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  • The Rotating Painting Show - Par Domitille d'Orgeval

    Il y a 9 ans

    / Presse / The Rotating Painting Show

    Les «  Peintures rotatives  » d’Elvire Bonduelle ont pour point de départ un motif visuel aussi simple et factuel que possible  : la ligne courbe que dessine un rideau se détachant dans le rectangle d’une fenêtre. De cette vision, l’artiste a tiré une série de dessins à la règle qui caractérisent une partie de sa production depuis quelques années. Puis, elle a extrait ce motif de son contexte initial pour le soumettre à un ensemble d’opérations qui ont conduit à des peintures abstraites hard edge, dans la filiation assumée du maître du genre, Ellsworth Kelly. Le résultat est d’une grande efficacité visuelle  : l’œil se perd dans l’abîme du noir, tandis que le blanc le ramène à la surface de l’oeuvre. L’artiste a vérifié l’impact de ce contraste saisissant à travers un ensemble de tableaux qui se singularisent par leur mode de présentation  : leur sort n’est pas d’être présentés immuablement alignés sur le mur blanc de la galerie mais plutôt d’être agencés sous des formes changeantes (diptyque, quadriptyque), chaque combinaison offrant au regard une vision différente. En effet, le galeriste, tel un performeur, est mandaté par l’artiste pour opérer une rotation de ses œuvres, de préférence à l’insu du spectateur, ceci tant pour le défier, tester sa capacité d’attention que pour laisser un doute s’immiscer.
    La farce qui se joue ici a également pour but d’amener le spectateur à réfléchir à ce qu’il voit, à exercer son regard. Une problématique déjà abordée par Elvire Bonduelle lors de sa précédente exposition chez Laurent Mueller, «  Salle d’attente III  », au cours de laquelle l’artiste remarquait : «  tout est là : bien souvent, nous ne voyons rien. Nous forçons notre regard, à vouloir voir absolument, là, maintenant, en trois minutes, en trente secondes. » Là ne s’arrête cependant pas le propos d’Elvire Bonduelle comme en témoignent d’autres peintures rotatives qui délaissent l’esthétique hard edge   mais qui reprennent également des motifs courbes extraits du réel. Ces œuvres donnent à voir l’épuisement progressif de la peinture emportée par le pinceau sur la surface à peindre. Ce dernier est dirigé du bord supérieur de la toile vers son côté inférieur droit ou gauche, jusqu’à épuisement de la matière picturale. Puis il est de nouveau trempé et traîné pour reproduire le même geste.
    Les «  Peintures rotatives  » d’Elvire Bonduelle renouent sur un mode inédit avec les pratiques protocolaires de certains concrets, BMPT ou Support-Surface. Avec pertinence et humour, mais avec aussi cette fausse indolence qui la caractérise si bien, l’artiste suscite une réflexion sur la peinture, l’acte de peindre et les conditions de présentation des œuvres.
    Domitille d’Orgeval
    Les «  Peintures rotatives  » d’Elvire Bonduelle ont pour point de départ un motif visuel aussi simple et factuel que possible  : la ligne courbe que dessine un rideau se détachant dans le rectangle d’une fenêtre. De cette vision, l’artiste a tiré une série de dessins à la règle qui caractérisent une partie de sa production depuis quelques années. Puis, elle a extrait ce motif de son contexte initial pour le soumettre à un ensemble d’opérations qui ont conduit à des peintures abstraites hard edge, dans la filiation assumée du maître du genre, Ellsworth Kelly.

    Le résultat est d’une grande efficacité visuelle  : l’œil se perd dans l’abîme du noir, tandis que le blanc le ramène à la surface de l’oeuvre. L’artiste a vérifié l’impact de ce contraste saisissant à travers un ensemble de tableaux qui se singularisent par leur mode de présentation  : leur sort n’est pas d’être présentés immuablement alignés sur le mur blanc de la galerie mais plutôt d’être agencés sous des formes changeantes (diptyque, quadriptyque), chaque combinaison offrant au regard une vision différente.
    En effet, le galeriste, tel un performeur, est mandaté par l’artiste pour opérer une rotation de ses œuvres, de préférence à l’insu du spectateur, ceci tant pour le défier, tester sa capacité d’attention que pour laisser un doute s’immiscer. La farce qui se joue ici a également pour but d’amener le spectateur à réfléchir à ce qu’il voit, à exercer son regard. Une problématique déjà abordée par Elvire Bonduelle lors de sa précédente exposition chez Laurent Mueller, «  Salle d’attente III  », au cours de laquelle l’artiste remarquait : «  tout est là : bien souvent, nous ne voyons rien. Nous forçons notre regard, à vouloir voir absolument, là, maintenant, en trois minutes, en trente secondes. »

