Train d’images

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« Train d’images. La vitesse comme nouveau paradigme dans la création visuelle », in Revue d’Histoire des Chemins de Fer, n° 42-43, pp 219-230, consultable en ligne : http://rhcf.revues.org/1558

Les évolutions techniques relatives aux modes de transport ont donné naissance à de nouvelles appréhensions possibles de la perception, conditionnées par le mouvement de la machine. Au sein d’un train, la vision est dépendante de la vitesse de déplacement et modifie le mode de perception des images grâce à la vision offerte à travers les vitres latérales. Lorsqu’il y a fabrication d’images en déplacement par le biais d’un appareil photographique ou vidéographique, la vitesse de déplacement influe sur le processus visuel. Comment la vitesse modifie-t-elle la vision et invite-t-elle à déterminer d’autres appréhensions et usages de l’image ? Bernard Plossu photographie souvent au sein d’un mode de transport, captant à la fois les paysages défilant à l’extérieur et des éléments révélant sa présence au sein du véhicule. Ce photographe s’attache souvent à faire du voyage une parenthèse photographique invitant à attirer l’attention du lecteur sur le trajet et la vision proposée, conditionnée à la fois par le mode de déplacement et par la subjectivité du photographe. Il sera question de déterminer les nouveaux paradigmes émergeant au sein d’un tel processus artistique pour lequel la vision de l’auteur ainsi que la relation du corps à la mobilité semblent modifié. Bernard Plossu a effectué de nombreux travaux interrogeant cette relation un temps soit peu paradoxale entre image fixe et expérience viatique.

Au XIXe siècle, la vitesse devient le principe fondateur déterminant l’évolution des techniques de déplacement et de communication. Si cette époque a été marquée par l’évolution rapide des modes de transport, ce siècle a également été celui de l’invention de la photographie (1826), puis du cinématographe (1895). Les révolutions alors en cours dans l’art sont, semble-t-il, à appréhender comme annonciatrices de nouveaux paradigmes artistiques. Dès lors, la course à la vitesse et aux innovations ne cessent de s’accentuer, conduisant Paul Virilio à créer le terme de « dromologie ». Pour ce dernier, cette discipline serait celle de la logique de la vitesse. Il la définit ainsi : «  à côté de la sociologie des transports, à côté de la philosophie du temps, à côté de l’économie, il y avait place pour une autre logique, une autre discipline que j’ai tenu à appeler dromologie (…) Par conséquent la dromologie est la science, ou mieux, la discipline, la logique de la vitesse ». La photographie comme le cinéma sont symptomatiques d’une époque fondée sur la vitesse, la production en série et la naissance d’une culture de masse axée sur l’image comme medium de prédilection. Néanmoins, la photographie se caractérise d’ordinaire par l’instantanéité, c’est-à-dire qu’elle permet, à partir d’une vitesse déterminée mécaniquement, d’enregistrer un instant. Le cinéma, quant à lui, s’inscrit dans la durée et rend possible la représentation de l’étirement temporel. D’autre part, le cinéma serait fondé, selon Paul Virilio, sur le principe de la disparition de l’image rendant possible l’apparition de la suivante : « avec l’accélérateur cinématique, lui-même conçu comme une prothèse active, la mesure du monde devient celle du vecteur du mouvement, de ces moyens de locomotion qui désynchronisent le temps ». Non seulement ces nouvelles techniques sont le fruit de l’ère de la mécanisation des procédés, mais elles sont aussi fondées sur le mouvement comme mode opératoire de la réception de l’image. Davantage que la photographie en tant que telle, la chronophotographie et surtout le cinéma font du spectateur ce « voyeur-voyageur » se déplaçant dans l’image sans pour autant mettre son corps en mouvement. Cette inertie est alors le fait de la vision ou du moins est-elle provoquée par cette impression propre au cinéma d’enchaînement d’images. Cette sensation visuelle se retrouve également au sein d’un mode de transport tel que le train. En effet, le passager est placé au centre d’un dispositif constitué de vitres laissant voir le défilement des paysages, similaire à un enchaînement d’images.
