monde foisonnant de symboles et dont l'interprétation reste aussi libre que possible. « Ce sont des dérapages plus ou moins contrôlés et des croisements d'idées qui évitent que le tableau soit fermé, une sinuosité baroque. » En outre l'absence de perspective est pour elle une façon d'adoucir son propos et de s'extraire du réalisme. Mais elle n'en reste pas moins surprise de constater à quel point ce qu'elle donne à voir lui échappe.

    Sa dernière exposition à la Galerie Les Singuliers présentait ses œuvres les plus récentes. Sur la plupart des toiles l'animal, jusque-là témoin, reprend selon elle, sa « juste place »: « On a été les maîtres des animaux par la force et la domination parce qu'on est des prédateurs et il me semble que ce n'est pas juste et qu'ils peuvent être nos égaux ». Le singe et le chien comme représentation d'un paradis perdu, la femme sirène et les chats crevettes, un bestiaire qui ajoute à la narration picturale un imaginaire fabuleux. L'histoire part toujours d'une espèce de chorégraphie, d'un assemblage des corps qui seraient en mouvement. « J'ai toujours été attirée par la danse, la force du corps, des membres... » Le tableau peut naître lorsque Anne Van der Linden trouve une position entre deux figures. D'où cette rencontre de chair et de sang un peu brutale, violence inhérente à l'être vivant qu'on ne saurait éviter qu'en contournant la réalité toute sa vie.

    Sub yu n°19
    Suite