    Là ne s’arrête cependant pas le propos d’Elvire Bonduelle comme en témoignent d’autres peintures rotatives qui délaissent l’esthétique hard edge   mais qui reprennent également des motifs courbes extraits du réel. Ces œuvres donnent à voir l’épuisement progressif de la peinture emportée par le pinceau sur la surface à peindre. Ce dernier est dirigé du bord supérieur de la toile vers son côté inférieur droit ou gauche, jusqu’à épuisement de la matière picturale. Puis il est de nouveau trempé et traîné pour reproduire le même geste. Les «  Peintures rotatives  » d’Elvire Bonduelle renouent sur un mode inédit avec les pratiques protocolaires de certains concrets, BMPT ou Support-Surface. Avec pertinence et humour, mais avec aussi cette fausse indolence qui la caractérise si bien, l’artiste suscite une réflexion sur la peinture, l’acte de peindre et les conditions de présentation des œuvres.

    Domitille d’Orgeval
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    Thème : Arts plastiques
  • L'inachèvement comme forme

    Il y a 9 ans

    / Présentation / L'inachèvement comme forme

    Margaret Dearing / Timothée Schelstraete

    L’inachèvement comme forme

    La photographie de Margaret Dearing, la peinture de Timothée Schelstraete sont affaire de détails, de ceux qui s’obtiennent par ponction d’une partie sur un plus vaste ensemble. De fait, les coupes sont franches. Comme dans ces all over de la série Délitement où les tirages argentiques prélèvent, à bords perdus, juste une fraction de motifs répétés – la structure en quinconce des bardeaux, l’enfilade de blocs de béton se prolongeant d’évidence au-delà de ce que l’image en rend. Quant aux toiles, leurs formats pourtant grands peinent chaque fois à contenir un objet dans son entièreté. Signum montre un reflet visiblement amputé dans sa partie basse, Pôle une grille dont les angles sont rognés par un cadre un brin trop rapproché. Et lorsque l’effet de zoom avant est encore appuyé, excluant tout contexte, comme dans Rétroactif : le très gros plan serre si près l’angle arrondi d’une pièce de carrosserie que la composition s’abstrait presque.

    Etonnant, d’ailleurs, de voir comment Timothée Schelstraete et Margaret Dearing se rapprochent ainsi de leurs « sujets » sans céder au rendu d’une saisie naturaliste. Car si leurs cadrages cherchent la proximité ce n’est pas pour la précision, ni l’exactitude que ce point de vue confère, mais bien pour sursignifier l’acte de sélection qu’il implique : ce geste arbitraire qui vient détacher un morceau choisi du tout, et l’autonomise. Quitte à rendre plus ardue la perception de la chose représentée – ne la donner qu’incomplètement ou sans ce qui lui est extérieur, c’est assurément en compliquer les formes.

    Margaret Dearing et Timothée Schelstraete cherchent ce cadre dont la section permet de briser l’automaticité de lecture, sans toutefois aller jusqu’à rendre leur objet méconnaissable. Ainsi soumis à une relative atopie, les infrastructures urbaines, les artefacts industriels, toutes ces occurrences des plus quotidiennes que l’un et l’autre représentent, procurent une impression persistante d’inquiétante familiarité. Une appréhension sourde, encore augmentée par l’omniprésence de traces d’érosion, de dégradation – l’oxydation ternissant systématiquement le rendu du métal sur les toiles, les photographies de dépôts, de surfaces marbrées de ruissellements douteux. Mieux, ce cliché du lacis d’une vitre brisée, à terre : en plus de l’espace, c’est ici le temps qui est envisagé de façon parcellaire. L’image est après-coup, l’évènement anonyme. L’effet, isolé, n’a pas de cause énoncée – ce qui, assurément, en renforce la violence.

