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  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Saville, Lucas, Chapman... Collecting British

    Il y a 13 ans

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    Saville, Lucas, Chapman... Collecting British
    Est-ce un défi de collectionner anglais aujourd’hui ? La collection Saatchi, de célébrité internationale après la très médiatique — et polémique — exposition Sensation a montré à la Royal Academy de Londres les travaux iconoclastes de ces Young british artists (nés dans les années 1960) qui remuent les sensibilités.

    Les travaux de Jenny Saville et Sarah Lucas infligent à la représentation du corps féminin des entorses significatives. D’impitoyables visions remplacent les dispositifs traditionnels de mise en valeur de ses charmes. Lorsque Sarah Lucas expose en 2000 une photographie intitulée Woman in a Tub, elle s’inscrit dans le sillage d’une tradition picturale qui a proposé des variations multiples de ce thème. Mais à la place d’une femme se livrant paisiblement à ses ablutions, un cintre recouvert d’un débardeur blanc sur lequel sont fixés deux citrons à hauteur des seins fait office de baigneuse. Un corps de poulet avec les pattes écartées pend du vêtement. L’assemblage d’objets prosaïques transforme le corps en un fétiche grotesque, prêt à la consommation.

    Jenny Saville a réalisé une série photographique, en collaboration avec Glen Luchford, intitulée Closed Contact. Elle se fait photographier totalement nue, le corps écrasé sur un verre, compressé. On le perçoit dans toute l’épaisseur de sa chair, ses plis, ses bourrelets, sa lourdeur. Les parties charnues du ventre et des seins s’étalent contre le verre en tranches de chair amorphes, s’exhibant directement à la surface de l’œuvre.
    Entre l’esthétique de photographie médico-légale et la performance, cette image de nu féminin, plus morbide qu’érotique livre en pâture le corps de manière si puissante et tactile qu’elle donne une sensation d’étouffement. La présentation de la photographie, montée sur un caisson de plexiglas donne l’impression que le corps est contenu dans une boîte, un aspect qui rappelle les propositions plastiques du chef de peloton anglais, Damien Hirst.

    En se mettant de la sorte en scène dans leurs oeuvres, les deux femmes affirment une position engagée et revendicatrice. Sarah Lucas s’empare d’attributs masculins en se montrant, sur un autoportrait, debout les jambes écartées, avec un long poisson placé sur l’épaule à la manière d’un boa. Bien qu’associé au sexe féminin, Got a Salmon on, qui est le titre de cette photographie, signifie aussi en argot anglais « avoir une érection ».
    Cette dimension androgyne ou confusion des sexes intéresse également Saville, qui photographie des transsexuels, ces sujets au corps hybridé par le recours à des implants en silicone.

    L’hybridation des corps apparaît également dans les travaux de Jake & Dinos Chapman, duo d’artistes choc qui exposait, lors de Sensation, des mannequins d’enfants siamois se faisant l’amour entre les arbres d’un jardin, les deux moitiés intimement imbriquées autorisant les positions sexuelles les plus hardies. Une sculpture intitulée Peep Show place un mannequin nu dans une large caisse. Le petit trou percé sur un des côtés de la boîte laisse passer les palpitations lumineuses d’un stroboscope placé à l’intérieur et interpelle le regard. Une fois en position de voyeur, on voit le mannequin pivoter sur lui-même, le corps traversé de phallus en érection.
    Ce télescopage indécent frappe par sa concision, proposition vulgaire tellement directe qu’elle coupe court à toute escapade interprétative. On est comme devant un constat lugubre qui a pris la forme d’un collage déjanté : le voyeur s’y retrouve, réfléchi en position de parasite suceur de sang. Le mercantilisme sexuel est évoqué dans nombre des propositions hyperboliques des Chapman.

    La peinture anglaise est également représentée dans cette exposition, tableaux et série d’aquarelles de Cecily Brown à la fois iconoclastes et inscrits par leur facture et leurs thèmes dans la tradition des maîtres de la peinture anglaise. L’artiste reprend par exemple dans ses aquarelles le détail d’une composition de William Hogarth qu’elle décline en un jeu de variations plastiques, parfois à la limite de l’abstraction. On retient également parmi les peintures exposées un intérieur de Dexter Dalwood d’ambiance étrange et une version peinte du personnage de Tarzan par Sophie Von Hellermann qui flirte avec la naïveté du Douanier Rousseau.

