Le plus amusant, dans la composition de musique pour les téléfilms, c’est le rendez vous avec les responsables de la chaîne productrice.
Un compositeur de musique pour eux c’est un peu comme un sorcier vaudou ou une courtisane. Quand les acteurs ne sont pas bons dans la scène d’amour, quand les actrices n’arrivent pas à dire « je t’aime », on doit rattraper le coup avec nos instruments, nos pipeaux. Alors ils nous adorent, (« j’aime beaucoup ce que vous faites ») exigent des miracles, des trucs compliqués, nous cajolent, nous promettent la lune, pour sauver le film. Mais dans le fond ils craignent nos rites bizarres, ces partitions cabalistiques, indéchiffrables, et se méfient du pouvoir de séduction de la musique, des caresses traîtresses des violons.
Un producteur avait demandé que je lui joue au piano, avant l’enregistrement, les mélodies principales que j’avais imaginées pour la musique de fond d’un téléfilm.
Il était venu à la maison, et, tandis que je lui pianotais mes pauvres thèmes, il regardait gravement par la fenêtre, me tournant le dos, les yeux fixés sur les platanes du boulevard, comme si la paix sociale et l’avenir économique du pays dépendaient de cette entrevue. Soudain, alors que je lui ciselais du mieux que je pouvais le thème N°3 dit « sentimental », (et voilà les violons) il se retourna brusquement vers moi et pointant un doigt vengeur vers le clavier :
« Cette note, là, oui, celle-là, que vous venez de jouer, le public n’en veut pas. »
Un sol dièse.
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