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Marguerite Pilven

Marguerite Pilven

Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Estèla Alliaud

    Il y a 11 ans

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    Estèla Alliaud
    In his treatise called "Traité de l’efficacité", François Jullien describes processes of creation for which « it is essential that the effect is not subjected to any overload from whoever produces it, and that they should be careful not to add anything personal and emotional to its pure effectiveness. » This form of efficiency at the polar opposite of the flamboyant effect is also the one that Estèla Alliaud is seeking. In deliberately neutral interiors, she engages simple phenomena with materials that she stages : a floor covered in milk, and empty room swamped with an ash cloud, a patch of clay slowly flowing on plywood…These set spaces both thought-out and intuitive are photographed in real time.

    If the camera is used for its descriptive qualities, for Estèla Alliaud it is also a speculation tool. The fragmented visions that she samples from these experiences enhance fine phenomena : fragile equilibriums of a mass layout, discreet appearances of phenomena triggered by contacts, transitions from one state to another. Sometimes, the artist chooses to re-establish them with several shots so that it is possible to follow the evolution of the substance and the way the movement inscribes or fixes itself in it.

    This substance thus becomes a memory, a sensitive testimony of an advent or a disappearance. Each and every one should estimate where they stand on this evolution. The eye brushes the materials and eyesight gets more refined through contact with miniscule details. Estèla Alliaud thus awakens the viewer’s sensitivity in substance, without directing it towards a definite thematic.

    For the Solo project's catalogue, Basel 2013
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    Thème : Arts plastiques
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    Raúl Illarramendi "Drawing from Nature"

    Il y a 11 ans

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    Raúl Illarramendi "Drawing from Nature"
    Dans son exposition "Drawing from Nature", Raúl Illarramendi convoque d’emblée l’idée de motif en plein air, des motifs que l’artiste trouve dans la rue : traces de doigts sur les carrosseries poussiéreuses de camion, impacts de ballons sur des portails, traînées de crachats sur les murs (SD, abréviation de Spit Drawing). La retranscription minutieuse de ces traces, au crayon et à échelle 1, génère des œuvres de grand format, parfois monumentales.

    Dans sa volonté de toucher le moins possible à la naturalité du sujet, Raúl Illarramendi a développé un procédé graphique qui évacue la trace de la main. Le motif n’est pas formé par les contours du crayon. Il se circonscrit dans les réserves émergeant de crayonnages patients de la surface. Le dessin s’extrait d’un fond préparé à la gouache, intouché par le crayon. En inversant la hiérarchie traditionnelle entre la forme et le fond, l’artiste exploite les possibilités illusionnistes du dessin, jusqu’aux limites de sa disparition. Le leurre repose sur l’effacement de l’action de la main et l’illusion que la trace est une empreinte.

    Un fort effet de présence s’en ressent. Il est produit par le paradoxe d’un dessin à la fois performatif et absent en tant que tel (leur titre est EA, abréviation de Evidence of Absence). L’artiste décrit ce processus comme : « un travail de mémoire contenant juste assez de réalisme pour tromper l’attention». Juste assez pour créer un doute, produire un effet de sidération chez le regardeur.

    « Le dessin n’est pas la forme, il est la manière de voir la forme », écrivait Edgar Degas. Il est, chez Raúl Illarramendi, l’outil d’une réflexion qui interroge à la fois la définition de la nature et la nature du dessin. EA n°131 (Sucio) est à ce titre une composition qu’il qualifie de didactique. Sur ce qui s’apparente à un mur sale et lessivé par endroits apparaît le mot « sucio » (sale), comme tracé du doigt dans la poussière. De ce nettoyage produisant à son tour des traces (celui des graffitis est un exemple bien connu), l’artiste retient une ambiguïté qu’il reporte dans sa pratique du dessin. Il dit ainsi partager avec les peintres abstraits, comme Antoni Tapiès ou Cy Twombly, une fascination pour les accidents qu’il intègre à ses travaux en les imitant.

    Qu’appelle-t-on nature ? Ce qui ne provient pas de la main ou ce que l’on en voit ? Et comment perçoit-on ce que l’on voit ? Par sa pratique déviante du dessin, Raúl Illarramendi contourne l’artifice du ressemblant pour rester au plus près de la naturalité du motif.  En rendant hommage à la série des Sainte Victoire, (DFN, 2013) il reprend à son compte l’ambition de Paul Cézanne : trouver des équivalences à la nature au lieu de la transformer.