Bernard Plossu, photographe mobile, a réalisé plusieurs travaux au sein du train afin d’interroger la faculté de l’image à rendre compte de cette sensation de mouvement. Sur la voie est un film réalisé par Hedi Tahar en 1997 invitant à découvrir la méthodologie de travail de Bernard Plossu. Effectuant en train le trajet mythique La Ciotat – Lyon – La Ciotat en hommage aux frères Lumière un siècle après eux, le photographe, filmant et photographiant, est lui-même filmé afin de rendre compte de son processus créatif. Les images que Plossu réalise avec la caméra Super 8 seront présentées sous la forme d’une série photographique et d’un livre intitulé Train de Lumière. Ces images présentes dans l’ouvrage laissent voir les paysages visibles depuis le train : vision fugace d’un jeu de reflet dans la vitre, paysages filant devant l’objectif ou encore passagers à quai. Ces images en noir et blanc sont granuleuses et ne permettent pas toujours de distinguer ce qui a été photographié. Confrontant le temps photographique à celui du défilement du paysage, l’image se fait abstraction pour n’enregistrer que la lumière qui l’a fait naître. Attiré par une image en mouvement, Plossu imprègne ses photographies de la mobilité comme mode de vision et de représentation du monde. Qui plus est, il aime confronter la vitesse de la technique photographique à celle du corps en mouvement, que ce dernier soit corps chair ou corps objet, c’est-à-dire, qu’il s’agisse du mouvement de l’individu en marche ou bien de celui de la machine. Pour ce travail, il s’est tout particulièrement intéressé au premier film de l’histoire du cinéma montrant l’arrivée d’un train, car (Alain Reinaudo) « le train, en 1895, était la quintessence du progrès, il était certainement le pur mouvement pour les frères Lumière, et cette force massive qui se figeait, le symbole de la vitesse domestiquée ».
Prenant place dans le train, Bernard Plossu filme et photographie ces « paysages intermédiaires » qui s’offrent à son regard. Emprunté à Michel Butor, ce terme de paysage intermédiaire est relatif à ces images fugaces apparaissant au passager d’un mode de transport. Avec la caméra Super 8, il capte des instants de ce parcours qui se traduisent par des images floues, enregistrant le défilement du temps et des paysages traversés. Faisant se confronter deux temps, celui du véhicule et celui de l’appareil d’enregistrement, Bernard Plossu alterne aussi entre l’utilisation du film, qu’on pourrait appréhender comme étirement temporel, et celle de l’appareil photographique en tant qu’il arrête l’instant. Mais cette distinction est loin de correspondre à la pratique de Bernard Plossu faisant de son film Super 8 des tirages photographiques et un livre, il n’hésite pas, par ailleurs, à faire de la photographie un mode de lecture cinématographique. Inspiré dès ses débuts par le cinéma, Bernard Plossu a construit son travail photographique à l’image d’un long film s’étirant sur toute sa vie. Auteur d’une œuvre hors des sentiers battus, le photographe ne cesse d’enregistrer des moments de sa vie dans sa relation à son vécu d’homme nomade, amoureux de la mobilité. Ses photographies, les unes à la suite des autres, composent le film de sa vie, dans le déroulé de la pellicule, à l’image de celle d’un film cinématographique. Il énonce ainsi : « Le film " technique", le matériau, est aussi le film "métaphorique", symbolique de ce temps qui passe... les images sont des souvenirs visuels... les voyages en sont un des éléments, l'ailleurs, la curiosité, mais ce n'est pas la clé de tout, la seule clé inchangeable, c'est ... le temps qui passe, qu'on le prenne en photo ou pas ! Le cinéma en vie ... » Cette proximité avec le cinéma a fait notamment l’objet d’un livre et deux expositions au printemps 2010 au Fonds Régional d’Art Contemporain de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et à la galerie La Non-Maison d’Aix-en-Provence invitant à interroger cette relation intime entre ces images photographiques et le cinéma, conduisant à appréhender la fixité de la photographie dans sa relation au temps. Pour signifier photographiquement le déplacement, il semblerait que Bernard Plossu ait recours à des tactiques faisant écho au cinématographe. Les photographies visibles dans ces expositions laissent voir des références empruntées à la culture cinématographique et des rapprochements de forme entre ses photographies et de grands classiques du septième art. Mais ce qui importe surtout est le mode opératoire de certaines de ses séries qui s’inscrivent dans l’étirement temporel. Loin d’une photographie qui se situerait dans la lignée de l’instant décisif cher à Cartier-Bresson, Plossu est au contraire à la recherche de « tous ces moments de rien, de non-temps qui, ensemble, constituent la vie ».

