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  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Nicolas Darrot - Les noces chimiques

    Il y a 9 ans

    / Articles

    Nicolas Darrot - Les noces chimiques
    « Les hommes ne savent pas comment ce qui varie est d’accord avec soi. Il y a une harmonie de tensions opposées comme celle de l’arc et de la lyre. » Héraclite, fragments.

    L’installation réalisée par Nicolas Darrot à la Maison Rouge met en relation deux éléments se distinguant d’emblée par des oppositions marquées. Une sonde solitaire, blanche et aérienne, une armée de corbeaux bruyante, agitée et hirsute. Ces corbeaux enfermés à l’envol impossible seraient-ils une figure de la mélancolie ? Longtemps associée au mouvement des astres, à l’influence néfaste de Saturne ou des lunaisons, la neurophysiologie l’explique aujourd’hui en terme de connexions neuronales défaillantes. La liaison comme la coupure des corbeaux avec l’ensemble dépend du passage de la sonde. C’est elle qui mène la danse, son mouvement cyclothymique condamnant les corbeaux à une alternance entre phases d’inhibition et moments d’euphorie. Mais l’excitation pourrait tout aussi bien être sexuelle, ce ballet mécanique une parade nuptiale et les corbeaux un vivier de gamètes… Dans ce dispositif en circuit fermé, la sonde est l’inconnue à l’équation qui régit l’ensemble. Est-ce un astre, un neurone ou un oeuf ? Elle est en tout cas vecteur d’énergie, tant par son rôle moteur dans le dispositif que par sa propension à entraîner les imaginations dans une spirale où les récits peuvent librement se télescoper. Ronde, lisse, blanche, elle renferme des possibilités indifférenciées.

    La mise en place de liaisons figure sans doute l’enjeu essentiel des expositions de Nicolas Darrot. Ses créatures mécaniques sont reliées au moteur qui les anime et leur motricité assurée par un corps articulant des parties indépendantes. La liaison des créatures entre elles dessine les jointures signifiantes de la chorégraphie d’ensemble.« La convenance du tout, qui est la conformité d’un objet à ce qu’il doit être et la convenance de la partie qui est la convenance d’un objet à un autre auquel il est relié. 1», tel était le critère d’harmonie corporelle fixé dans l’antiquité, principe d’ordre semblable à leur représentation de l’univers perçu comme une cosmologie. Cette dilatation des lois de l’anatomie à l’échelle de l’univers ne pouvait qu’intéresser l’artiste manipulateur de liens. Une sculpture animée de l’Yggdrasill figure parmi ces créations antérieures. Cet arbre cosmique de la mythologie scandinave articule entre ses racines et la cime un bestiaire qui matérialise des énergies vitales et des puissances destructrices. L’énergie cosmique procède de l’activité conjointe de ces forces contraires et les branches de l’arbre sont autant de canaux assurant leur circulation ininterrompue entre la terre et le ciel.

    Une confrontation dynamique de contraires est également à l’œuvre dans la Maison- corps, abritant de son centre à la périphérie une suite de couplages gigognes : dualismes de couleur et de forme, de l’un et du multiple, du fixe et de l’animé. La sonde assure le va et vient entre le ciel et la terre, l’intérieur et l’extérieur du bâtiment. Gorgée de lumière, elle irradie des corbeaux nocturnes qu’elle révèle. Cette bille blanche qu’on imaginait volant au secours de la bile noire pourrait bien être un photon géant et la solution chimique. Le Passage au Noir correspond précisément à l’étape des « noces chimiques » qui couronne le processus alchimique. Instant de fusion entre une matière volatile symbolisée par la colombe et une matière lourde figurée par le corbeau, il donne naissance à la Forme. Au delà de leur tentative bien connue de transmutation du plomb en or, les alchimistes avaient surtout pour désir d’analyser les lois de la matière en devenir avant qu’elle ne se fige dans des configurations accidentelles. La fusion opérante du noir et du blanc représentait également celle de la matière et de l’esprit.

