J’ai passé trois ans de ma vie sous terre, avec les gueules noires de Moselle-est, jusque dans l’une des exploitations les plus profondes d’Europe, dans les puits Vouters à Merlebach et de La Houve à Creutzwald, les deux dernières tailles de charbon françaises en activité. Jamais, jusque-là un étranger à la mine n’avait eu le privilège de partager la vie quotidienne de ses Seigneurs. Lampiste, about, traceur, boute-feu, ripeur, électro., haveur ou porion,…, ils m’ont permis d’être là, parmi eux, où l’on creuse, où l’on boise, où l’on roche, où l’on rabenasse, où l’on mange, où l’on chante, où l’on meurt parfois. J’ai vécu avec eux par 900 et 1250 m de fond dans ces deux immenses chantiers mobiles, là où, dans chaque taille, plus de 2500 tonnes de matériel rampant permettent d’extraire jusqu’à 10 000 tonnes de houille par 24 heures.
Dès la cordée de 5h50, quand on quitte la nuit pour une autre nuit, plus profonde encore, et jusqu’à l’heure où l’on se dit « à demain », d’une poignée de main solide et protectrice, pour voler quelques heures de sommeil aux ténèbres, omniprésentes et familières, à force.
Aujourd’hui, il n’y a plus de mineurs de charbon en France, il n’y aura plus, non plus, de mine industrielle sous terre si l’on excepte les quelques ardoisières encore en exploitation près d’Angers. C’est tout un monde qui s’évanouit : un monde fort, héroïque, chargé de drames, et dans lequel la littérature et le cinéma ont largement puisé, au risque d’avoir gravé dans l’esprit du public une image désuète et caricaturale de cet univers consacré à la substance noire pour et par laquelle nombre de régions françaises, à commencer par l’est de la Lorraine, ont vécu pendant plus d’un siècle.
C’est à cet univers, qu’on vient d’enterrer avec la dernière haveuse, que j’ai voulu rendre hommage à travers ce témoignage. C’est pour ces hommes désormais en deuil que j’ai voulu vivre la mine, au jour le jour…mais c’est à moi qu’ils ont offert le plus précieux des cadeaux en m’ouvrant grands leurs bras et leur cœur, et en permettant de garder, au jour, un peu de leur vie. La vie de ceux qui ont éteint leur lampe sur une partie importante de notre histoire.
Quelques photographies qui m’autoriseront peut-être à leur dire à mon tour Glück auf*.
Jacques Grison
* ∼ …à la joie de nous retrouver au jour !