    Saville, Lucas, Chapman...
    Collecting British
    Galerie de France, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Alain Bublex, Unbuilt

    Il y a 13 ans

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    Alain Bublex, Unbuilt
    Alain Bublex a toujours été séduit par la ville : sa concentration d’activité, la densité de son architecture sont les sujets de prédilection à partir desquels il travaille et propose des idées ludiques, loufoques, ou parfois provocantes.
    En 1998, il suggérait ainsi d’investir l’espace urbain saturé en y implantant des « UMH, Unités Mobiles d’Habitation, ou volumes habitables légers aux structures métalliques et larges baies vitrées ». L’idée originale est de Peter Cook et Bublex lui donne corps sous la forme de maquettes et de montages photographiques.

    Bublex reprend des projets non construits (Unbuilt) pour leur donner une visibilité avec des images fictives. Il s’intéresse aussi au projet de Le Corbusier qui prévoyait, dans les années 1930, de réaliser le plan urbanistique pensé par l’industriel Gabriel Voisin. Ce dernier proposait de reconstruire intégralement le vieux centre historique de Paris, en dégageant ses axes de circulation. Les espaces d’habitation étaient reconstruits en tours de 50 mètres de hauteur, et l’activité commerciale déplacée en périphérie de la ville.
    Bublex réalise, en suivant les notes établies par Voisin, un plan de ce que serait aujourd’hui Paris si le projet avait vu le jour. Il combine pour cela des photographies de grands axes périphériques à des dessins numériques par lesquels il greffe du possible sur le réel.

    Un hommage est également fait à cet autre inventeur de formes qu’est Philippe Stark par un dessin épuré d’urbaniste reproduisant avec exactitude une rue située à Issy-les-Moulineaux. D’après Bublex, Stark aurait projeté de se l’approprier en la reconstruisant totalement. Mais ici, point d’intervention matérialisant le fantasme, la rue est représentée telle qu’on peut la voir actuellement. Bublex semble simplement vouloir pointer l’absence de plan d’ensemble qui la caractérise, l’état d’indécision dans lequel elle est semble suspendue. Il y a des vides entre les habitations, un ciel immense, autant d’espaces béants attendant d’être remplis par quelque idée de construction audacieuse.

    En reprenant des projets qui n’ont pas eu de portée effective sur le réel, Bublex fait un peu comme Michelet qui prétendait redonner la voix à ceux que l’Histoire n’avait pas entendus. Recourant aux possibilités virtuelles de l’image, il redonne vie à des projets que le cours trop sage du monde n’a pas retenus.

    Alain Bublex
    Unbuilt (Tous les Bouvard n’ont pas la chance de trouver leur Pécuchet)
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Elvire Bonduelle, Non Non Non

    Il y a 13 ans

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    Elvire Bonduelle, Non Non Non
    Non Non Non… Elvire Bonduelle ne se livrera toujours pas au bon sens. Voudrait-elle au moins faire un effort ? Elle invente des coussins qui sont comme des cales, triangulaires et imprimés faux bois pour donner, malgré tout, un peu de tenue à son grand corps dégingandé. Mais c’est compter un peu vite sur la demoiselle qui, avec malice, se ménage aussi la possibilité de les adapter à ses poses alanguies. Comme dans un tour de passe-passe, elle les assemble en diverses configurations qui oscillent entre l’ordre et le désordre, l’homogène et l’hétérogène.

    Devant ces propositions à l’équilibre fragile, on se demande lequel de ces deux éléments, corps ou coussin-cale, a dû s’adapter à l’autre pour parvenir enfin à un point d’harmonie ! Car même s’ils sont mous, les coussins de forme triangulaire restent assez peu adaptés aux courbes du corps. Au final, on ne saura jamais vraiment si Elvire s’y love ou s’y cale.

    Il semblerait qu’à travers ses propositions absurdes, comme avec cette vidéo intitulée Il faut que je m’assouplisse, Elvire flirte constamment avec l’idée de conditionnement, et d’adaptation aux lois sociales. En travaillant cette tension entre des formes géométriques et organiques, qui est une problématique classique de la sculpture, Elvire file l’air de rien la métaphore d’un monde dur et hostile qu’il s’agit de rendre plus confortable.

    Elvire s’agite aussi dans des films d’animation réalisés par ses soins. Elle bricole des éléments de décor avec du carton pour décrire ses maladresses et menus malheurs domestiques. Et bien qu’elle finisse par conclure qu’il faut « se détacher des petites choses », l’enfer se situe encore du côté de ces objets sur lesquels elle n’a pas prise.
    Les propositions d’Elvire Bonduelle prennent également la forme de comptines semi-innocentes qu’elle chantonne sur des musiques sautillantes et acidulées, composées et jouées au synthétiseur par son ami et complice Séverin Tézenas. Sur l’un des clips les accompagnant, son corps se trémousse avec une maladresse enfantine, au milieu de nuages, dans un monde aérien qui a l’avantage de ne pas être étriqué.