    Les premiers automates de la Renaissance ne furent guère fabriqués pour se distraire mais pour comprendre la mécanique du corps, en analyser ses composantes. Contrairement aux sciences positives qui n’opèrent jamais sans séparations et distinctions, les configurations dessinées par Darrot avec ses automates sont restauratrices de liens. Elles découvrent des passages que notre désir de classification a ensevelis. Sa dernière exposition restituait ainsi notre troublante proximité avec les animaux en minant par analogies successives le clivage entre les deux règnes. La logique de la distinction était remplacée par celle, plus sensible, de la gradation. À la notion de coupure, Darrot opposait celle du devenir. Suivant une même approche inclusive, ce dispositif opère des synthèses. Sa forme cyclique en fait une structure de récit polysémique qui est aussi celle du mythe.
    Allant à rebours de la diversité du vivant, le mythe en recherche au contraire la structure commune. Comme l’écrit Mircea Eliade, il «  sert de modèle pour toute forme de « création » ; aussi bien la procréation d’un enfant que le rétablissement d’une situation militaire compromise ou d’un équilibre psychique menacé par la mélancolie et le désespoir.2 » L’interprétation des phénomènes relève d’une même économie intensive, d’un principe d’équilibre et de déséquilibre de forces. Chaque évènement est un point de cristallisation à l’intérieur d’un réseau dynamique d’ensemble où circulent et se distribuent des énergies créatrices. Maîtresses de ces fils conducteurs, les divinités mythologiques en administraient le flux, assurant leur conséquence bienfaitrice comme leur puissance néfaste. Élixirs et baisers décrits dans les contes procèdent de cette même logique de transmission par laquelle circulent charmes et sortilèges. Ambivalence de la sonde : elle relève autant du baiser connectant les corbeaux à un flux vital que de l’astre néfaste les paralysant à distance.

    Cette notion de flux vital travaillait déjà la précédente exposition de Nicolas Darrot à la galerie Eva Hober. Fabriquée avec un ampèremètre, L’œuvre intitulée Journal des Enfants Loups semblait surveiller le pouls des créatures connectées. Les circuits de production et distribution du lait maternel de la louve se matérialisaient quant à eux avec des diodes lumineuses. Trait d’union entre la connexion et la coupure, le passage régulier de la sonde maintient le lien actif entre l’une et l’autre de ces stases. Lorsque le visiteur ne la voit plus, il l’entend rouler au- dessus de sa tête, flux sonore accompagnant sa déambulation dans l’espace de la Maison Rouge. Loin de toute relations de dépendance ou de causalité nous enfermant dans un récit téléologique, le caractère cyclique de l’œuvre signale au contraire son devenir perpétuel. Chaque révolution de l’œuf opère une synthèse, une solution chimique, un recommencement.

    ------------------------------------------------
    1 François Julien, De l’essence du nu, Seuil, Paris 2000. 2 Mircea Eliade, Briser le toit de la maison, Gallimard Essais 1986

    novembre 2006
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    Thème : Arts plastiques
  • Kate Sutton - Artforum 2016

    Il y a 9 ans

    / Presse / Kate Sutton - Artforum 2016

    Kate Sutton - Artforum 2016
    Now in its fourth iteration, Elvire Bonduelle’s ongoing curatorial project “Waiting Room” transforms gallery spaces into temporary reception areas where visitors can indulge in the kind of concentrated viewing typically only possible when one has time to kill. Bonduelle sets the stage with her own sculptures, black metal benches festooned with Styrofoam in bleached hues of blue, honeydew, and buttercream, attended by oval MDF tables, finished with surfaces suggesting white marble or speckled granite. Amedeo Polazzo’s appealingly plain ceramic vessels cluster along the windowsill, while in the far corner, Émile Vappereau’s des fleurs (some flowers), 2015, stocks an oversize aluminum vase with sprigs of spray-painted wood. When it comes to the wall-mounted work, Bonduelle purposefully avoids prioritizing process over product. The paintings revel in their own simplicity, the method of their making immediately evident, even to an untrained eye. François Morellet’s La chute des angles n° 2 (The fall of angles), 2002, tests simple manipulations of L-shaped strips of black paper, while Bernard Piffaretti’s o.T., 2013, is divided down the middle, with the thick swatches of red, yellow, and green paint from one side of the canvas replicated by hand on the other. For his series “Tutti Frutti,” 2015, Nicolas Chardon applies a thin coat of white acrylic to gingham fabric, painting in sections of the patterned grid to create monochrome blocks, while Bonduelle echoes the Styrofoam waves of her benches for the diptych Frise n° 22 A, B, 2015. While there is something laudable in the attempts to advocate a more substantial engagement with the internal rhythms of seemingly quiet compositions, “Waiting Room” ultimately risks implying that these works require a captive audience.