    Pour artpress.com
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    Thème : Arts plastiques
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    Playtime, le corps dans le décor

    Il y a 11 ans

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    Playtime, le corps dans le décor
    « Le corps dans le décor »

    L’exposition Playtime prend pour fil rouge le thème du
    « corps dans le décor ». Elle se structure en deux volets reliés par une installation composée d’œuvres
    « praticables » réalisée par Elvire Bonduelle.

    La première section
    fait se rencontrer Lucien Hervé et Cyrille Weiner à travers une sélection de photographies filtrée par des références à Play Time, un film réalisé par Jacques Tati en 1967.  Par ses collaborations avec Le Corbusier, et des architectes majeurs du modernisme,  Lucien Hervé a contribué à diffuser une utopie sociale, portée par une montée en force de l'industrie, une croyance en la machine et en son amélioration des standards de la vie domestique. L’ambition des urbanistes d'après-guerre a été de replacer l’humain au cœur de la ville, mais l’architecture normative qu’elle a généré s’est progressivement écarté de cette volonté de départ. En observant le vivant à la marge, là où l’on ne l’attend plus, Cyrille Weiner explore les manifestations actuelles, nécessairement éphémères, de cette utopie du « vivre ensemble ». La rationnalisation des espaces de vie s'évanouit à la périphérie des villes, elle favorise les actions improvisées qui échappent aux loisirs planifiés et au bonheur standardisé. L'approche de Cyrille Weiner est curieuse et sans nostalgie, avant tout sensible à la façon dont l’homme se réapproprie son environnement.

    Chez Elvire Bonduelle
    , des œuvres liées à l’idée d’aménagement de l’habitat irriguent une réflexion sur le fait de « trouver sa place ». Ses sculptures-mobiliers évoquent différentes manières d’être au monde : travailler, se cultiver, contempler… Leurs formes jouent parfois sur la frontière ténue entre conformisme et confort, adaptation et appropriation, fonctionnalisme et recherche personnelle du bonheur.

    La seconde section de l’exposition fait dialoguer les artistes Emese Miskolczi et Nathalie Regard. Leurs œuvres se situent à l’intersection du visuel et du virtuel. L'approche sérielle de Lucien Hervé multipliant les prises de vues d'un même bâtiment entretien une connivence avec la définition de la maison comme "machine à habiter" par le Corbusier. Cette métaphore machinique est également à l'oeuvre dans les travaux de ces deux artistes, marqués par la notion de processus et de répétition. La dématérialisation des espaces représentés évoque aussi ces nouveaux territoires de la "surmodernité" appelées « Non-Lieux » par le sociologue Marc Augé, des lieux de passage non destinées à être habités comme les aéroports, les salles d’attentes ou les écrans d’ordinateur ; l’appareillage informatique appartenant, en partie, au même espace que celui dans lequel notre corps agit1. Leur fascination pour les zones intermédiaires s’exprime par une reconstruction plastique de leur nature transitoire. La métaphore du chantier comme valorisation du travail, très présente chez Lucien Hervé, resurgit également avec force chez les deux artistes.

    Pour conclure...
    Issus d’une génération témoin de mutations importantes dans l’espace urbain, Lucien Hervé (1910-2007) et Jacques Tati (1907-1982) apportent une perspective historique sur les travaux des quatre autres artistes : Lucien Hervé rappelle à quel point la photographie a accompagné les étapes du mouvement historique moderne : la transformation urbaine, le nouveau paysage industriel, l’expansion du territoire. Le regard qu’il porte sur l’architecture de son temps est emblématique d’une approche utopique du « vivre ensemble ». Si l’urbanisme moderniste a insisté sur la vocation relationnelle et sociale des espaces aménagés, les « Non-Lieux » renvoient à l’expérience du déracinement, mais aussi à la dérive contemplative, celle que décrit Jacques Tati dans Playtime avec les personnages de Mr Hulot déambulant dans "Tativille" et d'une jeune touriste américaine se séparant de son groupe organisé.
    De l'urbanisme moderniste à l'appropriation de friches et de territoires virtuels, cette exposition est une réflexion sur l’habiter liée aux formes de représentations de l’espace construit.