    La thématique du corps est omniprésente dans les propositions d’Elvire. Ses éléments de mobilier ou obstacles pour faire de l’exercice physique sont autant de propositions à la fois ironiques et thérapeutiques tournant autour d’un même sujet : l’entrée dans l’âge adulte et l’esprit de sérieux. Comme pour retarder le passage obligé dans la raideur de ce monde, Elvire emprunte, avec une pointe d’humour et de provocation, les sentiers de la régression. Par de constantes allusions à la petite enfance, elle évoque un stade où l’on se confronte encore au réel par le biais d’objets transitionnels.
    Des rideaux sont imprimés avec les lettres KK de couleur marron et PP (pie grec deux fois) de couleur jaune, couleurs que l’on trouve également dans les coussins-cales. La pièce intitulée Lit d’ami se compose quant à elle d’un matelas découpé en étoile et recouvert d’une housse jaune pipi, avec, posé en son centre telle une offrande, une couette et un oreiller marrons mis en forme d’étron géant.

    Qu’on ne se méprenne donc pas sur l’évidence de ces pièces qui, derrière une naïveté de façade, s’avèrent plus ambivalentes qu’on ne pourrait le penser.

    Elvire Bonduelle
    Non Non Non
    Galerie DedibY, Paris


    Pour la galerie DedibY, 2006
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    Thème : Arts plastiques
  • Julien Berthier & Virginie Yassef, Everything’s gonna be all right
    La galerie Vallois consacre sa nouvelle exposition aux travaux de deux jeunes artistes récemment diplômés de l’école des Beaux-Arts : Julien Berthier et Virginie Yassef.
    L’efficacité de leurs œuvres tient dans la brièveté de leur proposition, dans un jeu de rapports éclairs entre l’œuvre et son titre jouant sur des glissements de significations.

    Dans les vidéos de Virginie Yassef réalisées lors d’une résidence à Pékin, le titre fonctionne en contrepoint de ce que l’on voit. À la lumière du titre Dragon, la pelleteuse dont l’artiste filme les déplacements sur un chantier, charriant du sable entre les dunes, prend des allures d’animal préhistorique avec son long cou mécanique.
    Spiders filme les déplacements d’un ouvrier tirant un câble électrique, entre deux autres sur lesquels il tient en équilibre avec ses jambes et ses bras. Yassef concentre la séquence sur les mouvements gracieux et habiles de l'homme, au-dessous duquel circulent les automobiles. Sensible à la concentration urbaine de Pékin, elle semble vouloir en isoler des actions pour se concentrer sur leur rythme et leur déploiement spécifique dans l’espace, à la manière d’un chorégraphe.

    Avec sa pièce Billy Montana, Yassef recycle la célèbre étagère Ikea de même nom, intercalant entre les planches de plexiglas qui la composent d’autres planches colorées. Elle en sature l’espace jusqu’à la rendre inutilisable. L’étagère s'assimile ainsi à une colonne verticale, évocant les travaux du sculpteur minimaliste Donald Judd. Par cette intervention simple et identifiable, Yassef se réapproprie l'objet manufacturé pour le détourner de sa fonction ustensilaire, tout en prenant cette fonction au pied de la lettre (une étagère étant conçue pour être remplie). Plus qu'une proposition absurde, il s'agit d'une stricte tautologie plastique qui n'ajoute ni ne retranche rien aux propriétés de l'objet, mais les fait voir différemment.

    Les travaux de Julien Berthier jouent aussi de ces décalages entre une réalité donnée et sa transformation par le biais de petites interventions. Dans la photographie Goudarchitecture, l’artiste a glissé une curieuse maisonnette, fabriquée avec le fromage de même nom, entre les autres habitations composant la vue panoramique urbaine. Le titre, jeu de mots à tiroirs, précise en passant que la proposition est good.

    « Everything’s Gonna Be all Right », nous assure d'ailleurs l’artiste, que l’esprit d’invention pousse, depuis 2000, à proposer ses Machines Berthier pour améliorer notre quotidien. On retrouve ici le protoype grandeur nature de sa Para Site, réalisée en matière éponge bleu ciel ! Ce véhicule d’aspect étrange serait destiné, d’après les mots de son concepteur, à « créer un nouveau rapport au déplacement urbain tout en redonnant sens à la notion de communauté ». Le principe : une voiture qui puise son énergie en se branchant chez les commerçants ou les voisins, et qui par le seul fait de cette dépendance électrique, contribue au « resserrement du tissu social ».

    Une série de dessins permet de prendre connaissance des autres inventions de notre artiste ingénieur, parmi lesquelles des propositions de façades cache-misère destinées à masquer un immeuble banal, façon « grec antique », « saloon » ou « titanic ». On y apprend aussi par le biais d’un mode d’emploi comment déposer un cadeau dans une voiture fermée à clé, comment faire grincer les portes des maisons de campagne neuves, ou comment inaugurer de nouveaux rapports dynamiques entre une chaise et le sol en taillant en allumettes les pieds de la chaise et en recouvrant le sol de grattoirs. On n’arrête pas le progrès !