    Kate Sutton – January 2016 – Artforum - Critic's picks
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    Thème : Arts plastiques
  • Waiting room #4 by Maria Ines Plaza

    Il y a 9 ans

    / Presse / Waiting room #4 - M. I. Plaza

    Waiting room #4 by Maria Ines Plaza
    "The conditions for looking at art are miserable. Shows are often full of people, a few of whom are idiots. You can only stand and look, usually past someone else. No space, no privacy, no sitting or lying down, no drinking or eating, no thinking, no living. It’s all a show. It’s just information."
    Donald Judd, Complete Writings 1959-1975
    waiting room #4 is the fourth installment of an exhibition series based on the idea that waiting rooms offer an ideal situation for the contemplation of artworks.
    Comment by MARÍA INÉS PLAZA for Reflektor-M, 28. NOV 2015
    WAIT AND SEE.
    Twenty days ago, Elvire Bonduelle and I had an Espresso in the corner of a bus station in Torino, where she gave me the book she published with her Parisian gallery Laurent Mueller. It inherits fifteen excerpts chosen by friends of the artist, with a portfolio of  Salle d’Attente III, to which  Waiting Room #4  belongs in a very subjective, personal tradition to which Elvire Bonduelle has been curating her own shows.
    A quote by Donald Judd is the first key to enter the concept of the series on the ideal spatio-temporal parenthesis for seeing art; every curator fantasizes with the means and possibilities of this topos. To her, waiting rooms are the ones to end with the dilemma. “We see nothing”, she says when we have to force our gaze into the thirty seconds or the few minutes we dedicate to art pieces during a museum- gallery or an off-space visit. But in waiting rooms, we do not control time, and Bonduelle works are to be seen as an invitation to relax;  “to exit the relationship of domination that everyone wants to exert on events”.
    You could tell, Bonduelle’s gaze demands slowness and physical inactivity to appreciate the works; because we are easily distracted by other people and our own thoughts, art turns into a negligibility. The Rijksmuseum in Amsterdam has hung a huge banner with a prohibition sign for cameras on Saturdays, so people start drawing what they see. As the majority of spectators now use a smartphone as a compensation for the lack of will to contemplate art, to immerse our thoughts in what we see transforms into the challenge. Bonduelle doesn’t force the gallery visitor to put the camera away, but rather to enter the state of simulacrum that a waiting room provokes. The idea of the waiting room as the possible space for comfortable contemplation doesn’t reduce itself to the medical context, but the spaces we know we get to only wait: A metro/bus station, the anteroom to the toilettes were we can look ourselves at the mirror, the transit zones at airports.
    Oscar Santillán said something at a dinner referring to waiting rooms also as a state of mind. A waiting room can thus be the blue notifications on Whatsapp, the status of the other person while typing, the green/grey dots that tell us on facebook who is online and who isn’t.
    A waiting room in Bonduelle’s terms can be compared with the neon installation of Flaka Haliti at Prince of Wales  “I see that you have seen that I have seen”(your message), or the platonic and futuristic western scenario at  ‘The Good, the Bad and the Ugly’  from Konstantin Grcic.
    The furniture pieces Bonduelle presents in a way they’re an excuse to reevaluate the means of introducing an artwork into a space that is already habited by other objects. The naked foam and the asymmetric chair legs near the vases of Amedeo Polazzo combine the unintentional gesture with conceptual perfectionism, while the so called Tutti-Frutti canvases of Nicolas Chardon converts the abstract use of color surfaces, into extent of body movements as if they would literally dance out of the wall.
    "(…) I would admit that at the origin of the waiting room concept, are two very personal handicaps: A great difficulty in concentrating without being alone, and a fairly poor circulation mean standing-still for long periods of time is uncomfortable."
    Émile Vappereau’s sort of palm tree, out of residual pieces in a huge metal vase and the color field magazine of Olaf Nicolai, mimetize certainly that random situations of watching something unintentionally and suddenly realizing the material masquerade-game the artists play.
    Bonduelle’s request could be understood as an egoistic act, as the subjectivities of the erratic way things installed at Sperling are subordinated to the artist’s stoic pursuits. It could be formulated the other way around: It is actually an exceptional offer to discover something beyond the exhibition by sitting in the chairs she makes, while her canvases can be rotated, putting the genealogy of painting as a certain absurdity, but also creating a very unusual atmosphere in a gallery: The sense to the spectators that whatever we do – sit, stand or hang around - it will influence the space.
    "The conditions for looking at art are miserable. Shows are often full of people, a few of whom are idiots. You can only stand and look, usually past someone else. No space, no privacy, no sitting or lying down, no drinking or eating, no thinking, no living. It’s all a show. It’s just information."
    Donald Judd, Complete Writings 1959-1975

