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  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Dreamtime Habiter

    Il y a 13 ans

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    Dreamtime Habiter
    Dreamtime est le titre choisi pour les expositions collectives organisées chaque été dans les grottes du Mas d’Azil. Il se réfère à ce que les Aborigènes appellent « Temps du Rêve ». Un état germinal du monde qui précède la formation de la terre, une mémoire des origines accessible par le truchement de rituels. Dix artistes ont été conviés à rêver le temps des premiers habitants de la grotte. En une époque de « désenchantement de l’art », la résurgence du mythe dans la création contemporaine est fréquente. Peut-être parce le mythe a cette capacité de structurer un rapport au monde fondé sur sa démesure, où la fascination et la crainte s’articulent en des récits ambivalents. Une ambiguïté qui garde toute sa pertinence pour penser l’état de notre monde dont les contours instables subjuguent autant qu’ils inquiètent. D’où venons-nous, où allons-nous… Armés de casques de spéléologues, les artistes s’engagent dans les chambres, plateaux et galeries de la Grotte du Mas-d’Azil pour sonder ses cavités, se connecter aux bouches d’ombres creusées par une rivière dont on entend partout le murmure.

    Dans les entrailles de la terre

    Un crâne de squelette réalisé par Jean Luc Favero dans la Galerie Monumentale marque le seuil d’entrée de la grotte. Le visiteur pénètre cette boîte crânienne de quatre mètres d’envergure pour se retrouver en face d’un crâne humain exposé. Une analogie se met en place par cette relation de contenu à contenant. Elle télescope la forme du crâne, « container premier de l’esprit», à celle de la grotte ainsi décrite comme espace à la fois physique et mental. C’est tout le sens du titre (et de l’orthographe) donnés à ce troisième volet de Dreamtime, « HabitéR. » : les artistes habitent la grotte autant qu’elle les habite. Ils quittent le « white cube » amnésique et lisse pour entrer dans un « dark hole » mnémonique et chargé. Ils passent d’une histoire de l’art à une histoire de l’homme.

    Habitée pendant 50 000 ans, la grotte du Mas d’Azil fut un centre important de la région pour le marché du silex. Nécrophorus, une pièce réalisée par le tandem d’artiste Magali Daniaux et Cédric Pigot, rappelle cet affrontement des hommes à la matière. Elle se compose de deux gros blocs massifs en cristal de sel.  D’épaisses chaînes en acier fixées aux blocs (de 220 kilos) relient des bracelets de force en cuir. La polysémie de la pièce tient au fait qu’il s’agit de sel, un minéral employé  dès le Néolithique pour conserver les chairs du gibier. Son titre évoque aussi les pratiques mortuaires de l’Egypte ancienne qui employait le carbonate de sodium pour momifier le corps des rois et les préserver du pourrissement. Nécrophorus évoque les défis prométhéens de la technique face à la fragilité humaine, une rivalité audacieuse avec le divin, la transgression d’un ordre naturel qui donne vie et la recycle.

    Inversement à cet effort d’arrachement à la matière par lequel l’homme maîtrise progressivement la nature, Chiara Mulas aborde la grotte sous l’angle, fusionnel et régressif, du « retour à la Terre Mère ». Tendue dans une cavité, une toile écran est le réceptacle de sa performance filmée. Nue et peinte en rouge sang, couleur renvoyant à l’idée de sacrifice rituel comme à l’intérieur du corps, l’artiste évolue dans les anfractuosités de la roche. La grotte devient l’espace de projection d’un grand corps mythologique, de ce « ventre-cerveau » que représente pour elle le Mas d’Azil. L’exploration symbolique des entrailles de la terre prolonge aussi l’histoire de cette partie de la grotte où l’on découvrit autrefois des sanctuaires. Génératrice et sustentatrice de ce qui vit, la Terre-Mère est aussi celle qui avale les vies parvenues à leur terme.