    Les oeuvres des deux artistes puisent avec finesse dans l'héritage de l'art conceptuel dont ils détournent la rigueur à des fins humoristiques. La logique de ces facécies est en effet toujours circonscrite à un geste ou à une proposition unique. Virginie Yassef et Julien Berthier jouent avec les catégories logiques qui régissent notre approche pratique du quotidien ou notre langage. Le prétexte de départ de l'oeuvre semble parfois tenir à une association d'idées ou à un jeu de mots. Une occasion de s'amuser avec esprit.

    Julien Berthier, Virginie Yassef
    Everything’s Gonna Be all Right
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Boris Achour, Conatus (pilote)

    Il y a 13 ans

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    Boris Achour, Conatus (pilote)
    Actif depuis 1993, l’artiste Boris Achour ne cesse de passer d’un medium à un autre. Il s’en explique lors de nombreux entretiens en présentant cette hétérogénéité comme un « jeu de déplacement permanent ». Privilégier l’énergie du devenir aux formes réifiées et l’investigation à la posture dogmatique, beau programme, certes, mais qui n’empêche pas de nous donner envie de dire qu’on connaît la chanson…
    Mais surprise à la galerie Vallois où l’artiste a donné à sa pensée la forme séduisante d’une constellation de mobiles. Cette nouvelle proposition synthétise, sans pour autant les capitaliser, des paramètres depuis longtemps à l’œuvre dans son oeuvre.
    La structure des sculptures - principalement des mobiles - s’accorde à la démarche de l’artiste qui se veut en mouvement perpétuel. Leur équilibre instable ne tient d’ailleurs parfois qu’à un tour de sparadrap !

    Les éléments suspendus par des crochets à l’armature du mobile se présentent comme des constellations précaires, des configurations possibles mais jamais nécessaires. Ils apparaissent en effet d’un mobile à l’autre, en d’autres configurations qui signalent leur caractère interchangeable : « ou bien…, ou bien », tel est le credo de l’artiste.

    En faisant tenir ensemble des formes qui renvoient à des univers aussi différents que l’art minimal ou la science-fiction, la structure arborescente de ces mobiles fait aussi songer à la pensée rhizomatique développée par Deleuze, qui fascine de toute évidence l’artiste.
    Intitulée Conatus, l'exposition fait aussi explicitement référence à Spinoza. Ce concept souligne la joie que procure au sujet le fait de s’accomplir à travers des actes. Le caractère bricolé des mobiles souligne d’emblée ce plaisir de la trouvaille issu du maniement de matériaux a priori sans intérêt. Qui eut cru, par exemple, qu’on puisse réaliser la parodie convaincante d’une sculpture cinétique en agençant des pailles entre elles ? Le fait de recourir à des matériaux triviaux pour les transformer en des propositions plastiquement intéressantes focalise l’intérêt de l’œuvre sur l’acte créateur qui s’assimile à leur réappropriation joyeuse, à une forme d’intelligence en acte.

    De ce point de vue, on repense aux Actions peu. En 1993, l’artiste alors en mal de galerie réalisait de petites interventions dans la rue, de manière tout à fait minimale et précaire, essentiellement motivé par cette idée d’exister par l’acte.
    Trouver les actes justes qui nous accomplissent, telle était déjà l’idée de Boris Achour, qui préférait à la solitude de l’atelier une démarche affirmative d’inscription de soi dans l’espace public, ne serait-ce que pour y faire bouger des choses infimes. Car à quoi cela sert-il d’être artiste si l’on ne s’inscrit pas dans le monde ? Les Actions peu, ou « Deviens ce que tu es… »

    Cinquante neufs néons disposés sur les cimaises de la galerie forment les mots : Conatus (pilote). Ils correspondant aux cinquante neufs jours que dure l’exposition et s’allument un par un, chaque jour. Allusion, peut-être, au dispositif de la série télévisée se dévoilant dans le temps, mais aussi à cette forme dynamique de la connaissance dont il est question dans l’éthique spinozienne.