    Marguerite Pilven, août 2013

    1- Ces lieux sont mentionnés à titre d’exemple. Tout lieu peut devenir un « non lieu » et inversement, en fonction de l’usage que l’on en fait. Une friche urbaine ou naturelle (non-lieu) peut devenir un squatt (lieu) et une habitation devenir un « non-lieu », comme le décrit Tati dans Play Time, avec les "appartement-vitrines."

    Playtime
    Du 13 septembre au 9 novembre
    La Graineterie / Houilles sur Seine

    Plus d'infos : www.playtime-expo.com
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    Thème : Arts plastiques
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    Icônes du temps présent

    Il y a 11 ans

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    Icônes du temps présent
    A l’occasion de la sortie des écrits de Michel Journiac aux éditions des Beaux Arts de Paris, j’ai été invitée à concevoir cette exposition. Les œuvres choisies instaurent un dialogue avec les « Icônes du temps présent », série réalisée par Michel Journiac en 1988. Echo visuel du Mystère de l’incarnation, l’icône a entretenu des rapports complexes avec la notion de représentation. Elle est tour à tour décrite par ses défenseurs  comme une « image-indice  », une
    « image-signe  » ou une « image d’image  ».

    Les « Icônes du temps présent » transgressent l’image-signe, séparée d’avec ce qu’elle représente. La photographie qui est empreinte de lumière est physiquement liée à son modèle, comme les traces visibles sur le Saint-Suaire, obtenues par contact avec le visage du Christ. Une « icône écrite avec du sang », d’après la légende de Sainte Véronique.

    Le sang de Journiac s’étale également à la surface de ses Icônes. Il se mêle à leur couche d’or qu’il chauffe de l’intérieur. Son geste rappelle que l’enjeu de l’icône se situe, justement, à l’endroit de sa superficialité ; dans son caractère  intercalaire, sa vocation à se tenir en retrait des choses du monde ; à mi-chemin de la chair transitoire et du divin.  

    Reprenant cette question de la distance à tenir avec le modèle, cette exposition s’articule autour du « visible » et de la surface sensible qui l’accueille ou le réfracte. Les notions de graphe et d’inscription  ; d’empreinte, de ressemblance   et de spécularité  la traversent. Elles confrontent plusieurs degrés de visibilité, en lien avec le corps : de son reflet à son incarnation  ou à sa suggestion en creux, sous la forme d’un corps absent . Dans son retrait, l’icône permet au regardeur d’advenir en tant que sujet ;  contrairement à l’idole qui impose sa présence pleine et l’assujetti. L’iconoclaste n’attaque pas l’image pour elle-même, mais pour ce que son interprétation surnaturelle génère d’adoration aveugle ou d’hébétude.

    Un dernier point sur ce qui a motivé le choix de ces œuvres : toutes privilégient  l’« ici et maintenant» en impliquant le spectateur. Iconoclastes et iconodoules se rejoignent sur l’essentiel, un combat contre la passivité qui est aussi celui de Michel Journiac. Sa réflexion intempestive sur le genre n’est-elle pas pleinement manifeste en se posant à chacun sous la forme du « mariage pour tous » ? La révolte de Journiac contre le corps assimilé par le contrat social s’est exprimée dans une affirmation absolue du désir. Pour qui la vit, l’icône suspend le temps de l’histoire. Elle lui oppose un présent qui est celui de la croyance et de l’amour.

    MP, juillet 2013

    « Icônes du Temps présent »   
    Commissaire : Marguerite Pilven

    avec Mohamed Ben Slama, Baptiste Debombourg, Guillaume Dimanche, Michel Journiac, Laura Lamiel, Claude Lévêque, David Marin, Axel Palhavi, Illés Sarkantyu.

