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  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Valerio Adami

    Il y a 13 ans

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    Valerio Adami
    Le peintre italien Valerio Adami expose actuellement des travaux réalisés entre 2001 et 2004. Une profonde unité se dégage de chacune des compositions, de la saturation des surfaces où ne subsiste aucun blanc, aucune trace de doute ou d’inachèvement.

    Personnages, paysages et objets s’articulent en des compositions complexes qui n’obéissent à aucune règle préétablie. Depuis des années maintenant, Adami a travaillé à mettre en place un langage plastique singulier, à la syntaxe rigoureuse, où les notions d’espace et de profondeur, de relation entre sujet et objet sont entièrement bouleversées, repensées de manière à pousser l’expression à son maximum d’intensité.

    La ligne, le trait du dessin, commande tout ce jeu. Pas un tableau n’est réalisé sans que sa construction n’ait été au préalable définie au détail près. La ligne cherche son parcours dans le dessin préparatoire pour circuler ensuite sans hésitation dans l’espace du tableau qu’elle divise, sépare en plans, articule en figures et objets. Epaisse et noire, elle enchaîne les humains et les choses, les soude entre eux pour en stabiliser définitivement les rapports.

    Il ne s’agit jamais, pour Adami, de restituer le monde de manière réaliste, qui limiterait l’expression créative à la perception naturelle, confuse, toujours changeante du monde. Les impressions sont transposées par un assemblage mental qui ne cède jamais rien à l’ordre naturel des choses. Le tableau est le résultat final de manœuvres graphiques recourant à l’ellipse, au collage, au travail de la mémoire. Les artifices narratifs propres au cinéma, comme celui de la coupe et du montage sont toujours à l’œuvre dans ces constructions plastiques.

    Les tableaux déclinent des mises en scènes de couples, issus de la mythologie ou du quotidien. Lorsqu’ils s’enlacent, comme c’est le cas pour Figuracontrafigura ou Uomo e Donna in Palestra, l’étreinte des corps ressemble à une fusion impossible, où chaque personnage est finalement renvoyé à sa solitude. Le maniement de contrastes colorés opposant des pourpres à des tonalités glaciales, une ligne noire qui traverse et scinde les corps sont les équivalents plastiques par lesquels Adami figure le drame.

    Ces variations autour d’un même thème, le couple, s’intensifient et prennent une épaisseur expressive par ces recours à l’artifice. Celui des couleurs, d’abord, dont la saturation et l’intensité parfois quasi phosphorescente ne sont prélevées d’aucune réalité extérieure et qui apportent, par leur forte présence, une humeur, une tonalité psychologique au dessin. Les accessoires ont également leur importance dans la construction de ces allégories : radiateur, téléphone, bicyclette, ventilateur et sac à main occupent l’espace avec autant d’aplomb que les personnages.
    On remarque ces mises en place efficaces de l’accessoiriste dans une composition comme Figuracontrafigura, où le cintre sombre qui pend contre un mur de la chambre et les persiennes cassées chargent la composition d’une atmosphère oppressante, sans que l’on sache vraiment d’où ces objets banals tirent une telle puissance.

    La représentation de rideaux, arcades, fenêtres et autres éléments d’architecture souligne aussi le caractère fabriqué de l’image. Aucune parcelle de l’œuvre n’est abandonnée aux désordres du sentiment et du pathos. Ces constructions sévères et calibrées proposent comme une retranscription objectivée des sentiments, semblables en cela au chant lyrique où douleur et mélancolie s’expriment, mais de façon étudiée et précise.
    « Peindre moins et penser plus — la mémoire rumine — on perd son ego, on devient instrument, violon ou piano », écrivait le peintre.