Aujourd’hui le temps est conditionné par la vitesse comme mode opératoire. Paul Virilio considère que « la vitesse traite de la vision comme matière première ; avec l’accélération, voyager, c’est comme filmer, produire moins des images que des traces mnémoniques nouvelles, invraisemblables, surnaturelles ». Les modes de transport modifient le rapport que l’usager entretient au déplacement et conduisent aussi à percevoir différemment le monde environnant. Cette perception est dépendante de la vitesse, notion qui a évolué au fil des progrès techniques qui ont marqué la société depuis le XIXème siècle. Petit à petit, les voyageurs ont fait les frais de ces évolutions et ont été les témoins privilégiés des changements relatifs à l’expérience viatique et à la perception des espaces traversés. Paul Virilio analyse ces transformations sous le prisme du temps. Pour l’auteur, le déplacement traditionnel se décompose en trois moments : le départ, le voyage et l’arrivée, marqué par l’importance accordée au départ comme événement préparé et par le temps du voyage, souvent long, appréhendé comme moment vécu pleinement par le voyageur. Quant à l’arrivée, elle est un événement à part entière, conditionnant la réussite d’un long périple fastidieux. Avec la révolution des transports, seulement deux termes subsistent : le voyage est mis entre parenthèses et ne devient qu’un intermède entre le départ et l’arrivée ; Virilio considère que le train impose cette distance avec le moment du voyage, pour ne devenir qu’une attente avant d’arriver à destination. Puis, avec la révolution des transports aéronautiques, non seulement le temps du voyage a disparu, dans cette volonté de consacrer l’arrivée au détriment des autres moments constitutifs du déplacement. Mais l’expérience même de ce voyage semble vouer à s’éclipser au sein d’une époque prônant l’arrivée généralisée. Toutefois, il convient de distinguer l’expérience d’un voyage en train de celle faite au sein d’un Train à Grande Vitesse considéré par Marc Augé comme un non-lieu tant l’individu se trouve à distance du paysage traversé. Au-delà de ces distinctions, certaines postures artistiques consistent à vivre le temps de voyage comme une expérience visuelle originale. Tel est le choix opéré par Bernard Plossu pour Paris-Londres-Paris, travail réalisé avec l’écrivain Michel Butor. Commande du Centre Régional de la Photographie Nord Pas de Calais, ce livre est issu du travail réalisé par les deux auteurs dans le cadre de la première édition de la mission Transmanche en 1988. Mise en place durant la construction du tunnel sous la Manche, cette mission avait vocation à appréhender les changements et les mutations relatifs à ces travaux d’aménagements par le biais de l’imaginaire. L’ouvrage Paris-Londres-Paris présente des photographies en noir et blanc et des textes manuscrits de Butor. Les pages du livre laissent voir sur la partie inférieure les contacts du photographe au dessus desquels une ligne d’écriture présente un enchaînement de termes séparés par des points. Le centre de la page est soit occupé par une photographie, soit par un texte. Les images se suivent et racontent ce déplacement en train, d’une capitale à l’autre. Elles témoignent de la présence du photographe dans le mode de transport ; certaines enregistrent un flou de filée immergeant le lecteur au sein du voyage. Le texte, quant à lui, ouvre d’autres horizons, nous faisant sortir de l’ici et maintenant de la situation pour convier à une errance de la pensée. Le lecteur est invité à lire la planche comme il regarderait un film, en s’appuyant sur la narrativité d’un tel procédé. Dans son travail photographique, Bernard Plossu confronte ses images à leur inscription dans une continuité qu’il met en exergue en exposant ou éditant les planches contact, similaires à des photogrammes. Grâce à ce procédé, il parvient notamment à proposer la représentation d’un trajet.