    Waiting room #4 is the fourth installment of an exhibition series based on the idea that waiting rooms offer an ideal situation for the contemplation of artworks.

    A text by MARÍA INÉS PLAZA for Reflektor-M, 28. NOV 2015

    WAIT AND SEE.
    Twenty days ago, Elvire Bonduelle and I had an Espresso in the corner of a bus station in Torino, where she gave me the book she published with her Parisian gallery Laurent Mueller. It inherits fifteen excerpts chosen by friends of the artist, with a portfolio of  Salle d’Attente III, to which  Waiting Room #4  belongs in a very subjective, personal tradition to which Elvire Bonduelle has been curating her own shows.

    A quote by Donald Judd is the first key to enter the concept of the series on the ideal spatio-temporal parenthesis for seeing art; every curator fantasizes with the means and possibilities of this topos. To her, waiting rooms are the ones to end with the dilemma. “We see nothing”, she says when we have to force our gaze into the thirty seconds or the few minutes we dedicate to art pieces during a museum- gallery or an off-space visit. But in waiting rooms, we do not control time, and Bonduelle works are to be seen as an invitation to relax;  “to exit the relationship of domination that everyone wants to exert on events”.

    You could tell, Bonduelle’s gaze demands slowness and physical inactivity to appreciate the works; because we are easily distracted by other people and our own thoughts, art turns into a negligibility. The Rijksmuseum in Amsterdam has hung a huge banner with a prohibition sign for cameras on Saturdays, so people start drawing what they see. As the majority of spectators now use a smartphone as a compensation for the lack of will to contemplate art, to immerse our thoughts in what we see transforms into the challenge. Bonduelle doesn’t force the gallery visitor to put the camera away, but rather to enter the state of simulacrum that a waiting room provokes. The idea of the waiting room as the possible space for comfortable contemplation doesn’t reduce itself to the medical context, but the spaces we know we get to only wait: A metro/bus station, the anteroom to the toilettes were we can look ourselves at the mirror, the transit zones at airports.

    Oscar Santillán said something at a dinner referring to waiting rooms also as a state of mind. A waiting room can thus be the blue notifications on Whatsapp, the status of the other person while typing, the green/grey dots that tell us on facebook who is online and who isn’t.A waiting room in Bonduelle’s terms can be compared with the neon installation of Flaka Haliti at Prince of Wales  “I see that you have seen that I have seen”(your message), or the platonic and futuristic western scenario at  ‘The Good, the Bad and the Ugly’  from Konstantin Grcic.

    The furniture pieces Bonduelle presents in a way they’re an excuse to reevaluate the means of introducing an artwork into a space that is already habited by other objects. The naked foam and the asymmetric chair legs near the vases of Amedeo Polazzo combine the unintentional gesture with conceptual perfectionism, while the so called Tutti-Frutti canvases of Nicolas Chardon converts the abstract use of color surfaces, into extent of body movements as if they would literally dance out of the wall."(…) I would admit that at the origin of the waiting room concept, are two very personal handicaps: A great difficulty in concentrating without being alone, and a fairly poor circulation mean standing-still for long periods of time is uncomfortable."Émile Vappereau’s sort of palm tree, out of residual pieces in a huge metal vase and the color field magazine of Olaf Nicolai, mimetize certainly that random situations of watching something unintentionally and suddenly realizing the material masquerade-game the artists play.