    Valerio Adami
    Préludes et après-ludes
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Tony Cragg

    Il y a 13 ans

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    Tony Cragg
    Les nouvelles sculptures de l’artiste anglais Tony Cragg interpellent d’emblée par leur forme étrange, évoquant à la fois une origine organique et minérale. On y retrouve cette attention que l’artiste a toujours portée à la forme et aux propriétés physiques de la matière. Cragg a en effet gardé de sa formation scientifique une démarche pragmatique et critique d’analyse des formes. Par un travail basé sur leurs transformations et leurs hybridations, il explore leur identité et leurs possibles.

    L’illusionnisme d’une sculpture comme Bad Guys conduirait presque à la décrire comme un profil pivotant autour de son axe central à une vitesse telle que son volume se déforme, à ceci près qu’elle ne tourne guère de manière effective. Il serait plus juste de dire que le mouvement s’est imprimé dans la matière, selon un phénomène semblable à celui du fossile portant la trace physique d’une ancienne vie.

    Le caractère mnémonique de la matière constitue un thème privilégié de l’artiste qui, passionné de géologie, a réalisé plusieurs sculptures construites par strates successives de manière à exhiber le volume dans sa profondeur, les différentes parties constitutives de l’ensemble. La patine et l’érosion fabriquées à plusieurs reprises de manière artificielle par l’artiste sur des sculptures réalisées avec des matériaux nouveaux procèdent également de cet attrait pour les matières que la marque du temps a rendues plus denses et plus vivantes.

    Level Head évoque une stratification rocheuse superposant deux profils embryonnaires tournés dans des directions opposées. Mais ce qui les oppose réside également dans le traitement de chacun. Le profil placé en tête de la sculpture, modelé avec des formes arrondies, l’apparente à une roche tandis que l’autre qui le supporte se découpe de manière incisive dans l’espace, se distinguant du premier par son caractère aérodynamique. La préhistoire et les nouvelles technologies semblent coexister dans cette même pièce.

    Les sculptures ont d’ailleurs pour point commun avec l’image de synthèse de faire varier un motif unique selon des perspectives, des échelles et des angles différents, rejoignant en cela leur complexité et leur possibilité. Cragg joue également avec la tridimensionnalité. La sculpture intitulée Discussion qui évoque frontalement un crâne de bison se démultipliant de manière croissance offre une toute autre figure lorsqu’on la regarde de côté. Ce volume de bois abrite aussi deux profils se faisant face, puis se rejoignant progressivement à mesure qu’ils se dilatent. Ceux-ci apparaissent déjà, microscopiques, dans les rainures du bois, offrant le spectacle vertigineux d’une figure dupliquée à l’infini.

    Tony Cragg fait ici figure d’alchimiste, qui liquéfie le bronze et le marbre, bouleverse l’inertie de la sculpture et condense en celle-ci une pluralité de significations et de correspondances. Les catégories du naturel et de l’artificiel autrefois distinctes dans son travail se confondent ici, évoquant aussi les possibilités angoissantes de la manipulation génétique.

    Tony Cragg
    Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Robert Mapplethorpe

    Il y a 13 ans

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    Robert Mapplethorpe
    Directeur artistique de Dior Homme, Hedi Slimane est invité à présenter des photographies de Robert Mapplethorpe qu’il sélectionne par affinités. Un portrait original de l’artiste à partir de thèmes qui lui sont chers.

    On connaît l’obsession de Mapplethorpe pour le corps. Corps morcelé, objet de la pulsion scopique, ou pureté de corps tendus, dont la musculature athlétique est photographiée sur un fond neutre.
    Cette fascination explique que l’artiste ait choisi ses modèles parmi les acteurs de la scène punk rock, genre musical ayant accordé une place décisive aux performances corporelles. Par son déhanché érotique, Elvis, le premier, précipitait le corps sur le devant de la scène, scandale qu’une Amérique puritaine s’empressa d’ailleurs de résoudre en filmant la star en plan américain.