En appréhendant la photographie comme une suite d’images qui, au final, constituerait un seul et même film, il nous permet de comprendre au mieux l’importance accordée à l’image. Prise isolement, la photographie n’a pas davantage de sens qu’un photogramme de film. A ce sujet, Bernard Plossu énonce : « ces images (…) c'est un peu du cinéma, une sorte de film qui ne s'arrête pas (pas encore !  Mais la vie n'est pas éternelle .....) Que je sois dans l'Ouest là-bas, ou en Europe ici, les images glissent à la suite les unes des autres, au cour des années ..... Et puis, vous me parlez de film, presque comme "le film d'une vie”, mais .... bien sur : nous ne faisons qu'accumuler, dans l'ordre du temps qui se déroule, des images sur les films : les films des photographes sont  DU FILM ! Même matériau techniquement (en tout cas dans mon cas et dans ma génération, maintenant je ne sais pas comment ça marche avec  le numérique!) ... » Les différents travaux pour lesquels il a privilégié une présentation sous la forme de planche contact incarnent au mieux ce parti-pris. Non seulement il ancre son travail dans une approche narrative de la photographie, mais il s’oppose à l’autonomisation de l’image. Ses photographies sont volontairement pauvres : l’utilisation assumée d’un matériel bas de gamme et les conditions de prises de vue difficiles contribuent à l’élaboration d’une image qui se construit avec les autres et en interaction avec l’expérience viatique du photographe. Le lecteur parcourt le livre en suivant le fil conducteur créé par ces images et ces textes signifiant le trajet effectué. Non seulement la présentation, sous la forme de photogrammes, renvoie au cinéma, mais elle garantie aussi le respect de la chronologie de la prise de vue. Ainsi, le lecteur effectue à son tour ce déplacement entre ces deux capitales, à travers l’imaginaire de ces deux auteurs, nous invitant à une correspondance entre ces paysages intermédiaires photographiques et la poésie des mots.
Mais ce livre opère également un rapprochement intéressant entre la durée de l’œuvre filmique – en tant qu’elle se réfère au film comme matériau – et celle du voyage, comme si ces deux temporalités étaient intimement liées, comme si le déplacement photographique s’incarnait au mieux dans cette correspondance temporelle.

Ces photographies prises depuis un mode de transport sont souvent floues. Il ne s’agit pas tant d’un flou de netteté qui marquerait un acte, mais d’un flou de bougé qui, selon Bernard Plossu, serait caractéristique d’un passage. Mais loin d’être le signe d’une quelconque esthétisation, ce flou est le résultat d’une image faite en mouvement, dans des conditions lumineuses ne permettant pas de fixer la scène qui s’offre à lui. De ce fait, la vitesse d’obturation est réduite, conduisant à imprégner durant plus longtemps le film photographique. Ainsi, la durée d’enregistrement de l’image est étirée afin de capter suffisamment la lumière qui s’offre au photographe. Le flou de Bernard Plossu n’est donc pas tant un effet de style que le résultat de l’étirement temporel qu’il applique à ses images. Ces photographies ne relèvent pas d’un instant décisif prôné par Henri Cartier-Bresson mais davantage d’une image-durée qui donne à voir une action en cours, non pas un instant, mais un trajet spatial et temporel au sein même de l’image. La vision par procuration – depuis un mode de déplacement – s’apparente à la vision cinématographique. Virilio considère que « l’optique de l’illusion locomotrice est analogue à l’illusion d’optique cinématographique ». Car la vitesse des modes de déplacement motorisés crée un effet de filé conduisant à percevoir le paysage comme une suite d’images défilant les unes derrière les autres. En choisissant de photographier depuis un mode de transport, Bernard Plossu s’interroge sur sa situation de passager témoin d’un paysage en mouvement. Il s’attache souvent à faire du voyage non plus cette parenthèse décriée à juste titre par Virilio mais plutôt le moment de la prise de vue, une parenthèse photographique invitant à attirer l’attention du lecteur sur le trajet et la vision proposée, conditionnée à la fois par la mobilité du mode de déplacement et par la subjectivité du photographe. Le mode de transport ne doit pas être appréhendé seulement comme « machine de transport », mais aussi comme « machine de vitesse » engendrant des répercussions sur la vision des passagers. Il s’agit là d’une vision hallucinatoire dans la mesure où ces paysages ne sont pas en mouvement, mais le passager subit cette illusion motrice se rapprochant de la projection cinématique. Au sein de cette « machine de vitesse », le passager se distancie du statut de la vision et observe, grâce à la projection de lumière rendue possible par la vitesse, la  redéfinition instantanée de l’image et des dimensions spatio-temporelles du territoire parcouru. Se positionnant face au pare-brise comme il se placerait face à l’écran, le passager est témoin d’une profusion d’images dont le mode de vision est conditionné par l’opulence de cette masse informationnelle en continu.