    Par delà nature et culture

    Partant des reliefs accidentés du site, Myriam Mechita a agencé ses pièces de façon à dresser les contours d’une dramaturgie mystérieuse. Une cascade de chaînes se déverse dans l’éboulement rocheux. De l’autre côté du gouffre, des formes cristallines scintillent sur un promontoire autour duquel apparaissent les dépouilles argentées de chevreuils décapités, comme jetés en pâture à d’obscures divinités chtoniennes. De chatoyants filets de perles s’échappent de leur cou mutilé, assimilant le sang versé à une matière précieuse. Le brutal et le merveilleux se télescopent dans ce scénario sacrificiel de la dépense et de la perte. Il évoque ces dons rituels ou potlach qu’étudia l’ethnologue Marcel Mauss. En saccageant ses biens, l’homme primitif s’élevait de sa condition d’homme, liée à la valeur d’usage des objets, pour entrer dans un ordre supérieur de dépense et s’approcher du divin. La pièce de Mechita tire sa dynamique d’un jeu de forces contradictoires où les éléments s’enchaînent et se déchaînent à la fois. D’un point de vue psychologique, elle évoque les mécanismes passionnels d’aliénation par une personne ou par un lieu et le recours à une forme d’exutoire pour s’en délivrer. Sur une paroi de la Salle du Temple, contrebalançant cette relation tumultueuse au site, apparait le tracé lumineux et aérien d’un dessin réalisé par une main invisible. Il s’agit de la reproduction d’une peinture rupestre de la grotte du Mas d’Azil, inaccessible au visiteur. Charley Case et Thomas Israël l’ont dupliqué à l’aide d’une palette graphique pour la replacer dans le circuit de l’exposition, la faire renaître dans le regard des visiteurs. La révélation de cette forme occultée a la portée, symboliquement forte, d’un dialogue phénoménologique avec le passé. Une idée que synthétise cette phrase des artistes : « grâce à toi je suis, grâce à moi tu restes. » Elle peut aussi se référer à l’hypothèse du préhistorien Jean Clottes selon laquelle les images pariétales seraient suggérées à l’homme primitif par la forme même du rocher. Il ne ferait en ce sens que matérialiser les contours d’une vision produite par la roche pour la dévoiler. Le dessin représente une silhouette hybride d’homme superposée à celle d’un animal. Des ramures de cervidé prolongent le profil humain, en référence possible à ces « animaux alliés » que séduisaient les chamanes pour gagner leur sympathie. De par son renouvellement périodique, la ramure du cerf symbolisait pour eux le cycle de la vie et de la mort, la puissance régénératrice d’une nature infatigable.

    La confrontation de l’homme à l’animal se poursuit avec les images animées de danseurs que Delphine Gigoux-Martin projette sur les parois de la Salle Mandement. Pour réaliser ces dessins animés, elle a demandé à un danseur de mimer des postures animales. Les indices de leur différence et de leur proximité apparaissent dans ces étranges chorégraphies. Elles évoquent les danses animalières que réalisaient les chamanes pour transformer un rapport conflictuel de prédation en un dialogue possible entre congénères. « Le problème de notre nourriture, c’est qu’elle est faite entièrement d’âmes »1 expliquait un chamane à un anthropologue. Réalisée par Elsa Sahal, la céramique intitulée Cul/Jambes joue également sur un glissement zoomorphique de l’anatomie humaine. Son caractère érectile renvoi possiblement à un moment décisif d’évolution de l’homme devenu bipède. Mais l’artiste céramiste a donné à sa paire de jambes l’aspect pachydermique de pattes d’éléphant, comme un rappel ironique de notre posture antérieure, sur quatre pattes. Ses Autoportraits en forme de grotte sont des céramiques pleines d’étrangeté. Leur forme organique se confond aux promontoires rocheux qui leurs servent de socle. Elles semblent être revenues de la white cube pour retrouver leur matrice. Dans cette obscurité des origines, on contemple les jeux subtils de brillance et d’opacité qui animent ces pièces régressives. Elles semblent livrer des autoportraits de l’artiste-créateur en proie à la matière, à une exorcisation de ses méandres intérieurs.