    A la galerie Patricia Dorfmann, du 12 octobre au 9 novembre 2013.
    Dossier de presse avec notice par artiste et par oeuvre disponible ici
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    Thème : Arts plastiques
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    Mark Jenkins, the studio

    Il y a 11 ans

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    Mark Jenkins, the studio
    Voici une dizaine d’années que Mark Jenkins dispose ses sculptures incongrues sur les trottoirs des villes, un peu partout dans le monde. Le mobilier urbain sert de socle et de point d’appui à ses mannequins qu’il fabrique en moulant des modèles vivants et habille de vêtements passepartout pour mieux les mêler aux passants. Un homme enfoncé tête en bas dans une poubelle, un autre à genoux devant une vitrine de prêt à porter féminin, ou des corps ficelés dans des sacs poubelle et jetés sur le trottoir comme un sapin après les fêtes, voici quelques-uns des scénarios grotesques qu’il a imaginés. C’est assez pour perturber le flux des passants indifférents en suscitant la surprise, le trouble et les rires.

    Autodidacte, Jenkins n’a pas fréquenté les écoles d’art. Mais il dit avoir été profondément marqué par les sculptures de l’artiste Juan Muñoz découvertes au Hirshhorn museum. Jenkins renouvelle surtout une critique de la société de consommation amorcée dans les années 1970 par des artistes qui ont choisi le corps humain comme support de représentation de son aliénation. Duane Hanson est l’un des plus exemplaires : les personnages immobiles qu’il met en scène paraissent dépourvus d’intériorité. Leur regard vide ne trahit pas même l’ennui mais un vide abyssal. Jenkins radicalise le propos avec ses mannequins au visage souvent absent. Si l’on distingue encore chez Hanson comme chez George Segal un malaise lié à la tension entre l’apparence extérieure d’un individu et le vide existentiel qui l’habite.

    Mark Jenkins annule quant à lui toute approche psychologique.
    Prostrés, écrasés, abandonnés à leur sort, les corps qu’il met en scène sont des objets inertes, des fantoches desquels toute subjectivité a été évacuée. Mais aux situations profondément réalistes et volontairement banales privilégiées par ses aînés, Mark Jenkins préfère la dérision et se rapproche à ce titre d’Erwin Wurm.

    Depuis les années 80 et la fin des idéologies collectives, l’impertinence et l’absurde s’avèrent aujourd’hui plus efficaces pour effriter les remparts de l’individualisme. Comme au carnaval, l’idée est surtout chez Jenkins de lever les tabous, de révéler ce dont personne n’a plus le courage de parler, en évacuant les tensions. Jenkins touche la colère rentrée des citadins, leur frustration liée à la solitude, à la précarité et au mal logement. C’est sur ce fond de mal-être ambiant que joue l’impact de ses interventions dans l’espace public. Plutôt que de diffuser un message, Jenkins veut surtout faire réagir et raviver les échanges.

    Texte pour la galerie Patricia Dorfmann, paru dans Le magazine du Palais de Tokyo, Nouvelles Vagues, été 2013.
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    Thème : Arts plastiques
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    Illés Sarkantyu, Memorandum

    Il y a 11 ans

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    Illés Sarkantyu, Memorandum
    Depuis 2007, Illés Sarkantyu classe et numérise l’œuvre du photographe Lucien Hervé (1910-2007) à la demande de son épouse. Le maniement de ces archives lui inspire la série photographique Memorandum1. L’archivage repose sur une activité descriptive et suppose de fait une acuité d’analyse. Si l’aptitude à choisir est une compétence essentielle de l’archiviste, il doit aussi savoir détruire. Cette double exigence éclaire son travail de réappropriation artistique.

    Le memorandum, ou « memo », désigne techniquement toute activité destinée à aider la mémoire dans l’accomplissement d’un travail. Il peut aussi définir la somme d’indications données par une personne à une autre en vue de coordonner une production. Les dossiers photographiés sont des outils de rangement qu’utilisait Lucien Hervé pour ordonner son travail et s’y référer. Illés Sarkantyu les a manipulés à son tour puis a choisi de les conserver pour les exposer aux regards. Parlant de ces manipulations, nous voici justement très proches de la main d’Hervé : celle qui colle et recouvre, annote et souligne, griffonne et rature, numérote, indexe et déchire. Listes, mots clés, initiales et noms propres renvoient aux sujets qu’il a photographiés. Ils constituent les indices d’une mise en ordre que l’on parcourt sur la surface usée des chemises. Tirés ensemble et montés sur un panneau, ces dossiers de consultation, aujourd’hui remplacés par des chemises neuves, forment le corpus officiel d’Hervé.