    Bien que cette nouvelle exposition paraisse se distinguer des précédentes par le recours à des formes non existantes, Achour ré-inscrit malgré tout celles-ci dans le contexte d’un prélèvement.
    Une vidéo nous le montre puisant un à un, comme dans un réservoir de formes, les éléments qui figurent sur les mobiles, comme ceux d’un jeu de construction. Manière de court-circuiter à nouveau l’illusion d’une création qui aurait été faite ex-nihilo. Achour ne fait que rejouer les recherches plastiques antérieures d’un Donald Judd, d’un Franz West ou d’El Lissitzky, pour y superposer les siennes. Il souligne l’apport de ces artistes, connectant sa recherche «d’ici et maintenant» à l’histoire polyphonique des formes.
    Cette tentative de dilatation de «l’ici et maintenant» génère d’ailleurs ces sculptures parodiant une préhistoire des formes : stalactite en polyuréthane, reliefs géographiques d’avant la formation des continents jouxtant des motifs futuristes aux réminiscences de 2001 Odyssée de l’Espace.
    Rigueur et poésie, humour et philosophie se conjuguent dans cette folle odyssée spatio-temporelle à travers les formes de l’art. Le spectateur s’embarquera aux côtés du pilote, si toutefois, il veut bien se prêter au jeu.

    Boris Achour
    Conatus (pilote)
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2006
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Panamarenko, Berthier, Achour... Accidents

    Il y a 13 ans

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    Panamarenko, Berthier, Achour... Accidents
    Contrairement à l’exposition que Paul Virilio réalisait sur le sujet à la Fondation Cartier en 2002, la notion d’accident autour de laquelle s’articulent les œuvres exposées à la galerie Vallois ne contient aucune portée apocalyptique ou tragique. Pas de sang, pas de fumée : les œuvres choisies parlent d’accident comme d’un opérateur de procédures artistiques, un élément perturbateur ou un révélateur esthétique.

    Panamarenko, dont un prototype de PAT (Portable Air Transport) figure dans l’exposition pourrait bien être le lauréat des heureux accidentés de l’art. Sa naissance en tant qu’artiste, qu’il considère déjà comme un accident de parcours, se confirme lorsqu’il réalise en 1966 ses Chaussures magnétiques aux semelles compensées d’aimants qui lui permettent de se promener la tête en bas sur un plafond métallique. Une tâche de rouille court-circuite le contact et parachève l’expérience d’une chute mémorable…
    Ces chaussures ne sont que les premières d’une foule de machines faites par l’artiste pour élargir nos possibilités de déplacement dans l’espace. Flirtant constamment avec l’idée d’accident, Panamarenko définit une attitude de libre expérimentation des formes dont l’issue ne contient, pour le bonheur de tous, aucune nécessité de rendement ou de réussite.

    « Ne pas laisser le monde aux mains des spécialistes », tel est le slogan de l’artiste Julien Berthier qui s’inscrit selon cette perspective comme un digne héritier de Panamarenko. Pour les deux artistes, la non- spécialisation est justement cette acceptation d’un jeu qui fait la part belle à l’aventure et au risque. De ce point de vue, l’accident a presque valeur de manifeste, qui revendique le droit à l’erreur et au raté. Comme Panamarenko, Berthier incarne à sa façon une figure d’ingénieur dont les inventions cherchent à faire reculer les bornes du possible. Avec sa machine à secouer le champagne, il transforme une inoffensive bouteille de Veuve Cliquot en canon potentiel! Fixée à un bras mécanique qui l’agite frénétiquement de haut en bas et braquée vers le visiteur, elle pimente l’exposition par sa constante menace d’explosion.

    Berthier est également l’auteur du sac en plastique qui pendouille, non loin de l’entrée de la galerie et l’on présage à sa vue un gag à venir. Suspendu à un rail, il se promène le long des cimaises en sifflotant avant d’aller effectivement se cogner contre la porte. Ce que célèbre souvent l’artiste dans l’accident, c’est l’irruption du loufoque, les ratés qui comme les lapsus, ont une force disruptive de dévoilement et sont porteurs de poésie. Le fantôme de Buster Keaton n’est pas loin… Boris Achour apporte quant à lui sa touche à ce côté grand guignol en matérialisant sur la cimaise les contours de sa silhouette écrasée…
    La cascade d’accidents corporels se poursuit avec les Falling Photos de Martin Kersels qui, avant de faire des sculptures, a étudié les lois de la gravité avec son propre corps. Prenant la forme d’un triptyque, les photographies sont comme autant d’arrêts sur image d’une chute. Encore suspendu dans les airs, le corps massif de l’artiste se découpe sur fond d’étendue neigeuse. On songe bien sûr au Saut dans le vide entrepris par Yves Klein dont ces photographies pourraient être l’écho parodique, substituant à l’élégant déploiement corporel du dandy le grotesque d’un corps désarticulé.

    Le californien Richard Jackson intègre à sa pratique picturale le vocabulaire explosif de la secousse et la collision en fabriquant des machines à peindre. Un ventilateur a été fixé à l’hélice d’un modèle réduit d’avion au pied duquel ont été déposés des paquets de peinture noire. Une fois la machine branchée, la rotation de l’hélice entraîne celle du ventilateur et transforme la masse inerte de peinture en une pluie aérienne qui éclabousse le sol et les murs de la galerie.