    Margaret Dearing et Timothée Schelstraete partagent donc une même inclination à travailler par extraction, par découpage, s’attachant à toujours rendre le caractère partiel de cette saisie. En suggérant la continuité vers un espace off ou, à l’opposé, en dissociant de façon drastique un seul élément du tout, chacun dit ce hors-champ, véritable procédé de mise en forme. Et jusque dans leur choix d’accrochage, lequel reprend en toute logique cette méthode de composition fragmentaire : sur le pourtour de la galerie les pièces s’étagent de part et d’autre d’une ligne à mi-hauteur du mur, délaissant exprès cette zone médiane sur laquelle le regard se pose de façon automatique, passive. Cette mise en espace amenant à considérer tableaux, photographies très en hauteur ou près du sol, oblige un certain inconfort ; d’autant que les angles de vue des œuvres – plongées, contre-plongées appuyées – s’en trouvent parfois contrariés, ce qui ajoute encore au trouble. Tout pour contrecarrer un ordonnancement systématique, l’enjeu de cette rencontre résidant, a contrario, dans la capacité que ces deux artistes ont de faire somme par divers modes de l’interruption.

    Timothée Schelstraete et Margaret Dearing proposent à la Progress Gallery un ensemble répondant de ce qui, précisément, ne fait d’ordinaire pas ensemble. Ce qui leur permet d’échapper à toute linéarité : leurs œuvres ici réunies sont autant de fragments entre lesquels, de mur en mur, et sans hiérarchie aucune, des glissements de forme, de sens surviennent. Autant d’éléments qui, dès lors qu’on leur consacre l’attention flottante qu’ils requièrent, dialoguent, de proche en proche, par déplacement et association. Invitant donc à dérouler quelque séquence sans toutefois s’embarrasser d’un début ou d’une fin, sans chercher de climax, ni espérer de dénouement – en définitive, sans attacher d'importance particulière à un détail de préférence à un autre. Voilà ce que Margaret Dearing et Timothée Schelstraete mettent en œuvre dans cette exposition dont l’unité profonde, substantielle, repose sur la coexistence libre et égale des pièces qui la composent ; et c’est aussi la condition pour s’abandonner à cet inachèvement qui hante leurs images.

    Marion Delage de Luget
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  • Au fil du temps

    Il y a 9 ans

    / Présentation / Au fil du temps

    Au fil du temps
    « Délitements », se défaire par couches, par feuilles, par temporalités, pourrait-on ajouter à propos du travail de Margaret Dearing. Son exposition se présente sous la forme élargie de séquences. Ce mot, séquence, mérite que l’on s’y attarde. Margaret Dearing le privilégie à celui plus traditionnel de « série » employé en photographie. Ce choix n’est pas anodin, il renvoie notamment à l’enchainement de plans cinématographiques, qui ont pu l’influencer, l’œuvre de Pelechian par exemple. « Délitement », « Fragment », « Ici », ont été à un moment donné des ensembles pensés comme des séquences. À la Couleuvre, celles-ci sont rassemblées pour en former une nouvelle. Cette manière d’agir témoigne de la volonté de mobilité propre à Margaret Dearing par rapport à son travail, sa recherche de cycle appelé à être sans cesse réactivé. L’idée de succession spécifique à la séquence apparaît de multiples manières, échos chromatiques ou formels. Tout repose sur les micro-transformations de matières, des montagnes nuageuses (fragment 4) aux reflets de nuages dans la vitre brisée (délitement 1), de l’ocre des marches (fragment 2) à celui des falaises (délitement 3). Nulle vocation documentaire dans ses photographies, le paysage lui-même, tel qu’il apparaissait auparavant dans son travail, s’estompe. Désormais, il s’agit, pour reprendre son expression, de s’attacher au « micro-monde » et au « maxi-monde ». La question de l’échelle est d’ailleurs essentielle. Les formats transforment le spectateur tantôt en Lilliputien tantôt en Gulliver. Associée aux cadrages généralement resserrés et au grain tout particulier des photographies, cette posture du spectateur l’oblige à déplacer son point de vue. Il reconnaît un motif, tout en perdant ses repères. Des éléments sont perceptibles, mais pas géographiquement identifiables, une falaise, un sol, un escalier… Les phénomènes d’écoulements, de dégradation des espaces du quotidien, prennent alors une autre dimension. Le paysage se transforme en fragile détail, les détails de coulures ou de stries se font paysages. À l’étage, le diaporama Ici pose une nouvelle fois la question du temps, celui du regard sur la photographie mais aussi celui du travail et de l’image. Cet ensemble regroupé en 2014 est réactivé sous une nouvelle forme, succession de parcelles urbaines dans lesquelles l’homme est là. Sa présence sur l’une des photographies s’incarne indirectement dans son action sur son environnement, espaces fantômes devenus chambres, morceaux de nourriture abandonnés, nature domestiquée… Délitement 10 se place en contrepoint de l’ensemble. Ce petit format intrigue, tout en contribuant à éclairer la vision actuelle de Margaret Dearing. Le paysage existe toujours, mais plus de façon traditionnelle, il est hors champ, il se transforme, il mute. « Délitement », « Fragment », « Ici », un constat se fait poésie et invitation au voyage d’une photographie à l’autre, une expérience par l’image.