    Bien que non exclusivement composés de rock stars, les portraits ici exposés procèdent d’un même attrait de l’artiste pour l’allure de ses modèles. Postures arrogantes ou sensuelles, accessoires éloquents et sens de la mise en scène caractérisent ces prises de vues. Les photographies de mode ont largement repris cette imagerie rock’n’roll, porteuse de nouvelles attitudes, à commencer par celles du styliste Hedi Slimane, dont les éphèbes au visage blafard semblent souvent sortis de frasques nocturnes.

    Des photographies comme celles de Tim Scott coiffant délicatement sa crête punk avec un peigne ou de Clarissa portant une veste de costume évoquent l’attrait de Mapplethorpe pour les allures androgynes. L’un de ses plus célèbres clichés reste le portrait de Patti Smith, réalisé en 1975, pour sa pochette d’album Horses. La chanteuse y posait en dandy débraillé, cravate noire défaite et veste négligemment posée sur l’épaule. Considéré à l’époque comme un suicide commercial, ce choix radical fera finalement l’objet d’une véritable fascination. « Confusion is sex », titrait le groupe Sonic Youth sur l’un de ses disques, en 1983. Une idée que l’univers de la mode exploitera aussi largement.

    Dans un ensemble de photographies réalisées dans les années 80, Mapplethorpe rompt cette relation au modèle pour construire des prises de vues plus intimes, fonctionnant comme des allégories. L’austère photographie d’un crâne donne le ton de cette série lugubre, où l’on sent sourdre de façon insistante l’angoisse de la mort.
    On y retrouve le modèle Lisa Lyon, ex-championne de body building féminin, dont Mapplethorpe a, maintes fois, photographié le corps athlétique et vigoureux. Il fait ici le deuil de ce symbole de puissance en le réduisant à l’état d'ombre spectrale.

    On ne peut s’empêcher de voir en ces photographies l’envers désenchanté de la levée des tabous qui caractérisa l’ère post 68. Elles évoquent la mélancolie d’une sexualité vécue de manière intense et affirmative sur laquelle ne pesait pas encore la menace du sida.

    Robert Mapplethorpe
    Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


    Pour paris-art.com, 2005
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Robert Longo, Ourobouros

    Il y a 13 ans

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    Robert Longo, Ourobouros
    Déferlement d’une vague, éruption d’un champignon atomique, pétales de rose nous aspirant dans un mouvement centrifuge, le caractère dynamique de la forme en expansion est le sujet des derniers travaux de Robert Longo.

    On retrouve, bien sûr, cette facture extrêmement soignée, du dessinateur qui n’a plus rien à prouver côté prouesses techniques. Partout s’expose dans les fusains sur papier, aux formats gigantesques pour certains, son goût des espaces infinis et de la matière en dilatation.

    La ligne vigoureuse comme les clairs obscurs fortement contrastés traitent les formes de façon sculpturale, soulignant leurs volumes et leur masse. Le champignon s’élève sur un fond sombre en une colonne verticale et tourbillonnante, la vague s’élance et se courbe, dont l’extrémité en pointe exagère la dynamique d’ensemble.

    On ne s’étonne point dès lors que Robert Longo soit passé au traitement en trois dimensions de ses sujets. Un groupe de trois petites sculptures en bronze argenté reprennent le motif du champignon atomique. Variation sur le même thème : l’une des versions insiste sur son analogie avec un champignon végétal, l’autre le rapproche du symbole mythologique de l’arbre cosmique et le troisième en propose un traitement plus abstrait, représentant sous la forme de trois plateaux la circonvolution de la matière autour d’un axe central.

    Seuls dessins introduisant de la couleur, la série des roses intitulée « Ophélia » et soulignant de ce fait la consonance romantique de l’ensemble. Comment ne pas y songer devant ces dessins traitant exclusivement de phénomènes naturels, de catastrophes et de l’immensité de l’univers ?
    Peut-être est-ce dans ces dessins de roses qu’apparaît avec le plus d’évidence l’influence conjuguée de la photographie et du cinéma, présente dans l’ensemble de l’œuvre de Longo. Vue en plongée, la fleur est traitée comme une spirale de pétales concentriques émergeant d’un noir profond et dont le centre est à hauteur d’œil.

