Artiste conceptuel, Henrik Plenge Jakobsen travaille la matière même du langage. Réalisée entre 2009 et 2012, l’exposition, "a Thing of the Mind" présentée pour la première fois dans sa globalité à la Galerie Patricia Dorfmann, répond à sa fascination pour la mer Baltique visible du seuil de son atelier, à Copenhague. La découverte en 2009 d’un grand bois flotté, sur l’île danoise de Bornholm est à l’origine de cette construction de l’esprit qui semble mêler le rêve à l’expérience sensible.
Les courts-métrages muets que Plenge Jakobsen tourne sur l’île de Lilla Karlsö et deux autres îles de la Baltique, Bornholm et Fårö (l’île de Bergman), décrivent des échanges tactiles entre l’homme et la nature, en une suite d’actions que l’on devine archétypales et ritualisées : un homme tatoué descend vers la mer en tenant Ovary, un « bâton ovarien1» coiffé de paires d’œufs, une femme dispose des miroirs triangulaires à l’orée d’une cavité rocheuse, un homme entre à mi- ceinture dans les eaux sombres de la grotte et un autre déverse du sel à une embouchure de la mer… Rythmés par un mouvement pendulaire mêlant les corps aux paysages, les profondeurs de la mer au littoral et au ciel, ces films nous placent au cœur d’un réseau d’échanges indivisibles. Intensément réfractée par des effets de contrejour et de lens flare, la lumière naturelle accompagne ces interférences.
Symbole de ce qui féconde la vie et la rend visible, l’énergie solaire matérialise ces capillarisations du sensible. Elle entre en résonnance avec Orgone Reciever, le bois flotté de départ, exposé dans la galerie. Plenge Jakobsen a incrusté à sa surface une « boîte à orgone » plaquée or, en référence à la « thérapie par l’orgasme » développée par Wilhem Reich, élève du psychanalyste Sigmund Freud. Retenons simplement qu’il tenta d’inverser une thérapie par le dedans (catharsis) en une thérapie par le dehors. L’ambition de Reich était de rétablir un équilibre dans les forces vitales du malade en lui administrant des particules énergétiques circulant depuis le soleil jusqu’à la Terre. W. Reich prétendait les avoir observé au microscope et les appela « orgones ». Invalide scientifiquement, cette thérapie de réactivation des flux d’énergie par contact trahit le fantasme d’une théorie cosmologique, telle qu’elle fut aussi tentée par Henri Bergson avec son concept d’ « Elan Vital ». Autant d’approches du vivant que l’intuition dispute l’intelligence afin de sonder « la vraie nature de la vie 2» où les choses sont liées par relations.
Filmées en 16 mm pendant le solstice d’été, les séquences projetées au mur apparaissent dans leur faisceau de lumière. Le son entêtant des caméras favorise un climat hypnotique. Les plans sont resserrés au point que l’image semble faire irruption, nous retenir en un présent permanent. Mais ce présent est placé dans une temporalité élargie à celle de l’univers et de ses possibles mutations. La mémoire de temps ancestraux sature la matière des paysages calcaires où les actions se déroulent. Restitués dans leur texture par la pellicule celluloïd, ces anciens fonds marins présentent des reliefs sculptés par les variations de niveaux de la mer depuis la Préhistoire. En une dialectique comparable à celle du « site » et du « non-site » développée par Robert Smithson3, Henrik Plenge Jakobsen articule le proche et le lointain, la vastitude de la nature et sa re-création sous la forme de fragments.
A Thing of the Mind est à percevoir comme un ensemble. Les photographies extraites des films, comme autant d’arrêts sur images, et les sculptures qui la composent segmentent un circuit mental dont Henrik Plenge Jakobsen signale les points de jonctions. L’île de Lilla Karlsö dont le relevé topographique orne l’affiche sérigraphiée des films, se présente comme la matrice du circuit autour de laquelle tout s’articule. Le titre des films, Littorina Littorea, est le nom latin du bigorneau, qu’une baisse de salinité de la Baltique a fait disparaître de ses fonds. Allusion à la migration des espèces, au mouvement évolutif de la vie, dilatation du passé au temps présent… Un dessin anatomique de ses organes internes par l’artiste présente des analogies formelles avec les trompes de Fallope. On revient à la matrice, à l’idée de fécondation qui irrigue l’ensemble des pièces exposées et cristallise avec le bâton ovarien exposé dans la galerie. Henrik Plenge Jakobsen convoque les logiques de condensation et de déplacement à l’œuvre dans les structures du mythe et du rêve. Il déborde la forme discursive pour nous plonger dans une méditation poétique sur les origines de la vie.
Texte écrit pour la galerie Patricia Dorfmann.
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1 Ainsi que le désigne l’artiste. Son « bâton ovarien » est intéressant à rapprocher du bâton d’Eurasia comme catalyseur d’énergies tel qu’il fut thématisé par Joseph Beuys.
2 Henri Bergson, la pensée et le mouvant, 1938. Ed. PUF Quadrige, 1990.
3 Robert Smithson: Collected Writings, "A Sedimentation of the Mind : Earth Projects” p. 107, ed. Jack Flam. 1996.
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