    Faut-il chercher une logique à la surface de ces trieurs, intercalaires et autres chemises aux couleurs vives qu’Illés Sarkantyu a aussi retrouvées dans le bureau d’Hervé ? Rien ne semble définitif dans ces curieux assemblages d’étiquettes, d’adhésifs et de pastilles colorées qui ornent leur surface. Ces compositions aléatoires semblent plutôt traduire un pur plaisir récréatif. Les accessoires de bureau paraissent avoir été choisis pour leurs seules qualités plastiques de couleurs, de textures et de formes. Illés Sarkantyu les a photographiées isolément : à la fois comme des compositions singulières et comme des moments ludiques venus librement ponctuer une vie de travail.

    « L’homme ressemble à ce qu’il jette et à sa manière de jeter » écrivait Gilbert Lascaux au sujet d’œuvres qu’Arman appelait « portrait » : des boîtes vitrées où s’empilaient corbeille à papier, cendrier ou poubelle d’un individu. Illés Sarkantyu nous dit aussi que le portrait ne se résume pas à la dimension de la seule apparence. Hervé, homme de l’après guerre, jetait peu. Ses chemises déchirées et maintes fois recollées en témoignent. A l’heure de l’archivage numérique, Illés Sarkantyu les préserve à la fois de la dématérialisation et de la destruction des supports. Sa série photographique interroge à ce titre la frontière ambigüe entre document et œuvre artistique. Comme le fait si justement remarquer André Rouillé à ce propos : « tout n’est pas art, mais tout peut devenir art, où plutôt, toute chose peut devenir matériau de l’art dès lors qu’elle est inscrite dans une procédure artistique. L’art devient une question de procédure, et de croyance. »

    1 Le titre regroupe plusieurs séries en cours autour de la mémoire et du document

    Texte écrit à l'occasion du commissariat de l'exposition "Memorandum" à la galerie Binôme.
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    David Letellier

    Il y a 11 ans

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    David Letellier
    Architecte et musicien de formation, David Letellier synthétise son intérêt pour les interactions entre les sons et l’acoustique d’un lieu par ses sculptures cinétiques. Leur morphologie abstraite les apparente d’ailleurs plus à des machines et leur fonctionnement à celui de créatures douées d’autonomie. En 2011, David Letellier fait ainsi dialoguer deux corolles mécaniques fixées l’une en face de l’autre (Versus). Chacune émet un son que l’autre enregistre simultanément et transforme.
    Lorsque des visiteurs passent entre les corolles causeuses, leurs conversations et leurs bruits perturbent l’échange de ces créatures. Mais les corolles se nourrissent également de leurs sons qu’elles rediffusent en une version plus dense et texturée. Le principe d’interactivité qui accorde les pleins pouvoirs à l’usager sur la machine est ainsi renversé. En utilisant le spectateur pour s’alimenter, elle a ici le dernier mot ! Les corolles contrôlent les interactions avec les visiteurs dans l’espace qu’elles enserrent. Elles s’y imposent, comme à la tête d’un écosystème.

    Inversement, Caten, s’adosse à l’architecture de la Chapelle du Vieux Sauveur de Caen et s’y coule, comme en osmose. Caten est un filet formé par 300 « chaînettes », ou courbes obtenues par des fils tendus entre deux points qui les forment en retombant, par le fait de la gravitation. De très basses fréquences extraites des premières notes d’un cantique sont diffusées dans l’espace. Elles se modifient au gré des courbes que des bras mécaniques font lentement évoluer. Les basses fréquences étant relayées par des subwoofer disposés dans la chapelle, l’ensemble résonne tel un choeur sourd d’origine inconnue. Caten est comme le réceptacle sonore de la chapelle. Ses courbes légères sont l’écho sensible et mouvant de ses arches de pierre à la stabilité millénaire. Plutôt que Tinguely ou Calder auxquels il a été comparé, David Letellier aurait un antécédent chez Lazlo Moholy- Nagy. Le hongrois faisait à la lumière ce qu’il fait avec le son : capter, filtrer et moduler un immatériel devenu palpable.