    La poésie des objets


    Réalisée par le tandem Daniaux &Pigot, une maisonnette clairement identifiable amorce un retour à la civilisation. Elle reprend la forme de cabanons, disséminés dans toute l’Asie du sud-est, destinés à recueillir des offrandes populaires faites aux esprits pour se placer sous leur protection. Déjà exposée à Moscou et à Nice, son contenu varie en fonction du contexte géographique où elle s’inscrit. Une constante de l’installation : la réplique miniature de la chaise couverte d’un bloc de cire réalisée par Joseph Beuys. Hommage est fait à cet artiste chamane qui fit de la fonction prophylactique des objets un thème récurent de sa réflexion esthétique. Un diffuseur d’odeurs sollicite régulièrement nos narines par ses effluves subtiles, éveillant de la sorte notre sens le plus animal. La maison semble si bien avoir trouvé sa place que les artistes en ont supprimé les pilotis. La voici bien rivée au sol, face à une partie dégagée de la grotte qui s’ouvre sur une vue de route goudronnée longeant la rivière. Digne d’un roman d’anticipation, ce panorama de début ou de fin du monde s’accorde à la tonalité de leurs pièces. Exposés dans une galerie bordée d’ossements, leurs crânes d’animaux à la surface enduite de peintures employées pour les carrosseries de voitures de luxe offrent un contrepied insolent aux traditionnelles Vanités. Epargnés du jaunissement et des craquelures irrévocables, saisis dans le lisse, ils sont promis à la jeunesse éternelle. Sophie Dubosc protège également un os de mammouth de sa dégradation irréversible en réalisant sa copie en bronze. Son exposition dans une vitrine paléontologique, à côté de l’original, cristallise l’écart temporel qui nous sépare des premiers hommes. Ainsi transposé dans la grotte, le dispositif muséal rendrait presque mélancolique. Il souligne notre relation ténue au passé via ses vestiges fragiles et rares ; la tentative de recomposer, à travers eux, quelque pans de nos origines. Exposées dans le voisinage de la vitrine, des silhouettes humaines réalisées en cire prolongent cette impression de reconstitution incomplète. Ces corps vulnérables et amoindris aux membres délicats provoquent un sentiment ambigu de malaise et d’empathie. L’une de ces Figure bras jambe lie une jambe fléchie à un bras replié dont la main tâtonne le sol. Elle évoque tout autant une attitude cérémonielle que la posture, rampante et craintive, d’une créature aveugle. Réminiscence de la peur archaïque du noir qui est celle de notre enfance ? Obscurantisme d’un monde contemporain oublieux de ses origines, où tout se conjugue au présent ? Ces corps monstrueux, et pourtant si humains évoquent aussi l'idée, inquiétante, de mutation de l'espèce. On ne sait finalement rien sur les devenirs possibles de notre constitution physique, si ce n’est que notre apparence actuelle est totalement transitoire. Chez Dubosc comme chez Daniaux & Pigot, le mélange de données archaïques et futuristes a pour effet de replacer le présent dans une temporalité élargie à celle de l’univers et de ses possibles mutations.

    Les œuvres contemporaines trouvent toute leur place dans cette grotte où surgirent les images d’une humanité naissante. Elles établissent un dialogue, un contrepoint, un mélange de temporalités qui ne peut laisser indifférent. Les artistes semblent s’être laissé happer par ces cavités pleines d’une obscurité prolifique, ou gagner par cette « lumière antérieure à celle du soleil » dont parlait Roger Caillois. L’imagination serait-elle la vraie demeure de l’humanité ?