    La faiblesse de Longo tient sans doute en partie de cette exploitation, récurrente dans son travail, des effets spectaculaires obtenus par le cadrage et le zoom. Comme si du cinéma, il n’avait retenu dans sa propre pratique que les possibilités sensationnalistes. On est finalement ici dans un régime de la pure image, proche en cela de la publicité. Vendre la vague, vendre la rose… Tout autre enjeu semble avoir déserté ces séduisants dessins.

    Robert Longo
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2006
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    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Richard Jackson

    Il y a 13 ans

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    Richard Jackson
    Une énergie motrice est toujours à l’œuvre dans le travail de Richard Jackson, qu’il s’agisse de ses drippings mécaniques ou de ses fresques murales. Inventeur de machines à peindre spectaculaires, il introduit dans la pratique de la peinture une dimension ludique qui la dépasse et l’excède.

    Les immenses machineries une fois mises en branle font œuvre elles-mêmes, l’artiste se contentant d’en actionner le mécanisme. En grimpant sur une vespa qu’il démarre, il réalise un Dripping explosif. La toile qui le supporte, posée sur un disque relié au moteur se met à tournoyer sur elle-même, à la vitesse de 80 km/heure. Emportés par ce mouvement centrifuge, les paquets de peinture liquide que l’artiste a directement versés sur la toile s’étalent en coulures et se disséminent en une pluie colorée psychédélique.
    Lorsque Jackson relève la tête, la toile, les murs, le sol de la galerie en sont recouverts. On imagine sa jubilation quasi enfantine : ça crache, ça fait du bruit et aussi de la peinture !

    À soixante ans, l’artiste semble avoir de l’énergie pour dix. A peine redescendu de son scooter, le voilà actionnant devant son public un gros fauteuil fleuri qu’il a hissé sur un ressort. En soi, c’est déjà une sculpture grotesque : le fauteuil aux formes boursouflées, une fois en l’air, paraît lourd et ridicule, façon peut-être de tourner en dérision ce Lay-Z (nom du fauteuil lisible sur l’étiquette) et l’inertie dans laquelle il plonge son utilisateur. Après l’avoir recouvert de coussins fourrés de peinture rose bonbon, il l’agite furieusement en actionnant le ressort. Les coussins craquent sous la secousse et déversent leur liquide. Quand ceux-ci tombent, Jackson les saisit à pleines mains pour les remettre à leur place, se barbouillant au passage de ce cambouis flashy. Ca coule, ça colle, ça dégouline. Phase finale de mise à mort de la bête : Jackson propulse le fauteuil jusqu’au plafond et l’écrase sur toute sa longueur. Une fois pris en étau, il le fait tourner, dessinant au plafond un cercle rose presque parfait. Tout ça pour ça !

    Dans ces travaux, les moyens se confondent avec la finalité de l’œuvre, faisant partie intégrante du résultat. Les Wall Paintings en sont un autre exemple. Jackson fixe au mur des toiles trempées de peinture uniquement par un clou, puis les fait pivoter en les pressant énergiquement contre le mur, réalisant ainsi des traînées de peinture épaisses et circulaires.
    Répétant cette opération en plusieurs endroits du mur, il fait se rejoindre les cercles qui s’organisent en une harmonie colorée complexe. Lorsque la fresque est terminée, Jackson laisse pendre les toiles à leur clou, les intégrant au résultat final du travail.

    Richard Jackson se situe dans une tradition américaine de renouvellement de la peinture, tant par son emploi de formats gigantesques que d’un procédé pictural très physique, à la fois maîtrisé et ouvert au hasard. Mais on pense également aux Nouveaux Réalistes ; qu’il s’agisse des machineries de Jean Tinguely ou des tableaux tirs de Niki de Saint-Phalle, ces artistes ouvrirent également leur pratique de l’art au vocabulaire explosif de la secousse et de la collision.