    Marguerite Pilven pour Slicker n°5 (janvier-mars 2013)
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    Henrik Plenge Jakobsen, A thing of the mind

    Il y a 11 ans

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    Henrik Plenge Jakobsen, A thing of the mind
    Artiste conceptuel, Henrik Plenge Jakobsen travaille la matière même du langage. Réalisée entre 2009 et 2012, l’exposition, "a Thing of the Mind" présentée pour la première fois dans sa globalité à la Galerie Patricia Dorfmann, répond à sa fascination pour la mer Baltique visible du seuil de son atelier, à Copenhague. La découverte en 2009 d’un grand bois flotté, sur l’île danoise de Bornholm est à l’origine de cette construction de l’esprit qui semble mêler le rêve à l’expérience sensible.

    Les courts-métrages muets que Plenge Jakobsen tourne sur l’île de Lilla Karlsö et deux autres îles de la Baltique, Bornholm et Fårö (l’île de Bergman), décrivent des échanges tactiles entre l’homme et la nature, en une suite d’actions que l’on devine archétypales et ritualisées : un homme tatoué descend vers la mer en tenant Ovary, un « bâton ovarien1» coiffé de paires d’œufs, une femme dispose des miroirs triangulaires à l’orée d’une cavité rocheuse, un homme entre à mi- ceinture dans les eaux sombres de la grotte et un autre déverse du sel à une embouchure de la mer… Rythmés par un mouvement pendulaire mêlant les corps aux paysages, les profondeurs de la mer au littoral et au ciel, ces films nous placent au cœur d’un réseau d’échanges indivisibles. Intensément réfractée par des effets de contrejour et de lens flare, la lumière naturelle accompagne ces interférences.

    Symbole de ce qui féconde la vie et la rend visible, l’énergie solaire matérialise ces capillarisations du sensible. Elle entre en résonnance avec Orgone Reciever, le bois flotté de départ, exposé dans la galerie. Plenge Jakobsen a incrusté à sa surface une « boîte à orgone » plaquée or, en référence à la « thérapie par l’orgasme » développée par Wilhem Reich, élève du psychanalyste Sigmund Freud. Retenons simplement qu’il tenta d’inverser une thérapie par le dedans (catharsis) en une thérapie par le dehors. L’ambition de Reich était de rétablir un équilibre dans les forces vitales du malade en lui administrant des particules énergétiques circulant depuis le soleil jusqu’à la Terre. W. Reich prétendait les avoir observé au microscope et les appela « orgones ». Invalide scientifiquement, cette thérapie de réactivation des flux d’énergie par contact trahit le fantasme d’une théorie cosmologique, telle qu’elle fut aussi tentée par Henri Bergson avec son concept d’ « Elan Vital ». Autant d’approches du vivant que l’intuition dispute  l’intelligence afin de sonder « la vraie nature de la vie 2» où les choses sont liées par relations.

    Filmées en 16 mm pendant le solstice d’été, les séquences projetées au mur apparaissent dans leur faisceau de lumière. Le son entêtant des caméras favorise un climat hypnotique. Les plans sont resserrés au point que l’image semble faire irruption, nous retenir en un présent permanent. Mais ce présent est placé dans une temporalité élargie à celle de l’univers et de ses possibles mutations. La mémoire de temps ancestraux sature la matière des paysages calcaires où les actions se déroulent. Restitués dans leur texture par la pellicule celluloïd, ces anciens fonds marins présentent des reliefs sculptés par les variations de niveaux de la mer depuis la Préhistoire. En une dialectique comparable à celle du « site » et du « non-site » développée par Robert Smithson3, Henrik Plenge Jakobsen articule le proche et le lointain, la vastitude de la nature et sa re-création sous la forme de fragments.