    1.Qu’est ce qu’un corps ? Ed. Musée du quai Branly/Flammarion, 2006


    Marguerite Pilven, pour la revue Multiprise, juin-septembre 2011.
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

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    Cristine Guinamand ou la peinture à fond perdu
    « Etre libre, ce n’est pas faire n’importe quoi, c’est aller au bout de chaque chose. » Paul Rebeyrolle

    Découvrant les tableaux de Cristine Guinamand m’est venue l’expression, calquée sur celle de George Bataille, de « peinture à fond perdu 1». Devant leur facture imposante, on sent que l’enjeu n’a pas tant été de définir une image, ou un quelconque ordre de surface que d’aller au fond de «quelque chose». Il y a clairement chez la peintre une volonté de ne pas s’en tenir à «l’image trouvée ». Guinamand en évoque ainsi la nature obsessionnelle : « Quoi que l’on tente, on fini toujours pas refaire la même chose ». Entre les impulsions premières et cette forme de liberté, ou de présence à soi, qu’est l’acte de peindre, un espace est à trouver.

    Guinamand ouvre la surface de la toile pour entrer en peinture comme en transe. Ce dégagement d’un espace a souvent le caractère d’une effraction : explosion, percée, ouverture forcée, cadre fendu... On note aussi la récurrence de grottes ou d’antres, au statut ambivalent d’abri ou de prison. L’ambiguïté est visible dans le tableau intitulé Le Canif. A peine dégagée de la matière qui la compose, une silhouette humaine troue l’espace et libère un coin de ciel enfoui. Evoquant la forme d’un oeil, cette percée est bordée de clous qui donnent l’impression d’un écartèlement forcé entre les couches. Sur le volet gauche du diptyque des Deux Soeurs, une figure féminine tente à la fois de se frayer un chemin dans la matière qui la cerne et de dissimuler la tête qu’elle vient d’arracher dans son antre protecteur. Par contraste, le mystérieux petit tableau intitulé Paysage (mais on pourrait tout aussi bien écrire « Pays Sage ») oppose un calme absolu de surface que viennent redoubler, comme une enceinte protectrice, des pièces de puzzle agglomérées au support. A la manière d’une couture, des clous plantés retiennent ensemble la lumière et l’obscurité, maintenant l’équilibre nécessaire à la vision claire.

    « Il fait rudement sombre » annonce l’exposition, « On n’y voit rien » titre un autre tableau. L’incursion dans les profondeurs de la peinture n’est jamais tranquille. Les figures saturniennes qui hantent Mammon et Lord of War sont issues de l’univers, infernal et sous terrain, de Gaïa, divinité terrienne de la mythologie grecque. Soumise à des puissances telluriques obscures, cette déesse de la fécondité a pour particularité de donner naissance à des créatures monstrueuses. Par son titre, le tableau intitulé La Herse évoque l’instrument agricole avec lequel on prépare la terre en la striant, pour l’ensemencer. Des rats semblent avoir été jetés en pâture au fond du tableau qui a l’ambivalence de cette « terre nourricière » ou « chaos primordial » décrit par Hésiode duquel surgit et retourne toute forme, en un cycle sans fin. Même achevés, les tableaux gardent un fond indéterminé qui menace de disruption l’ordre de surface, comme si la peinture restait suspendue, « sur sa faim ». Dans le Paysage figurant des champignons, ce fond va jusqu’à s’ouvrir comme une mâchoire.

    Les crânes qui hantent les tableaux ont une similarité de forme avec les grottes. Originairement couverts d’une enveloppe de chair et réceptacles du cerveau, ils sont à la lisière du dedans et du dehors, de l’intérieur et de l’extérieur et rejouent une obsession chère à la peintre : L’articulation et la circulation dynamique entre ces espaces. Des oeuvres comme Crâne à la Fraise ou Le Grand Rocher sont emblématiques de cette question du passage auquel répond un traitement de l’espace où les plans se mêlent en un jeu constant de renversements. Les crânes pyrogravés sont à la fois bombés et creux, transparents et pleins. Le « Grand Rocher » désigne aussi cette tête de squelette contre laquelle la composition s’adosse et qui fourni le contrepoint d’une saynète de Don Quichotte à la limite d’avoir été engloutie. Tel un trophée guerrier, il semble avoir été posé là comme un symbole de trêve : ici s’achève la peinture.