    Tim Davis, un jeune artiste invité par la galerie exploite également l’accident de façon tout à fait singulière. Sa démarche consiste à photographier des peintures classiques dans les musées avec pour critère de sélection leur éclairage maladroit. Ainsi voit-on une représentation de Judith, dont le visage a disparu, noyé dans une flaque de lumière. Ce piètre éclairage est comme une blague, si l’on se rappelle l’acte héroïque qui rendit Judith célèbre : la décapitation du tyran Holophernes, dont elle tient la tête entre ses mains…

    Les crash de voiture ont aussi droit de cité, bien sûr, qui fascinaient déjà Andy Warhol et firent de James Dean l’icône d’une jeunesse ivre de vitesse. L’auteur des très beaux tirages de crash automobiles n’est autre que Marcel Odermatt, un brigadier suisse chargé de photographier dans les années 60 les collisions survenues sur les routes de son canton! C’est au critique et commissaire d’exposition, Harald Szeemann, que l’on doit d’avoir décelé l’intérêt esthétique de ces photographies - accrochées dans un commissariat- pour les dévier de leur trajectoire strictement documentaire et provoquer un dernier accident de parcours.

    Panamarenko, Berthier, Achour...
    Accidents
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2006
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

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    Yayoi Kusama

    Il y a 13 ans

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    Yayoi Kusama
    Trois installations de Yayoi Kusama investissent actuellement l’espace de la galerie Templon. A l’entrée, une huile sur toile invite le visiteur à revenir sur un vocabulaire plastique récurrent dans son travail : les filets (Infinity Nets) et les pois (Polka Dots), sorte de matrices d’abord explorées au pinceau pendant les années 1950 puis sur des formats de plus en plus grands au cours des années 1960, pour ensuite prendre la forme de sculptures en tissu bourrées de coton, puis d’installations absorbant le spectateur en un rapport fusionnel avec son univers plastique.

    La particularité de ce travail réside essentiellement dans ce déploiement obsessionnel de systèmes graphiques dont la genèse est intimement liée à l’enfance de l’artiste, les premiers dessins datant de ses dix ans, lorsqu’elle fut pour la première fois victime d’hallucinations psychiques qui devaient la harceler sa vie durant.

    Basés sur des effets optiques de répétition, sérialité et accumulation de formes proliférant dans l’espace, les travaux de Yayoi Kusama prennent racine dans une perception idiosyncrasique de l’espace qui, lors de crises hallucinatoires se remplit de formes répétitives le divisant, et menaçant le sujet de dissolution. Impressions effrayantes d’étouffer ou de se désagréger en particules ont été plusieurs fois décrites par l’artiste qui, aujourd’hui âgée de 76 ans, n’a cessé de les exorciser sous la forme d’installations à la fois séduisantes et repoussantes.

    Cette ambivalence caractérise toutes les pièces visibles ici, qu’il s’agisse de Heaven and Earth, ensemble de boîtes verticales d’où prolifèrent des formes phalliques en tissu blanc évoquant à la fois les tentacules d’un monstre marin ou une espèce végétale inconnue, ou encore de Gold Shoes, cinquante chaussures à talon dorées traversées de protubérances organiques, sorte de champignons évoquant également des pénis-parasites se nourrissant de la forte charge érotique de ces accessoires féminins.
    Narcissus Garden, ensemble de sphères argentées réfléchissantes, ramassent en boule l’espace. Notre reflet lilliputien grandit à mesure que nous avançons à leur rencontre, pour mieux nous perdre dans leur chatoiement et leur pouvoir hypnotique.

    Une fois encore, cette exposition célèbre un travail qui a déjà fait l’objet de nombreuses expositions en France. En 2001, l’artiste bouleversait totalement l’espace de la Maison du Japon avec une suite d’installations formant un labyrinthe gigantesque où le visiteur s’engouffrait, perdant progressivement toute notion objective de son environnement. La dernière Biennale de Lyon incluait deux chambres recouvertes de pois, que des miroirs disposés au mur et au plafond dupliquaient à l’infini, provoquant un ensemble de sensations psychédéliques et vertigineuses.

    Yayoi Kusama
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
    Suite
    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Valerio Adami

    Il y a 13 ans

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    Valerio Adami
    Le peintre italien Valerio Adami expose actuellement des travaux réalisés entre 2001 et 2004. Une profonde unité se dégage de chacune des compositions, de la saturation des surfaces où ne subsiste aucun blanc, aucune trace de doute ou d’inachèvement.