    A Thing of the Mind est à percevoir comme un ensemble. Les photographies extraites des films, comme autant d’arrêts sur images, et les sculptures qui la composent segmentent un circuit mental dont Henrik Plenge Jakobsen signale les points de jonctions. L’île de Lilla Karlsö dont le relevé topographique orne l’affiche sérigraphiée des films, se présente comme la matrice du circuit autour de laquelle tout s’articule. Le titre des films, Littorina Littorea, est le nom latin du bigorneau, qu’une baisse de salinité de la Baltique a fait disparaître de ses fonds. Allusion à la migration des espèces, au mouvement évolutif de la vie, dilatation du passé au temps présent… Un dessin anatomique de ses organes internes par l’artiste présente des analogies formelles avec les trompes de Fallope. On revient à la matrice, à l’idée de fécondation qui irrigue l’ensemble des pièces exposées et cristallise avec le bâton ovarien exposé dans la galerie. Henrik Plenge Jakobsen convoque les logiques de condensation et de déplacement à l’œuvre dans les structures du mythe et du rêve. Il déborde la forme discursive pour nous plonger dans une méditation poétique sur les origines de la vie.

    Texte écrit pour la galerie Patricia Dorfmann.

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    1 Ainsi que le désigne l’artiste. Son « bâton ovarien » est intéressant à rapprocher du bâton d’Eurasia comme catalyseur d’énergies tel qu’il fut thématisé par Joseph Beuys.
    2 Henri Bergson, la pensée et le mouvant, 1938. Ed. PUF Quadrige, 1990.
    3 Robert Smithson: Collected Writings, "A Sedimentation of the Mind : Earth Projects” p. 107, ed. Jack Flam. 1996.
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    De l'urbain à l'humain

    Il y a 12 ans

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    De l'urbain à l'humain
    Ce lit de verdure n’inspire pas l’abandon mais l’attente. Surplombant un échangeur immense, cerclé de tours, il est une butée végétale contre laquelle l’axe historique de l’ouest parisien s’est rompu. Sur ce bout d’autoroute retourné à l’état sauvage, les pierres ne racontent plus rien. Elles laissent advenir l’inouï. Sensible aux interactions du naturel et du construit, Cyrille Weiner interprète cet espace dans sa force de destruction et de renouveau : les poussées de sève font craquer le bitume, le sable fluide détruit des murs de soutènement, les plantes s’agrippent aux parapets de l’autoroute. Tout communique, déborde et se déploie sur ces infrastructures qui façonnent un paysage à la mesure de l’homme. La friche, avec ses emmêlements de plantes, convertit le territoire en une zone libre, ouverte à de multiples usages. Comme rescapés de villes où triomphent le repli sur soi, la propriété privée et l’isolement, quelques hommes reconquièrent ici leur temps, leur énergie et leur imaginaire. Cyrille Weiner observe cette réappropriation concrète de la friche, ces corps et mains qui bêchent, plantent, défrichent et fabriquent le pré. Mais cette réalité première est filtrée, transcrite en une fiction de fin du monde et de paradis perdu. Dans la friche au dessein suspendu, les repères de temps se troublent, ces hommes ressemblent aux premiers et aux derniers.

    Texte pour le catalogue du prix Lucien Hervé 2012. Cyrille Weiner, "La fabrique du pré".
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    Baptiste Debombourg, Massacre Innocent

    Il y a 12 ans

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    Baptiste Debombourg, Massacre Innocent
    "Massacre Innocent" est le titre choisi par Baptiste Debombourg pour son exposition à la galerie Patricia Dorfmann. En supprimant l’article et l’adverbe de l’épisode biblique, l’artiste s’éloigne à dessein du temps d’Hérode et de Jésus. La trinité de ce carnage n’a pas d’époque : le soldat aveugle, l’enfant piétiné et la mère tordue de douleur composent une tragédie sans
    âge ; une formule pathétique que Picasso remet en scène dans Guernica et dont les photographes de guerre actualisent chaque jour le cliché. La plasticité des formes, leur capacité à s’insérer dans des scénarios différents intéressent en premier lieu Baptiste Debombourg. Des tanks envahissent le premier plan de son Massacre « aggravé » sur fond de ruine contemporaine.

    L’histoire de la gravure démontre qu’une image fonctionne par sa faculté d’expansion, d’adaptation et d’assimilation. Par sa recherche d’un langage efficace, Baptiste Debombourg vise à l’évidence une puissance de frappe. La lisibilité immédiate de ses figures, la plasticité spectaculaire de ses sculptures impacte celui qui les regarde. Théoricien de la « survivance des
    images », Aby Warburg constate que l’«image pathos » figure au rang des immortelles1. Notamment celle où, « l’effort agissant et la souffrance sont unis en un moment ultime2 ». Cette description du Laocoon par Goethe peut aussi s’appliquer au couple extrait d’un Enlèvement des Sabines de Jan Muller que Baptiste Debombourg a reproduit à grande échelle pour le Prix Meurice. De guerre (des sexes) il est encore question, comme d’une torsion des corps exprimant celle des âmes.