    Richard Jackson
    Unusual Behaviour
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Pierrette Bloch

    Il y a 13 ans

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    Pierrette Bloch
    Depuis les années 1960, Pierrette Bloch aligne imperturbablement des petites touches d’encre noire sur des feuilles blanches qu’elle a posées au sol, à l’aide d’une plume ou d’un pinceau. Bien qu’elle ait aussi réalisé dans les années 1980 des travaux à partir de fils de crin noués ou agrégés en trames complexes, elle n’interrompt jamais cette pratique du dessin qui demeure privilégiée.

    Leur procédé très simple d’exécution dévoile la pression de la main, plus ou moins insistante, la qualité du geste, appliqué ou emporté. L’artiste déroule une écriture faite de pois, points, tirets et taches, à la fois nerveuse et concentrée, emportée par un mouvement qui se déploie du haut vers le bas, ou d’un côté à l’autre de la feuille.

    Pas de commencement ni de fin dans ces encres que Bloch réalise l’une après l’autre jusqu’à ce que sa main se lasse. La seule limite est en fait physique, semblable à celle ressentie par le promeneur que ses pieds ne peuvent plus porter. Ce n’est donc pas tant de limite qu’il faudrait parler que de « finitude ».
    « J’entreprends un long voyage sur une feuille, je m’enveloppe dans ce parcours ; ce n’est plus une surface, mais une aventure dans le temps. Le format n’existe plus ». Les métaphores de la promenade et de l’errance, reviennent souvent dans les textes concis que l’artiste écrit en contrepoint de son travail graphique.

    Marcher, tricoter, « faire des points », autant de pratiques qu’on peut réaliser de façon quasi somnambulique en raison de leur caractère répétitif et dont Bloch évoque le caractère apaisant. On sent sourdre en effet une inquiétude dans cette boulimie de dessin, l'écriture patte de mouche avec laquelle l'artiste recouvre compulsivement de longues bandes de papier, plus d’un mètre parfois, conjurant le temps qui passe.

    « Apprendre à ne pas développer, c’est apprendre à démasquer la contrainte culturelle et sociale qui s’exprime d’une manière autoritaire par les règles du développement » écrivait Blanchot dans L’Entretien infini. Pas de progression qualitative visible dans ce travail, pas d’arguments ni de justification : Chaque œuvre nous situe au cœur du propos de Pierrette Bloch qui tient tout entier dans ce travail de variation. Quotidiennement, du bout de son pinceau, elle expérimente une infinité de possibles, en se tenant sensible aux infimes modulations des signes que sa main dépose. A ceux qui verraient dans cette pratique un terrain d’intervention limité, Pierrette Bloch démontre depuis des années qu’il suffit pourtant d’une feuille blanche et d’un pinceau pour se donner le vertige…

    Pierrette Bloch
    Galerie Frank Elbaz, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

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    Paul-Armand Gette

    Il y a 13 ans

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    Paul-Armand Gette
    Pendant vingt ans, Paul Armand Gette nous a convié à partager le plaisir hédoniste qui le lie aux êtres et aux choses, à la source même de son travail.

    L'artiste commence par photographier de très jeunes modèles, guettant un moment propice pour voler leur image. Il y a le cadre, le prétexte de départ : une promenade sur la plage avec deux petites filles, une partie de tennis avec une nièce, et l’occasion de la photographie, où elles se penchent pour ramasser un coquillage, une balle. Rapt, moment où le regard de Gette s’est délecté, non sans perversité, du passage d’un geste vers un autre, de l’état transitoire qui a fait remonter les jupes ou plaquer le short contre les fesses.