    Bonduelle’s request could be understood as an egoistic act, as the subjectivities of the erratic way things installed at Sperling are subordinated to the artist’s stoic pursuits. It could be formulated the other way around: It is actually an exceptional offer to discover something beyond the exhibition by sitting in the chairs she makes, while her canvases can be rotated, putting the genealogy of painting as a certain absurdity, but also creating a very unusual atmosphere in a gallery: The sense to the spectators that whatever we do – sit, stand or hang around - it will influence the space.
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    Thème : Arts plastiques
  • Trois Cales

    Il y a 9 ans

    / Travaux

    • 1 - cales wdnwa 6
      cales wdnwa 6
    • 2 - cales wdnwa 5
      cales wdnwa 5
    • 3 - cales wdnwa 4
      cales wdnwa 4
    • + 4 media(s)
    Thème : Arts plastiques
  • The Rotating Painting Show - Par Domitille d'Orgeval

    Il y a 9 ans

    / Presse / The Rotating Painting Show

    Les «  Peintures rotatives  » d’Elvire Bonduelle ont pour point de départ un motif visuel aussi simple et factuel que possible  : la ligne courbe que dessine un rideau se détachant dans le rectangle d’une fenêtre. De cette vision, l’artiste a tiré une série de dessins à la règle qui caractérisent une partie de sa production depuis quelques années. Puis, elle a extrait ce motif de son contexte initial pour le soumettre à un ensemble d’opérations qui ont conduit à des peintures abstraites hard edge, dans la filiation assumée du maître du genre, Ellsworth Kelly. Le résultat est d’une grande efficacité visuelle  : l’œil se perd dans l’abîme du noir, tandis que le blanc le ramène à la surface de l’oeuvre. L’artiste a vérifié l’impact de ce contraste saisissant à travers un ensemble de tableaux qui se singularisent par leur mode de présentation  : leur sort n’est pas d’être présentés immuablement alignés sur le mur blanc de la galerie mais plutôt d’être agencés sous des formes changeantes (diptyque, quadriptyque), chaque combinaison offrant au regard une vision différente. En effet, le galeriste, tel un performeur, est mandaté par l’artiste pour opérer une rotation de ses œuvres, de préférence à l’insu du spectateur, ceci tant pour le défier, tester sa capacité d’attention que pour laisser un doute s’immiscer.
    La farce qui se joue ici a également pour but d’amener le spectateur à réfléchir à ce qu’il voit, à exercer son regard. Une problématique déjà abordée par Elvire Bonduelle lors de sa précédente exposition chez Laurent Mueller, «  Salle d’attente III  », au cours de laquelle l’artiste remarquait : «  tout est là : bien souvent, nous ne voyons rien. Nous forçons notre regard, à vouloir voir absolument, là, maintenant, en trois minutes, en trente secondes. » Là ne s’arrête cependant pas le propos d’Elvire Bonduelle comme en témoignent d’autres peintures rotatives qui délaissent l’esthétique hard edge   mais qui reprennent également des motifs courbes extraits du réel. Ces œuvres donnent à voir l’épuisement progressif de la peinture emportée par le pinceau sur la surface à peindre. Ce dernier est dirigé du bord supérieur de la toile vers son côté inférieur droit ou gauche, jusqu’à épuisement de la matière picturale. Puis il est de nouveau trempé et traîné pour reproduire le même geste.
    Les «  Peintures rotatives  » d’Elvire Bonduelle renouent sur un mode inédit avec les pratiques protocolaires de certains concrets, BMPT ou Support-Surface. Avec pertinence et humour, mais avec aussi cette fausse indolence qui la caractérise si bien, l’artiste suscite une réflexion sur la peinture, l’acte de peindre et les conditions de présentation des œuvres.
    Domitille d’Orgeval
    Les «  Peintures rotatives  » d’Elvire Bonduelle ont pour point de départ un motif visuel aussi simple et factuel que possible  : la ligne courbe que dessine un rideau se détachant dans le rectangle d’une fenêtre. De cette vision, l’artiste a tiré une série de dessins à la règle qui caractérisent une partie de sa production depuis quelques années. Puis, elle a extrait ce motif de son contexte initial pour le soumettre à un ensemble d’opérations qui ont conduit à des peintures abstraites hard edge, dans la filiation assumée du maître du genre, Ellsworth Kelly.