    Plusieurs travaux de Baptiste Debombourg abordent le thème de la compétition et du dépassement de soi3. En copiant les chefs d’oeuvres du passé, le graveur exposait son adresse et rivalisait avec les maîtres. Au XVIIIe siècle, le maître d’un atelier de dessin conseillait ainsi à ses élèves d’éviter dans la copie : « l’affectation, la négligence et la manière. » Il prévenait l’écueil d’une interprétation outrée et rappelait la nécessité d’une distance respectueuse à tenir avec le modèle.

    Les aggravures de Baptiste Debombourg bousculent cette hiérarchie des valeurs. Elles tiennent à la fois du jeu de massacre et de la fétichisation du modèle. Leur surface formant des remous accroche la lumière et scintille. Dans la mesure où l’exercice n’est pas seulement de copie, mais de réappropriation d’un modèle, l’idée de compétition apparaît, non exempte d’une agressivité masquée. C’est sans doute ainsi qu’il faut entendre l’ironie contenue dans le titre d’une série de dessins intitulée «Tradition Of Excellence». Leur structure architectonique, proche des forteresses militaires de Vauban, dresse les contours de mines anti-personnelles, menaces invisibles de mort.

    La mise à distance permise par le procédé mécanique de l’aggravure semble faire écho au masque Césium dont la forme fractale éclate le reflet de qui se place en face. D’après Nietzsche, « le « je » n’est qu’un mot, un pur résultat de surface d’un conflit hiérarchique en profondeur4 ». Il ne peut donc qu’emprunter des masques divers pour s’exprimer librement.
    Baptiste Debombourg puise dans l’histoire de la gravure comme dans un répertoire de formes, en une approche postmoderne de citation, de libre construction d’un langage polyphonique : le ressemblant orchestre une stratégie de glissements et de masques. Ainsi du portrait de Cornelis Van Haarle gravé par Jan Muller que l’artiste transforme en une possible représentation de Dieu. L’oeil grave autour duquel la composition se concentre semble juger le massacre dont il est le témoin.

    Prenant le relais de l’oeil, une aggravure de main esquisse un geste de dénonciation. Mais sa gestuelle évoque surtout celle de la main de Dieu représenté par Michel-Ange dans la Création d’Adam de la Chapelle Sixtine. « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa » lit-on dans la Genèse. Toute une théologie de l’image en découle, faisant de la ressemblance et de la conformité au modèle un symbole de subordination au bien.

    Chez Debombourg, le faire oscille entre restauration « sur mesure » et saccage lié à la démesure ; celle que les Grecs appelaient « hybris ». Le paradoxe d’un geste destructeur (de défiguration d’un objet ou d’une image) allié à celui de la réparation qualifie sa pratique de sculpteur. Visible
    dans la forme finale des oeuvres, cette contradiction les présente comme résultant d’une suite d’obstacles et de problèmes à résoudre. Il est donc toujours question de lutte et de victoire tentée. Ceci dit, la main patiente et mesurée de l’artisan est aussi présente dans ce rassemblement d’oeuvres. La référence à la pratique méticuleuse des graveurs y est constante et l’outil de réalisation des aggravures est un pistolet de tapissier. Le sac en plastique, réalisé avec David Marin, recouvert à la feuille d’or (significativement intitulé Marx) mobilise quant à lui une pratique artisanale on ne peut plus délicate et laborieuse. Et lorsque Baptiste Debombourg choisit d’indiquer le nombre d’heures de réalisation de ses pièces, c’est pour en valoriser le temps de travail. Tout est question de point de vue, la main qui massacre est aussi celle qui construit.

    Texte écrit pour la galerie Patricia Dorfmann dans le cadre de l'exposition "Massacre Innocent" (vernissage samedi 13 octobre)
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    Thème : Arts plastiques