    Viennent ensuite d’autres séries photographiques, en couleur et de plus grand format, que Gette compose. Du rapt enregistré, on passe à la mise en scène très orchestrée de petites histoires dans lesquelles le plaisir du toucher se joint à la délectation visuelle, avec la complicité, cette fois-ci, de modèles plus âgés. La main de Paul-Armand Gette passe de l’autre côté de l’objectif, franchissant l’espace qui le sépare de son modèle pour saisir son pied délicatement bronzé. Sur la photo suivante, c’est la main du modèle qu’il prend, une paume ouverte au creux de laquelle est posée un coquillage renversé.
    Ces raccourcis subtils d’une rencontre entre deux corps mettent en branle un jeu d’équivalences et d’analogies : la paume de la main, plissée et chaude, réceptacle de ce coquillage au creux rose visible, le doigt de Gette, assez d’indices, semble-t-il, pour aiguiller nos interprétations.

    Des vulves, l’artiste en voit partout. L’obsession apparaît dans les fleurs, les fruits et les troncs d’arbres entaillés qu’il photographie. Armand Gette poursuit une vision paganiste où la Nature est femme et dont les petites déesses chthoniennes, à la fente bien visible sur le bas-ventre, célébraient déjà la générosité.
    La mythologie est ailleurs convoquée dans une série d’images figurant des nymphéas. Les fleurs sont déposées dans une baignoire aux pieds dorés, où repose une serviette brodée aux initiales de l’artiste. En référence aux ablutions que les nymphes de l’Antiquité pratiquaient loin des regards, Gette donne corps au fantasme, ou conjure l’impossible rencontre. Il évoque le passage des créatures divines par le dépôt de ces objets symboliques.

    Diane et Actéon, puni pour avoir surpris la nymphe au bain, sont d’ailleurs au centre d’une dernière série de photographies. Version 2000 de la déesse lunaire : une femme vêtue d’une robe à l’imprimé militaire de camouflage, à la lisière du visible et du caché. Une façon de rappeler à quel point Diane était désirable par le seul fait de demeurer insaisissable, figure clé du fantasme sexuel que célébrait déjà Klossowski.
    Nul sentiment de transgression n’apparaît cependant dans l’univers de Gette, rien n’est pathétique ni sentimental ; simplement hédoniste, subtilement libertin.

    Paul-Armand Gette
    Les Nymphalides
    Galerie du jour Agnès b, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Thème : Arts plastiques
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    Marguerite Pilven

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    Mills, Paik, Sugimoto...My Own Cinema

    Il y a 13 ans

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    Mills, Paik, Sugimoto...My Own Cinema
    Avec My Own Cinema, la galerie Vallois interroge les liens entre arts plastiques et cinéma en présentant une sélection de travaux qui empruntent au septième art ses codes sémiologiques, son dispositif de projection ou son potentiel fantasmatique.

    Après s’être intéressé en 2001 à l’illustration sonore de Metropolis, le célèbre DJ Jeff Mills s’approprie désormais Three Ages de Buster Keaton, faisant travailler de concert des pratiques communes au cinéma et à la musique électronique : le collage, la boucle et la juxtaposition. L’image et le son subissent un traitement similaire de montage pour donner lieu à une composition ludique. Mills s’amuse à isoler une scène particulièrement grotesque, aux gestuelles éloquentes qui, une fois montées en boucle, se calent sur les pulsations de sa musique. Les sons redoublent les mouvements qui se répètent mécaniquement, et cette ponctuation électronique en fait rejaillir tout le comique.
    L’exploration des liens possibles entre image et son donne lieu à de multiples combinatoires qui conduisent Mills à réaliser des séquences quasi abstraites jouant sur des effets plastiques : l’image se démultiplie sur la surface de l’écran pour former un damier psychédéliques dont les palpitations lumineuses rappellent celles des boules à facette.
    Nam June Paik fait figure de pionnier dans la mise en place de cette écriture fondée sur le montage et le collage. Il décrivait ses vidéos comme « toutes construites en forme de sonates avec thèmes, contre-thèmes, développements, séquences plus ou moins rapides ». Rhapsody in RGB porte en son titre cette idée de composition musicale. La sculpture est composée de neuf téléviseurs encastrés dans un meuble, dont les pulsations cathodiques suivent chacune un rythme différent et construisent une grille hypnotique.