    Personnages, paysages et objets s’articulent en des compositions complexes qui n’obéissent à aucune règle préétablie. Depuis des années maintenant, Adami a travaillé à mettre en place un langage plastique singulier, à la syntaxe rigoureuse, où les notions d’espace et de profondeur, de relation entre sujet et objet sont entièrement bouleversées, repensées de manière à pousser l’expression à son maximum d’intensité.

    La ligne, le trait du dessin, commande tout ce jeu. Pas un tableau n’est réalisé sans que sa construction n’ait été au préalable définie au détail près. La ligne cherche son parcours dans le dessin préparatoire pour circuler ensuite sans hésitation dans l’espace du tableau qu’elle divise, sépare en plans, articule en figures et objets. Epaisse et noire, elle enchaîne les humains et les choses, les soude entre eux pour en stabiliser définitivement les rapports.

    Il ne s’agit jamais, pour Adami, de restituer le monde de manière réaliste, qui limiterait l’expression créative à la perception naturelle, confuse, toujours changeante du monde. Les impressions sont transposées par un assemblage mental qui ne cède jamais rien à l’ordre naturel des choses. Le tableau est le résultat final de manœuvres graphiques recourant à l’ellipse, au collage, au travail de la mémoire. Les artifices narratifs propres au cinéma, comme celui de la coupe et du montage sont toujours à l’œuvre dans ces constructions plastiques.

    Les tableaux déclinent des mises en scènes de couples, issus de la mythologie ou du quotidien. Lorsqu’ils s’enlacent, comme c’est le cas pour Figuracontrafigura ou Uomo e Donna in Palestra, l’étreinte des corps ressemble à une fusion impossible, où chaque personnage est finalement renvoyé à sa solitude. Le maniement de contrastes colorés opposant des pourpres à des tonalités glaciales, une ligne noire qui traverse et scinde les corps sont les équivalents plastiques par lesquels Adami figure le drame.

    Ces variations autour d’un même thème, le couple, s’intensifient et prennent une épaisseur expressive par ces recours à l’artifice. Celui des couleurs, d’abord, dont la saturation et l’intensité parfois quasi phosphorescente ne sont prélevées d’aucune réalité extérieure et qui apportent, par leur forte présence, une humeur, une tonalité psychologique au dessin. Les accessoires ont également leur importance dans la construction de ces allégories : radiateur, téléphone, bicyclette, ventilateur et sac à main occupent l’espace avec autant d’aplomb que les personnages.
    On remarque ces mises en place efficaces de l’accessoiriste dans une composition comme Figuracontrafigura, où le cintre sombre qui pend contre un mur de la chambre et les persiennes cassées chargent la composition d’une atmosphère oppressante, sans que l’on sache vraiment d’où ces objets banals tirent une telle puissance.

    La représentation de rideaux, arcades, fenêtres et autres éléments d’architecture souligne aussi le caractère fabriqué de l’image. Aucune parcelle de l’œuvre n’est abandonnée aux désordres du sentiment et du pathos. Ces constructions sévères et calibrées proposent comme une retranscription objectivée des sentiments, semblables en cela au chant lyrique où douleur et mélancolie s’expriment, mais de façon étudiée et précise.
    « Peindre moins et penser plus — la mémoire rumine — on perd son ego, on devient instrument, violon ou piano », écrivait le peintre.

    Valerio Adami
    Préludes et après-ludes
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Tony Cragg

    Il y a 13 ans

    / Articles

    Tony Cragg
    Les nouvelles sculptures de l’artiste anglais Tony Cragg interpellent d’emblée par leur forme étrange, évoquant à la fois une origine organique et minérale. On y retrouve cette attention que l’artiste a toujours portée à la forme et aux propriétés physiques de la matière. Cragg a en effet gardé de sa formation scientifique une démarche pragmatique et critique d’analyse des formes. Par un travail basé sur leurs transformations et leurs hybridations, il explore leur identité et leurs possibles.

    L’illusionnisme d’une sculpture comme Bad Guys conduirait presque à la décrire comme un profil pivotant autour de son axe central à une vitesse telle que son volume se déforme, à ceci près qu’elle ne tourne guère de manière effective. Il serait plus juste de dire que le mouvement s’est imprimé dans la matière, selon un phénomène semblable à celui du fossile portant la trace physique d’une ancienne vie.

    Le caractère mnémonique de la matière constitue un thème privilégié de l’artiste qui, passionné de géologie, a réalisé plusieurs sculptures construites par strates successives de manière à exhiber le volume dans sa profondeur, les différentes parties constitutives de l’ensemble. La patine et l’érosion fabriquées à plusieurs reprises de manière artificielle par l’artiste sur des sculptures réalisées avec des matériaux nouveaux procèdent également de cet attrait pour les matières que la marque du temps a rendues plus denses et plus vivantes.