    Fanny Drugeon, février 2016
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  • Waiting room #4

    Il y a 9 ans

    / Travaux

    Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Katharina Monka, A 00315

    Il y a 9 ans

    / Articles

    Katharina Monka, A 00315
    Dans la lignée d'un art conceptuel attentif aux contextes de présentation de l'oeuvre d'art, Katharina Monka s'intéresse aux conditions de sa réception, à son fonctionnement en tant que dispositif de monstration.

    "On entre dans l'exposition d'un lieu où ce qui a lieu s'expose". Cette description par René Denizot d'une installation de Daniel Buren intitulée "une enveloppe peut en cacherune autre" situe aussi pleinement l'enjeu du dispositif imaginé par Katharina Monka pour le Studio. Il s'articule autour d'un film réalisé lors de sa précédente exposition à Munster. La présentation de son oeuvre y prend un caractère rituel avec la complicité de son galeriste allemand. Son rôle d'intermédiaire assurant la rencontre du public avec l'oeuvre est ici minutieusement chorégraphié dans ses faits et gestes. La blancheur du white cube et son acoustique singulière participent d'une esthétique froide, presque clinique où cette mise en oeuvre du show rejaillit avec force. Katharina Monka nous la présente comme la négociation sans cesse tentée d'un point d'équilibre vital entre le vide et le plein, l'animé et l'inanimé, le corps et l'objet, le manifeste et le caché.

    Le spectateur en est à ce titre un acteur - et activateur essentiel. Les sculptures ici exposées se confondent d'ailleurs avec un mobilier destiné à moduler ses comportements. La présence du corps passe aussi par leur aspect inachevé, les choix plastiques subtils leur assignant une façade et un dos. Le vivant les contamine comme ces plantes s'échappant d'une table basse et voisinant un cube blanc orné de vis dont les faces intérieures exhibent l'impact de leur perforation.

    Dans cette exposition reposant sur un jeu formel de renvois et de mises en abîme, c'est tout un dialogue entre le corps et l'espace qui s'incarne avec humour. Un humour quisubvertit le jeu des apparences, perfore les surfaces, exhibe les processus pour humaniser les objets, surprendre et tenter une rencontre singulière avec le visiteur.

    Communiqué de presse pour la galerie laurent mueller, septembre 2015
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    Thème : Arts plastiques
  • Paris Photo à la galerie Les filles du calvaire, les 28 et 29 novembre
    Thème : Photographie
  • Les - Horlas d'or -

    Il y a 9 ans

    / BLOG JOURNAL VOYAGES MOIRS EXORCILS ET POEMSONGS PORTRAITS HORSLADORS / Horlad'ors

    Ils sont les - Horlas d'or -
    Ils sont les aimants, mes autres, 
    D'ores et déjà mes fous adorés.
    Aurore Laloy 

    - Démarche -

    Que reste t'il d'une collision avec une personne qu'on reconnait être comme son double ? Il s'agirait d'être ensemble le soleil levant, l'enfance d'un nouveau temps, l'aube du nouvel âge d'or. 

    - Horlas d'or - est une série d'interviews d'affranchis superbes, sorciers rêvants ou artistes puissants que j'aimerai vous faire découvrir. Ni tout à fait un blog, ni tout à fait un journal d'après bordel, - Horlas d'or - serait plutôt la retranscription de la rencontre fortuite d'avec mes consorts.
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  • Les peaux de Claire De Lavallée