    Dans ces oeuvres à la facture sombre et complexe, Guinamand semble se resserrer sur l’avènement d’une peinture qui trouve son point d’émergence entre aveuglement et vision extrêmes, c’est à dire dans ces instants, nécessairement obscurs, où la distance entre la peintre et son tableau s’abolit.
    « Il y aurait dans la matière, informe infinité, une sorte d’appétit obscur de revenir sur soi pour se connaître2.»
    Que le tableau coince dans son développement ou parvienne à un point de saturation critique et Guinamand s’empare d’un miroir pour en sonder la surface et déceler ses faiblesses dans le reflet. Stratagème ultime pour s’y infiltrer, la prendre d’assaut et l’ouvrir encore, jusqu’à ce que les dernières résistances sautent.

    1.L’expression originale est celle de « dépense à fond perdue » théorisée dans le livre intitulé La Part Maudite.
    2.Jean Paul Sartre, préface du livre de Stéphane Mallarmé, Poésies, p.8, éd. NRF Poésie/ Gallimard.


    Communiqué de presse pour les galeries Hambursin Boissanté, Montpellier et Le Réalgar, St Etienne, mai 2010.
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    Marguerite Pilven

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    Lucie Chaumont, Le Climat

    Il y a 13 ans

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    Lucie Chaumont, Le Climat
    Lucie Chaumont expose à la galerie Eva Hober une série de dessins réalisés à la mine graphite et un mur en boîtes de carton de format « parpaing ». Conjointement, son installation intitulée « Empreinte écologique » est montrée à l’espace EDF. L’ensemble frappe par son économie de moyens. Un parti-pris de rigueur sans doute nécessaire en regard des sujets évoqués : bouleversements écologiques, crises sociales, politiques et identitaires. Autant de thèmes globalisants qui émeuvent, donnent mauvaise conscience et font beaucoup parler. Lucie Chaumont passe au tamis ces strates de discours agglomérés par l’opinion publique. Elle en reconsidère les éléments en une approche réflexive porteuse d’ironie.

    L’inscription outrancière de notre action dans la nature est une préoccupation majeure de l’écologie. La thématique des retombées de l’action, ou de leur dépôt, apparaît dans les oeuvres de Lucie Chaumont. Si son installation, Empreinte Ecologique (espace EDF), s’y réfère explicitement, les outils qu’elle emploie s’accordent également au cahier des charges qu’elle semble s’être fixé : concision, justesse de l’intervention dans un contexte donné. L’usage de la mine de graphite permet une précision du tracé, de la pression exercée sur le support papier et des nuances chromatiques. Elle donne aussi la possibilité de corriger une action ou de l’effacer. Le mur réalisé en carton se monte et se défait facilement. Son format variable s’adapte à l’espace disponible et son matériau se recycle. Cet effort constant de positionnement par l’artiste, dans sa portée réelle et symbolique, donne à son oeuvre un style et une tonalité d’ensemble.

    Le volume dessiné d’un iceberg immergé aux trois quarts ou la représentation d’une nappe de pétrole tapie dans les fonds marins décrivent le décalage entre une réalité manifeste et une autre cachée. Des graphiques extraits de manuels scientifiques ou de la presse (comme le dessin Milliards) suivent les fluctuations de phénomènes dont on ne connaît plus la nature. Ainsi évidés de leur référent, leur vrai dessein apparaît : mesurer scientifiquement les raisons de nous inquiéter ou d’espérer. « La bourse ou la pluie » titre ironiquement un dessin. En un jeu de glissement sémantique provoqué par ces prélèvements de signes et leur mise en série, Lucie Chaumont passe sensiblement du registre climatique, ou économique, au registre psychologique.