    Le résultat est d’une grande efficacité visuelle  : l’œil se perd dans l’abîme du noir, tandis que le blanc le ramène à la surface de l’oeuvre. L’artiste a vérifié l’impact de ce contraste saisissant à travers un ensemble de tableaux qui se singularisent par leur mode de présentation  : leur sort n’est pas d’être présentés immuablement alignés sur le mur blanc de la galerie mais plutôt d’être agencés sous des formes changeantes (diptyque, quadriptyque), chaque combinaison offrant au regard une vision différente.
    En effet, le galeriste, tel un performeur, est mandaté par l’artiste pour opérer une rotation de ses œuvres, de préférence à l’insu du spectateur, ceci tant pour le défier, tester sa capacité d’attention que pour laisser un doute s’immiscer. La farce qui se joue ici a également pour but d’amener le spectateur à réfléchir à ce qu’il voit, à exercer son regard. Une problématique déjà abordée par Elvire Bonduelle lors de sa précédente exposition chez Laurent Mueller, «  Salle d’attente III  », au cours de laquelle l’artiste remarquait : «  tout est là : bien souvent, nous ne voyons rien. Nous forçons notre regard, à vouloir voir absolument, là, maintenant, en trois minutes, en trente secondes. »

    Là ne s’arrête cependant pas le propos d’Elvire Bonduelle comme en témoignent d’autres peintures rotatives qui délaissent l’esthétique hard edge   mais qui reprennent également des motifs courbes extraits du réel. Ces œuvres donnent à voir l’épuisement progressif de la peinture emportée par le pinceau sur la surface à peindre. Ce dernier est dirigé du bord supérieur de la toile vers son côté inférieur droit ou gauche, jusqu’à épuisement de la matière picturale. Puis il est de nouveau trempé et traîné pour reproduire le même geste. Les «  Peintures rotatives  » d’Elvire Bonduelle renouent sur un mode inédit avec les pratiques protocolaires de certains concrets, BMPT ou Support-Surface. Avec pertinence et humour, mais avec aussi cette fausse indolence qui la caractérise si bien, l’artiste suscite une réflexion sur la peinture, l’acte de peindre et les conditions de présentation des œuvres.

    Domitille d’Orgeval
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  • Waiting room #4

    Il y a 9 ans

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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Katharina Monka, A 00315

    Il y a 9 ans

    / Articles

    Katharina Monka, A 00315
    Dans la lignée d'un art conceptuel attentif aux contextes de présentation de l'oeuvre d'art, Katharina Monka s'intéresse aux conditions de sa réception, à son fonctionnement en tant que dispositif de monstration.

    "On entre dans l'exposition d'un lieu où ce qui a lieu s'expose". Cette description par René Denizot d'une installation de Daniel Buren intitulée "une enveloppe peut en cacherune autre" situe aussi pleinement l'enjeu du dispositif imaginé par Katharina Monka pour le Studio. Il s'articule autour d'un film réalisé lors de sa précédente exposition à Munster. La présentation de son oeuvre y prend un caractère rituel avec la complicité de son galeriste allemand. Son rôle d'intermédiaire assurant la rencontre du public avec l'oeuvre est ici minutieusement chorégraphié dans ses faits et gestes. La blancheur du white cube et son acoustique singulière participent d'une esthétique froide, presque clinique où cette mise en oeuvre du show rejaillit avec force. Katharina Monka nous la présente comme la négociation sans cesse tentée d'un point d'équilibre vital entre le vide et le plein, l'animé et l'inanimé, le corps et l'objet, le manifeste et le caché.

    Le spectateur en est à ce titre un acteur - et activateur essentiel. Les sculptures ici exposées se confondent d'ailleurs avec un mobilier destiné à moduler ses comportements. La présence du corps passe aussi par leur aspect inachevé, les choix plastiques subtils leur assignant une façade et un dos. Le vivant les contamine comme ces plantes s'échappant d'une table basse et voisinant un cube blanc orné de vis dont les faces intérieures exhibent l'impact de leur perforation.