    Level Head évoque une stratification rocheuse superposant deux profils embryonnaires tournés dans des directions opposées. Mais ce qui les oppose réside également dans le traitement de chacun. Le profil placé en tête de la sculpture, modelé avec des formes arrondies, l’apparente à une roche tandis que l’autre qui le supporte se découpe de manière incisive dans l’espace, se distinguant du premier par son caractère aérodynamique. La préhistoire et les nouvelles technologies semblent coexister dans cette même pièce.

    Les sculptures ont d’ailleurs pour point commun avec l’image de synthèse de faire varier un motif unique selon des perspectives, des échelles et des angles différents, rejoignant en cela leur complexité et leur possibilité. Cragg joue également avec la tridimensionnalité. La sculpture intitulée Discussion qui évoque frontalement un crâne de bison se démultipliant de manière croissance offre une toute autre figure lorsqu’on la regarde de côté. Ce volume de bois abrite aussi deux profils se faisant face, puis se rejoignant progressivement à mesure qu’ils se dilatent. Ceux-ci apparaissent déjà, microscopiques, dans les rainures du bois, offrant le spectacle vertigineux d’une figure dupliquée à l’infini.

    Tony Cragg fait ici figure d’alchimiste, qui liquéfie le bronze et le marbre, bouleverse l’inertie de la sculpture et condense en celle-ci une pluralité de significations et de correspondances. Les catégories du naturel et de l’artificiel autrefois distinctes dans son travail se confondent ici, évoquant aussi les possibilités angoissantes de la manipulation génétique.

    Tony Cragg
    Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Robert Mapplethorpe

    Il y a 13 ans

    / Articles

    Robert Mapplethorpe
    Directeur artistique de Dior Homme, Hedi Slimane est invité à présenter des photographies de Robert Mapplethorpe qu’il sélectionne par affinités. Un portrait original de l’artiste à partir de thèmes qui lui sont chers.

    On connaît l’obsession de Mapplethorpe pour le corps. Corps morcelé, objet de la pulsion scopique, ou pureté de corps tendus, dont la musculature athlétique est photographiée sur un fond neutre.
    Cette fascination explique que l’artiste ait choisi ses modèles parmi les acteurs de la scène punk rock, genre musical ayant accordé une place décisive aux performances corporelles. Par son déhanché érotique, Elvis, le premier, précipitait le corps sur le devant de la scène, scandale qu’une Amérique puritaine s’empressa d’ailleurs de résoudre en filmant la star en plan américain.

    Bien que non exclusivement composés de rock stars, les portraits ici exposés procèdent d’un même attrait de l’artiste pour l’allure de ses modèles. Postures arrogantes ou sensuelles, accessoires éloquents et sens de la mise en scène caractérisent ces prises de vues. Les photographies de mode ont largement repris cette imagerie rock’n’roll, porteuse de nouvelles attitudes, à commencer par celles du styliste Hedi Slimane, dont les éphèbes au visage blafard semblent souvent sortis de frasques nocturnes.

    Des photographies comme celles de Tim Scott coiffant délicatement sa crête punk avec un peigne ou de Clarissa portant une veste de costume évoquent l’attrait de Mapplethorpe pour les allures androgynes. L’un de ses plus célèbres clichés reste le portrait de Patti Smith, réalisé en 1975, pour sa pochette d’album Horses. La chanteuse y posait en dandy débraillé, cravate noire défaite et veste négligemment posée sur l’épaule. Considéré à l’époque comme un suicide commercial, ce choix radical fera finalement l’objet d’une véritable fascination. « Confusion is sex », titrait le groupe Sonic Youth sur l’un de ses disques, en 1983. Une idée que l’univers de la mode exploitera aussi largement.

    Dans un ensemble de photographies réalisées dans les années 80, Mapplethorpe rompt cette relation au modèle pour construire des prises de vues plus intimes, fonctionnant comme des allégories. L’austère photographie d’un crâne donne le ton de cette série lugubre, où l’on sent sourdre de façon insistante l’angoisse de la mort.
    On y retrouve le modèle Lisa Lyon, ex-championne de body building féminin, dont Mapplethorpe a, maintes fois, photographié le corps athlétique et vigoureux. Il fait ici le deuil de ce symbole de puissance en le réduisant à l’état d'ombre spectrale.

    On ne peut s’empêcher de voir en ces photographies l’envers désenchanté de la levée des tabous qui caractérisa l’ère post 68. Elles évoquent la mélancolie d’une sexualité vécue de manière intense et affirmative sur laquelle ne pesait pas encore la menace du sida.

    Robert Mapplethorpe
    Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Thème : Arts plastiques