    A la façon des moulages de produits de consommations exposés à l’espace EDF, les dessins de Lucie Chaumont sont indiciels. Ils ne font que désigner l’existence d’un phénomène. L’absence radicale de proposition contraste avec leur réalisation artisanale. Ce qui apparaît d’abord est le travail minutieux de la main mimant l’exactitude de la photocopieuse, une performance acharnée, un exutoire de l’Horror Vacui. Le dessin est dense par sa qualité performative, tout comme le mur en carton dont les boîtes contiennent pourtant du vide. La reproduction minutieuse au crayon de tickets retirés lors de démarches administratives pour attendre son tour poursuit ce recensement maniaque d’actions. Consommer, produire, reproduire, attendre, craindre, espérer, autant de façons d’être au monde que Lucie Chaumont investit d’une épaisseur temporelle et réflexive. En matérialisant la part inévitable de vacuité contenue dans nos discours et dans nos actes, elle dessine les contours d’un monde invisible, doublure vertigineuse de celui que nous sommes certains d’habiter.

    Lucie Chaumont
    Le Climat
    Galerie Eva Hober

    Communiqué de presse pour la galerie Eva Hober, 2010.
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Anish Kapoor, sculpteur démiurge

    Il y a 13 ans

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    Anish Kapoor, sculpteur démiurge
    Des premières pièces, d’apparence minimaliste aux installations monumentales récentes et en cours, Anish Kapoor développe une oeuvre d’une grande cohérence, portée par l’ambition, démiurgique, de façonner un univers. Entre ses mains, tout devient matière, malléable et sujet à transformation. Ses oeuvres que l’on qualifiera plutôt de « dispositif » instaurent une topographie mouvante qui a pour objet d’intervention ultime le spectateur lui-même.

    Un espace et une temporalité extensibles

    Conçues en 1981 et d’apparence très simple, les sculptures regroupées dans les installation 1000 Names et To reflect an intimate Part of the Red ( 1981) contiennent déjà une caractéristique constante des oeuvres d’Anish Kapoor : leurs propriétés physiques défient leur stricte limitation spatiale et provoquent une instabilité de la forme. Les pigments colorés affirment leur nature volatile en débordant les contours des sculptures. Le regard passe simultanément de la matière pigmentaire brute à son actualisation dans une forme. La « sculpture » déborde son identité d’objet en soi pour s’apparenter à un phénomène en devenir.
    Le temps est l’autre donné intangible auquel Anish Kapoor se mesure. Non pas le temps commun des horloges mais celui, singulièrement éprouvé, du ressenti. Une pièce comme Ishi’s Light inscrit le spectateur dans sa structure enveloppante. Sa forme convexe l’isole dans une coque protectrice. En neutralisant l’environnement immédiat, Anisk Kapoor crée une parenthèse méditative. Espace et Temps : deux dimensions de l’expérience qu’il dilate pour intensifier l’aptitude du regardeur à ressentir par lui-même.

    La fusion de l’extérieur et de l’intérieur

    Les dispositifs récents d’Anish Kapoor tendent à envahir de plus en plus l’espace pour s'y affronter et parfois l'englober. Elles absorbent le ciel (Sky Mirror, 2006), s’enracinent dans le sol (Suck, 1998), avalent les architectures (Taratantara, 1999) et happent le spectateur dans leur surface concaves et réfléchissantes. Elles commandent une dialectique complexe où le dedans et le dehors s’interpénètrent et se livrent à un jeu de force permanent. La suprématie de l’un sur l’autre est mise en jeu, renégociée, objet d’un équilibre précaire. Un titre d’oeuvre comme Turning the World Upside Down est emblématique de cet espace en mutation constante. En sculpteur total, Anish Kapoor se mesure à l’espace dans sa globalité. Il façonne ce donné intangible qui structure notre perception en travaillant les passages entre les vides et les pleins, les espaces ouverts (qu’il condense par des jeux de réflexion, des surfaces miroitantes) et fermés (qu’il dilate en les forçant ou en creusant des passages).
    En court-circuitant la distance entre le visiteur et l’oeuvre, Anish Kapoor rejoint une conception romantique de l’oeuvre d’art perçue comme fusion de l’esprit avec le monde sensible. Certaines de ses sculptures s’apparentent d’ailleurs à un corps ouvert, une membrane dont l’épiderme, parfois tendu en forme de trompe, absorberait toutes les données sensibles. C’est vers cette fusion d’ordre épidermique avec l’oeuvre qu’Anish Kapoor pousse le spectateur à son insu. L’emploi de la couleur joue un rôle central dans cette stratégie d’immersion. Connu pour sa propension à exciter et à émouvoir en accélérant le flux sanguin, le rouge est la couleur qu’il choisit pour noyer l’architecture du Grand Palais. Happé dans une plage colorée continue et vibratoire, le regardeur intériorise la couleur qui s’impose à lui. Il perd pied avec les données objectives du temps et de l’espace et fait l’expérience d’un vertige. Devant une oeuvre d’Anish Kapoor ( par exemple ses disques luminescents où le « fond » se dérobe), il n’est par rare que la main veuille prendre le relais de la perception pour vérifier une intuition, se raccrocher à quelque chose de tangible dans un espace fuyant. C’est tout le sens de la pièce intitulée The Heeling of St Thomas ( 1990) où une plaie rouge fissure un mur. Le spectateur est lui-même fissuré dans ses certitudes, contraint à se perdre pour reconstruire, dans un temps second, sa relation avec l’oeuvre.