    Dans cette exposition reposant sur un jeu formel de renvois et de mises en abîme, c'est tout un dialogue entre le corps et l'espace qui s'incarne avec humour. Un humour quisubvertit le jeu des apparences, perfore les surfaces, exhibe les processus pour humaniser les objets, surprendre et tenter une rencontre singulière avec le visiteur.

    Communiqué de presse pour la galerie laurent mueller, septembre 2015
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    Thème : Arts plastiques
  • Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Josué Z. Rauscher ou les nouveaux commencements
    Sans doute n’est-il pas meilleure façon de parler de l’humain que de s’intéresser à sa relation aux objets. Les outils permettent son accomplissement, sa maîtrise de la nature et l’appropriation de son environnement. C’est le processus inhérent à ces formes d’inscription dans le monde que Josué Z. Rauscher fouille et délivre « sur le mode d’une espèce d’archéologie expérimentale »?2. 

    Jour du Seigneur (2013) et Le Pèlerinage à Emmaüs (2014) sont deux œuvres significatives de son questionnement amusé sur la fonctionnalité des objets. Par les systèmes de déclassement et de recyclage qu’il met en œuvre, Josué Z. Rauscher s’émancipe de « cette instance sélective (...) qu’est le rationalisme »?3. Il développe une recherche guidée par une libre manipulation des objets, l’étude sensorielle et comparative de leurs formes et de leurs matériaux. Son œuvre se construit de manière à la fois empirique et contemplative, comme aux premiers temps de la technique.

    D’apparence pré-industrielle voire pré-culturelle, ses objets ont un caractère souverain, indéchiffrable et silencieux. Dévoyés de leur fonction première, ils migrent vers un « ordre de nature »?4 que Jean Baudrillard opposait dans Le système des objets à ceux produits par une « société technique »?5 développée « sur la base d’une abstraction totale »?6. Chez Josué Z. Rauscher, le traitement de la matière leste chaque forme d’une présence singulière.
    L’absence de finalité de ces objets en fait aussi des « outils spéculatifs »?7 où se réfléchit tout autant la réalité du travail que celle de la création artistique. Les références au chantier et l’entremêlement de l’espace de travail à celui de l’exposition caractérisent fortement son univers. Mais l’accident, la panne, l’équilibre précaire si présents dans l’œuvre de Josué Z. Rauscher opposent une forme de résistance sourde aux critères de la productivité.

    Car, au-delà des objets, c’est plus essentiellement du geste qu’il s’agit. En le dégageant de toute finalité clairement identifiable, Josué Z. Rauscher fait apparaître le sens du faire. En le réfléchissant dans sa réalité économique, morale et affective, il l’approche comme valeur. Travailler pour quoi ? Apporter quoi de plus à ce monde déjà saturé d’objets ?

    À ce sujet, certaines pièces imaginées par Josué Z. Rauscher évoquent aussi des jouets brisés ou des armes, résidus d’actions ludiques ou guerrières au travers desquelles les civilisations expriment l’excès, dilapident l’avoir et touchent l’être.

    S’il fallait retenir un aspect essentiel et singulier de l’œuvre de Josué Z. Rauscher, ce serait cette forme de poïesis qui la caractérise et l’habite. Le philosophe et architecte Stéphane Gruet en donne la définition suivante : « Ni production technique, ni création au sens romantique, l’œuvre poïétique réconcilie la pensée avec la matière et le temps, et l’homme avec le monde »?8.