    Cette fascination de l’écran irradiant sa lumière de l’intérieur est également à l’œuvre dans les travaux du photographe Sugimoto. À la fin des années soixante-dix, il photographie des écrans de drive-in , livrant le portrait nostalgique d’un grand mythe américain. L’ouverture prolongée de l’obturateur, pendant tout le temps de la projection, annule les images du film pour n’en garder que l’empreinte luminescente. Cette mise en abstraction de l’écran de cinéma le réduit à l’état de trace, avec ce que cela comporte de rapport à la disparition et à la mémoire, mais en fait également le réceptacle possible de toutes les projections et fantasmes.

    L’industrie du cinéma, impossible à dissocier de son immense pouvoir de séduction, est aussi celle qui construit ces machines à fantasmes que sont les stéréotypes. Avec sa série photographique Untitled Film Stills, Cindy Sherman rejoue de façon troublante cette identification passionnée à un personnage de cinéma.
    Les stills sont ces quelques photographies tirées d’un film, destinées à servir d’appât visuel, comme une publicité. Celles de Sherman obéissent à la formule à suivre, synthétisant chaque fois, par la création d’un personnage féminin excitant les imaginations, d’une mise en scène éloquente, de postures et d’ambiances lumineuses très précises, un drame ou une romance de série B.

    Le travail de Matthias Müller met également en abîme ces représentations stéréotypées. Il monte bout à bout des séquences issues de films hollywoodien qui mettent en scène des femmes dans leur chambre à coucher se levant effrayées à l’entente d’un bruit. Les séquences s’enrichissent de ces jeux de similitude et de différences pour faire voir les ficelles de cette chorégraphie de l’effroi : jeu avec le hors cadre, bande musicale à sensation... D’autres artistes comme Saverio Lucarellio ou Joachim Mogarra sont également de la partie, qui « font leur cinéma » avec tout ce que cette expression suggère de fantaisie.

    Mills, Paik, Sugimoto...
    My Own Cinema
    Galerie Vallois, Paris


    Pour paris-art.com, 2005     
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    Thème : Arts plastiques
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    Michelangelo Pistoletto

    Il y a 13 ans

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    Michelangelo Pistoletto
    Quatre sculptures de Michelangelo Pistoletto disposées circulairement représentent chacune une saison. Leur composition disparate surprend : le corps en marbre d’une déesse antique sert de socle à une autre sculpture en polyuréthane, matière industrielle qui contraste fortement avec la noblesse du marbre. Le déploiement gracieux des corps féminins autour d’un axe vertical est brusquement interrompu, écrasé dans son mouvement par ces blocs compacts au traitement brutal où l’on distingue des figures humaines mal dégrossies.

    Par ce déséquilibre entre le haut et le bas des sculptures, l’artiste semble vouloir faire coïncider deux conceptions du temps. Celui qui court, rythmé par les saisons qui passent, et l’idée de temps comme éternel retour du même, représentée par les immuables canons de beauté grecs, cariatides supportant la métamorphose des saisons.
    La facture lisse du marbre unifie et suspend les corps dans leur mouvement, tandis que la surface accidentée des blocs maintient les figures à un stade d’inachèvement, dans la tension d’un devenir.

    L’automne et le printemps sont représentés comme des saisons transitoires. Le bloc qui les personnifie représente deux bustes l’un derrière l’autre, peinturlurés en blanc et bleu, comme si l’un s’apprêtait déjà à prendre le relais de l’autre, tandis que la figure unique d’été et d’hiver s’impose, massive et peinte en rouge, sous la forme d’un gros personnage dont les jambes pendent jusqu’aux genoux de la cariatide en été, et sont repliées en hiver.

