J’ai rencontré Serge Gainsbourg à Londres. Il logeait dans une petite maison à Chelsea avec Jane, et moi dans une chambre sans dessus dessous à l’hôtel Caddogan, là où Oscar Wilde, un de mes auteurs préférés, passa ses dernières heures de liberté avant d’être jeté en prison. A l’époque c’était un lieu totalement décadent, mais les lits de travers, les rideaux déchirés, les escaliers branlants, les portes impossible à ouvrir ni à fermer, le bar mal éclairé, fréquenté jadis par Edouard VII et ses maîtresses, et où le garçon ratait une fois sur deux le mélange instable et subtil des Irish coffe, m’enchantaient. Aujourd’hui le Caddogan est un palace, et ses riches occupants ignorent certainement qu’un pauvre forçat a dormi là.
Après l’enregistrement de la musique d’un film de Robert Benayoun, que nous avions écrite ensemble, Serge me parle d’un projet, « Melody Nelson ». Comme j’attends les détails, il me dit : « je n’ai que le titre. Pas de musiques, pas de paroles, rien. As-tu quelque chose dans tes tiroirs ? » Je me souviens exactement de l’expression, car j’avais alors compris « as-tu quelque chose de méritoire ? »
J’ai écrit certaines musiques, Serge d’autres, et nous avons conçu toute une suite hétéroclite de chansons :
Il y en avait même une qui s’appelait « Melody au zoo ». C’était un peu « Bécassine à la plage ». Serge me disait : « à nous deux on est Cole Porter, les paroles et la musique, je suis Cole et tu es Porter ».
Nous sommes allé au studio, à Londres ; j’avais écrit pour une rythmique composée de Big Jim Sullivan, Vic Flick, Dougie Wright et Herbie Flowers. Je jouais les claviers et nous avons enregistré une heure de musique. Toujours pas de texte.
Rentrés à Paris nous avons sélectionné les meilleurs moments, sur lesquels j’ai écrit des cordes, que j’ai enregistrées au studio des Dames avec des musiciens de l’Opéra de Paris.
Ensuite Serge à conçu le texte, l’histoire de Melody Nelson, en s’inspirant de la rythmique et des cordes. Il était à l’époque très impressionné par les sonnets héroïques de José Maria de Heredia, et je crois qu’il en reste un parfum, principalement dans « Cargo culte ».
Comme nous n’y connaissions ni l’un ni l’autre en automobiles, et à fortiori en Rolls Royce, mon père nous a fourni une liste de noms, où Serge a puisé « Silver Ghost », évidemment, l’épicier marocain en bas de chez moi nous a offert le mot « raz el hanout », et voilà pour le décor.
La sortie du disque a été un échec.
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