Cette prédominance de la machine comme mode de vision et d’appréhension d’un environnement conduit également à faire passer au second plan l’expérience corporelle kinesthésique et à instaurer un autre rapport au réel, comme une immersion du virtuel au sein de l’actuel. L’image, via la machine, devient le nouveau principe de perception du réel et de représentation de ce dernier. Mais de décennies en décennies, les écrans se sont diversifiés et ont envahi l’espace-temps du contemporain pour devenir, semble-t-il, l’interface de prédilection des modes de déplacement et de communication d’aujourd’hui. La vision locomotive n’est alors que l’appréhension contemporaine d’une époque où la vitesse et la perception en continu des images deviennent le mode de réception de l’environnement immédiat et des media. L’arrivée de la machine comme mode déplacement est contemporaine de celle de la machine comme mode de fabrication des images. Elle conduit à penser ces inventions en parallèle, ainsi qu’à interroger les modifications alors en jeu dans le champ de l’art, au regard d’une société en pleine révolution. L’accélération a fasciné et effrayé des générations d’artistes pour qui le futur devait se concevoir sous l’angle d’un nouveau rythme dicté par la nécessité de gagner encore un peu plus en rapidité Cette accélération généralisée que le monde de l’art a su interroger et représenter au mieux, conduit à repenser l’organisation sociétale et les pratiques possibles des territoires. Car ces derniers sont de moins en moins conçus ainsi, mais plutôt pour être appréhendé en termes de trajectoires pratiquées par les modes de transport et de communication traçant les grands axes de circulation comme cartographie des espaces contemporains. Toutes ces modifications induisent aussi de repenser les rythmes au sein de l’ère de la mobilité généralisée afin de percevoir les images dans cette gestion du temps imposée par la cadence des machines.

Bernard Plossu s’immerge dans le mode de transport et produit des images animées par le mouvement. Afin de rendre compte du déplacement, le photographe vit l’expérience déambulatoire en produisant des photographies symptomatiques du défilement temporel, de la vitesse de déambulation et de sa condition de passager. L’image, parce qu’elle n’est que projection de l’action dans l’après-coup de l’expérience, s’impose dans l’étirement temporel caractéristique d’un tel déplacement. Le spectateur se confronte alors à la durée du film qu’il est invité à vivre en spectateur passif. Alors que l’image photographique permet de donner à voir une autre temporalité du déplacement, le cinématographe bafoue l’instant pour s’immerger dans le temps de l’action qui est donné à voir dans son intégralité. La relation entre le temps de l’expérience déambulatoire et celui de sa médiatisation ne peut pour autant se résumer en deux temps antagonistes. Bien au contraire, des correspondances existent, des processus artistiques invitent à tisser des liens entre ces deux traitements temporels. De ce fait, il semble de moins en moins évident d’opposer l’instant à la durée, tant l’un et l’autre semblent intimement liés au sein de travaux pour lesquels le moment de l’enregistrement visuel adhère à celui de l’expérience déambulatoire. Avec Train de Lumière et Paris-Londres-Paris, Bernard Plossu invite à percevoir la photographie comme une image temps, apte à capter la durée de l’expérience viatique. Il parvient à faire de l’image fixe l’incarnation d’un temps privilégiée qui serait le propre de ce voyage imaginaire inspiré du défilement visuel s’offrant au regard des passagers de ces trains d’images.
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