    Un double mouvement anime les sculptures. Celui des corps se déroulant autour de leur axe central, redoublé par celui du groupe sculpté, disposé de manière à former une ronde, évoquant le mouvement de la terre autour du soleil d’où dérive la division de l’année en quatre saisons. Une entorse curieuse faite à l’anatomie des créatures de marbre renvoie également au phénomène astronomique : leur fesse systématiquement tronquée évoque les solstices marquant les passages d’une saison à une autre, l’avènement ou le déclin d’un cycle.

    À travers ce thème des quatre saisons, Pistoletto développe une réflexion sur l’évolution des formes dans le temps, leur altération inévitable. A chaque saison ses métamorphoses, ses naissances et ses morts. Combinant au sein d’une même oeuvre une figure renvoyant à l’Antiquité grecque et une autre rappelant les sculptures sur bois des expressionnistes allemands, on embrasse également, comme en raccourci, l’histoire des formes dans l’art, ses révolutions.

    Michelangelo Pistoletto
    Galerie de France, Paris


    Pour paris-art.com, 2004
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    Larry Bell, Cubes

    Il y a 13 ans

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    Larry Bell, Cubes
    Cinq cubes de verre posés sur des socles en plexiglas sont disposés dans l’espace de la galerie. Leur apparente sobriété est immédiatement court-circuitée par la coloration irisée de leur surface. Contrebalançant la sévérité de la forme, elle introduit une labilité de l’expérience sensible qui contraste avec l’exigence de clarté formelle poursuivie par le minimalisme.

    Ce rendu chatoyant de la surface fut à l’époque perçu comme typiquement californien, dans l’esprit du Finish Fetish. Étaient regroupés sous cette appellation les artistes employant des matériaux industriels comme la fibre de verre pour donner à leurs travaux les qualités lisses et réfléchissantes des carrosseries de voiture ou de planches de surf. Mais contrairement à ces artistes, le procédé de coloration employé par Bell n’était guère facilement accessible et limite de ce fait l’influence de la pop culture californienne sur ses travaux.

    Quelle est la nature de cette coloration moirée et vaporeuse ? C’est en faisant chauffer de l’aluminium dans une cuve où il place également les sculptures que l’artiste produit le revêtement métallique qui les colore. Par ce procédé, les faces du cube, toujours transparentes, sont également réfléchissantes et filtrent la lumière, provoquant des reflets à l’intérieur du volume. Ce qui paraissait si stable au premier regard prend une apparence confuse. Lorsqu’on regarde l’intérieur du cube, les faces semblent s’être détachées pour y flotter sans attache.

    Cette dimension illusionniste à laquelle on peut rester suspendu comme en hypnose, tant il est difficile de bien saisir ce qu’il se passe au juste sous nos yeux est le fruit d’un jeu savant d’interaction entre l’espace et la lumière. Cet aspect rapproche Larry Bell d’artistes comme Robert Irwin ou James Turrell. Il partage avec eux un même intérêt pour la phénoménologie de la perception: les déplacements du spectateur définissent l’aspect des sculptures de Bell et sont de ce fait un vecteur essentiel de l’oeuvre.

    Décrivant son travail, Larry Bell disait : « mes travaux traitent de rien et illustrent au sens le plus littéral le vide et l’absence de contenu ». Le spectateur est, certes, confronté à un espace vacant, mais infiniment variable. Cette vacuité des sculptures est également ce qui permet d’opèrer des liaisons entre les qualités matérielles de l’œuvre, le spectateur qui la regarde et l’espace d’exposition qui la contient. Ces cubes fonctionnent comme des révélateurs d’une expérience perceptive dont ils sont le réceptacle.

    Larry Bell
    Cubes
    Galerie Daniel Templon, Paris


    Pour paris-art.com, 2006
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    Thème : Arts plastiques