    Trous, vulves et plaies

    Il est fréquent que les sculptures creuses d’Anish Kapoor prennent l’apparence de vulves ou de plaies. Ces métaphores corporelles renvoient simultanément à l’idée de vulnérabilité et de naissance. Dans un entretien avec Anish Kapoor, Gilles A. Tiberghien dit au sujet de Paint Train que « l’on ressent très puissamment cette pénétration (d’un bloc de cire dans un couloir) comme une violence. » En l’occurrence, les oeuvres d’Anish Kapoor forcent aussi l’intimité du spectateur en la manipulant et en la bouleversant. Elles le place dans des conditions physiques qui le rendent poreux et malléable. On retrouve cette idée, abordée précédemment, d’un espace de friction créé entre deux échelles dont la suprématie de l’une sur l’autre se redéfinit constamment. Chez Kapoor, l’oeuvre impressionne le spectateur. Nous sommes loin de l’assertion duchampienne qui affirme que « ce sont les regardeurs qui font le tableau ». Des œuvres d’Anish Kapoor, radicalement baroques au regard de cette approche conceptuelle, on pourrait écrire exactement l’inverse : que « c’est l'oeuvre qui fait les regardeurs ». Suivant la logique de paradoxes et de renversements qui anime chaque proposition d’Anish Kapoor, le contemplateur est d’abord manipulé par l’œuvre mais cette aliénation n’est qu’un passage au terme duquel il se redécouvre en tant que sujet.

    avril 2011.
    Texte écrit dans le cadre de mes activités de guide conférencière à la Monumenta 2011.
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    Thème : Arts plastiques
  • Démarche

    Il y a 13 ans

    / Parcours

    Démarche
    L’approche artistique de Pauline Fouché engage la photographie de façon récurrente. Elle explore le medium photographique lui-même, en tant que procédé technique ainsi que les dispositifs qu’il rend possible. Son travail prend souvent la forme d’installations ou de séries photographiques. Elle met en place dans ses prises de vue et installations des dispositifs qui révèlent les relations entre le photographe, le modèle et l’objet “photographie“. Ces dispositifs sont souvent accompagnés de protocoles qui organisent et font exister ces relations. Le photographe est un metteur en scène qui observe les comportements du sujet se fabriquant sa propre image.

    Photographier est un questionnement tant sur l’altérité que sur soi-même. Comment voit-on une photographie ? Image de soi ou de quelqu’un d’autre ? Que signifie posséder l’image de quelqu’un, pour soi et pour la personne photographiée ? Se photographier ou être photographié ?