    Texte pour la YIA art fair #05, octobre 2015
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    1. Nous empruntons l’expression du titre à Jack Ralite - La pensée, la poésie et le politique. Éd. Les Solitaires Intempestifs, 2015 -
    2. Propos de l’artiste
    3. Qu’est-ce que la sculpture moderne ? Éd. du centre Georges Pompidou, 1986
    4. Jean Baudrillard, Le système des objets. Éd. Gallimard, collection Tel, 1968
    5. Ibid.
    6. Ibid.
    7. L’usage des formes, artisans d’art et artistes. Palais de Tokyo, 2015 (document d’aide à la visite de l’exposition)
    8. Stéphane Gruet, Architecture, ville et société humaine. Éd. Poïesis, 2015
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  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Anahita Bathaie, Bruissements

    Il y a 9 ans

    / Articles

    Anahita Bathaie, Bruissements
    Nous vivons une époque bavarde, empressée de communiquer, oublieuse de la qualité fertile d'un certain silence. Cette résistance par le silence1 s'est trouvée chez plusieurs artistes conceptuels dont l’oeuvre tentait une forme de mise en présence. Elle apparaissait ainsi dans son économie fonctionnelle et non plus formelle. La distinction est de Jean-Hubert Martin2 qui poursuit ainsi : "l'oeuvre d'art ne peut se réduire à la seule sensation rétinienne. Elle possède une aura qui déclenche des phénomènes mentaux".

    L'on sent d'abord, chez Anahita Bathaie, une volonté de s'extraire de tout discours convenu pour inventer de nouvelles conditions d’échange avec le regardeur. Ces conditions se traduisent au moyen de gestes qui ouvrent des espaces de friction entre le social et l'intime, l'identité et la subjectivité. Anaitha Bathaie capte sous de multiples formes ce pouvoir de transformation à l’oeuvre. Il se performe parfois sous les yeux du visiteur. Il se dépose aussi sous la forme de tracé, dans la pratique réglée d’une écriture ou d’un dessin. Il se ritualise à travers ses photographies et ses vidéos. Il se déploie dans l’amplitude du noir et du blanc, quel que soit le medium choisi pour le manifester.
    S'extraire du discours convenu, c'est permettre une possibilité de commencement. C’est tenter un espace de transformation entre ce qui est et adviendra peut-être chez le regardeur.

    Avec l'exposition Bruissements, l'artiste orchestre un voyage mental qui gravite autour d'un motif récurrent, l'Arbre de vie. Son contour apparaît, indissociable de l’économie du geste qui l’a tracé avec précision à la mine de plomb. Il peut faire écho au patient travail manuel de filage du lin, le tissu sur lequel cet arbre se détache, en une forme de tridimensionnalité suggérée, comme contenu en puissance.
    Ailleurs, sur une autre cimaise, nous trouvons ce même arbre dessiné en négatif, encadré et de fait maintenu à distance. Il est comme une échographie du premier, littéralement « écrit par l'écho ».

    En un autre mode de présentation filmé, l’arbre retrouve le réalisme de ses couleurs et de son paysage naturel. Nous regardons cette fois-ci le plan fixe d’une clairière arborée. Dilatée dans sa profondeur et sa répartition sonore, la bande son qui accompagne le film est immersive, enveloppante. Elle simule la profondeur d’un espace, inscrit le plan fixe dans une temporalité. Un gazouillement d’oiseaux, trop persistant pour sonner vrai, se mêle progressivement à l’impact de bombardements, au crépitement du feu, à la rumeur générique de la guerre. Puis la clairière réaliste trahit soudain sa nature d’image filmée lorsque des flammes apparaissent, cornent et craquèlent sa surface iconique. Cette destruction par le feu convertit l’image projetée en une peinture aux couleurs inouïes.

    Dans cette exposition, Anahita Bathaie invente les conditions d’une apparition, d’une construction et d’une destruction d’espace dont l’Arbre de vie est le pivot symbolique. Il revient à chacun d’en approcher le mouvement, d’en sentir la vitalité, d’éprouver ce qu’il en reste une fois retrouvé le tumulte de son existence.

    Marguerite Pilven, communiqué de presse pour la galerie ALB, novembre 2015.

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    1 Bernard Lamarche-Vadel parlait d’une « occlusion ». Conférences de Bernard Lamarche-Vadel : La bande-son de l'art contemporain, Ed. du Regard : Institut français de la mode, 2005.
    2 Benjamin H.D Buchloh et Jean- Hubert Martin, "Entretien", Les Cahiers du Musée national d'art moderne, n°28, été 1989, numéro Magiciens de la terre, Paris, Centre Pompidou.
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    Thème : Arts plastiques