    Elle travaille sur la prise de conscience photographique de façon presque systématique. Lorsqu’on prend une personne en photo, cette même personne se met inconsciemment en scène ou veut jouer un rôle. L’inconscient photographique n’est pas que dans l’image qu’elle représente, mais aussi dans l’objet lui-même. Le détournement de l’objet photographique et de l’acte photographique prend une place importante dans son travail. Dans les séries, installations ou vidéos, elle cherche à montrer une autre vision de l’image photographique, à la légitimer ou non. Elle repousse les limites de son cadre, la module, la transforme, lui rend un mouvement perdu, une pigmentation, un espace, du temps… La photographie comme installation, expérimentation et réflexion.

    Quoi qu’elle donne à voir et quelle que soit sa manière, une photo est toujours invisible : ce n’est pas elle qu’on voit. Roland Barthes.
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    Thème : Arts plastiques
  • 1/60 ème, vidéo de 8,35'

    Il y a 13 ans

    / Projets / 1/60ème 2006

    Thème : Arts plastiques
  • Particules n°17

    Il y a 13 ans

    / Publications

    Particules n°17

    http://fr.calameo.com/read/0000046976997ba5d7ee6

    Janvier 2007 _ Photographie / le petit oiseau va sortir, article de Guillaume Leingre pour Particules n°17

    Thème : Arts plastiques
  • L’oeuvre d’art ventriloque, texte de Morad Montazami

    http://fouche.metaproject.net/files/media_file_93260.pdf

    Avril 2008 _ L’oeuvre d’art ventriloque, texte de Morad Montazami pour l’exposition Débords co-organisé par Élise Leclercq et Pauline Fouché à l’espace EN COURS, Paris.

    Thème : Arts plastiques
  • Actuphoto.com

    Il y a 13 ans

    / Publications

    Actuphoto.com

    http://www.actuphoto.com/14767-entretien-avec-pauline-fouche.html

    Mars 2010 _ Entretien réaliser par Alexandra Lambrechts pour Actuphoto.com suite à l’exposition à la Galerie d’Art de Créteil.

    Thème : Arts plastiques
  • Regards croisés

    Il y a 13 ans

    / Actualités

    • 1 - Jardin anglais du château de La Roche-Guyon
      Jardin anglais du château de La Roche-Guyon
    • 2 - Georges Lespinasse, huile sur toile, 1783, Musée d’Ile de France, Sceaux
      Georges Lespinasse, huile sur toile, 1783, Musée d’Ile de France, Sceaux
    • 3 - Hubert Robert, huile sur toile, 1773 - 1775, Musée de Besançon
      Hubert Robert, huile sur toile, 1773 - 1775, Musée de Besançon
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    Au Château de La Roche-Guyon
    De Septembre 2010 à Septembre 2011

    Résidence Regards Croisés
    Sur l’invitation du château de La Roche-Guyon et financé par le Conseil Général du Val d’Oise, Regards Croisés est une résidence proposée à trois artistes qui travaillent avec la photographie.
    Les artistes porteront un regard curieux sur le jardin anglais du château de La Roche-Guyon, sous forme de carte blanche, lecture contemporaine et libre du paysage, de l’environnement, de l’écosystème participant ainsi à la vitalité du lieu. Pauline Fouché, Olivier Lapert et Catherine Pachowski sont des artistes issus de l’École d’Arts de Cergy, ils ont une pratique engagée et exposent régulièrement.

    Contexte historique
    Réalisé par la Duchesse d’Enville à l’emplacement des vestiges des dispositions défensives médiévales sur les pentes abruptes des coteaux de Seine à l’Ouest du Château, le Jardin anglais du domaine de La Roche-Guyon apparaît comme un des précurseurs de l’importation des modèles paysagers anglais en France dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle.
    Le jardin s’est progressivement assoupi et refermé sur lui-même au cours des dernières décennies. De nouveaux équilibres naturels et une diversité écologique ont pris le relais des aménagements raffinés légués par l’histoire.

    Réstitution
    Une exposition collective est prévue au printemps 2012 au Château de La Roche-Guyon
    Voir le travail réalisé, Miroir noir, au cours de la résidence.
    Suite
    Thème : Arts plastiques