    Il y a 9 ans

    / BLOG JOURNAL VOYAGES MOIRS EXORCILS ET POEMSONGS PORTRAITS HORSLADORS / Horlad'ors

    • 1 - 1 Claire nov2015
      1 Claire nov2015
    • 2 - 3 Claire nov2015
      3 Claire nov2015
    • 3 - 5 Claire nov2015
      5 Claire nov2015
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    Claire de Lavallée / Aurore Laloy
    Entretien / Novembre 2015
    Aurore Laloy : Claire de Lavallée, nous sommes dans ton atelier rue de Grenelle, et je vois juste derrière toi une Gisante. Cette sculpture en céramique fait partie d'une série, peux-tu nous en parler ?
    Claire de Lavallée : Les Gisantes constituent une suite de torses féminins, qui ont un peu une forme de bouclier ou de peau, elles sont en porcelaine, émaillées pour la plupart, blanches ou noires. La suite, pour l'instant comporte cinquante gisantes…
    AL : Une suite de torses de femmes... On dirait presque des visages.
    CdL : Dans mes bois aussi il y a cette ambiguité. Le choix du torse qui va des clavicules au pubis, évidemment avec la présence des seins, peut dessiner un visage. Et enfant, j'ignorais le terme de visage, chez moi, on parlait de la figure, alors quand des personnes venaient chez nous et disaient : "Elle a un très beau visage", je me disais : "Mais ils n'ont jamais vu mon ventre !", et j'étais extrêmement surprise. En fait, il y a une superposition de ces deux termes dans la construction de mon langage, qui a fondé cette ambiguité.
    AL : Tu parlais de peau, as-tu un rapport particulier à la peau ?
    CdL : Oui, en céramique, aussi bien quand je fais des objets que des sculptures, j'aime travailler à la plaque. Donc, je commence à préparer une plaque et cette future peau, ensuite, je lui donne une forme. Soit par un système d'empreinte ou d'estampage. La plaque vient s'installer comme une peau sur l'objet, et ma technique pour les Gisantes a été de commencer par faire une plaque et de soulever la plaque avec des éléments qui lui donne une forme humaine comme si un souffle de vie soulevait cette peau et l'animait. Il y a un côté peau-enveloppe, hum... enveloppe limitant la vie et lui donnant la possibilité d'être, l'incarnant en quelque sorte.
    AL : C'est elle ta matière en fait, la peau ?
    CdL : La peau est un lieu de communication absolu puisque c'est le plus grand organe du corps, la frontière avec ce qui n'est pas nous, notre manière de communiquer avec les autres, pour moi, une des manières principales... Et puis il y a aussi dans la peau ce double phénomène de frontière, de protection, et en même temps d'immense porosité. On pourrait dire tout passe par la peau. Et évidemment, on peut aussi faire un jeu de mots puisque quand on fait des objets en céramique, on est potier, et qu'on fait donc des pots. (Rires). C'est vrai qu'il y a cette homonymie aussi parce que le pot est fait pour contenir. Mais il contient principalement son propre vide ou son propre souffle.
    AL : Tu parles de souffle Claire, et je sais que tu chantes aussi : vois-tu une analogie entre la sculpture et la voix ? Entre sculpter de la céramique pour lui donner une forme et sculpter un souffle ou une respiration pour chanter ?
    CdL : En tout cas pour les Gisantes, oui, je vois cette analogie. On a déjà évoqué ce souffle qui donne de la vie enfin est incarné par le fait qu'on l'enveloppe d'une peau. En taille directe sur bois, je travaille aussi sur le thème de la respiration. Et il est vrai qu'en même temps que de commencer à sculpter, dans ma première jeunesse, j'ai beaucoup travaillé la voix. Notamment, je faisais partie d'un groupe de recherche avec Emile Le Tendre et on travaillait trois jours par semaine de 18h à minuit d'une manière assez particulière. Tout le travail était centré sur la voix elle-même, on ne chantait aucune note écrite et aucun mot écrit car tout était basé vraiment sur la pure voix et l'expression corporelle.
    AL : Tu disais tout à l'heure "dans mes bois", ce que tu appelles tes "bois", ce sont ces sculptures que je vois là ? Alors, par exemple, là, qu'avons-nous ? Un demi-tronc de charme ?
    CdL : Oui, c'est un fût de charme que j'ai taillé. Je l'ai ouvert en deux avec des coins et une masse, et dans chacune des deux parties, j'ai commencé par sculpter à l'intérieur le négatif d'un corps féminin, que j'ai ensuite passé au graphite pour le noircir, ce qui a accentué ce côté justement négatif, comme on peut parler d'un négatif en photo, et puis bon, pour l'un deux j'ai sculpté l'extérieur aussi, et cet extérieur est constitué d'os.
    AL : Quelles sont les essences de bois que tu tailles, à part le charme ?
    CdL : Alors le charme est très difficile à tailler parce qu'il résiste, il ne renvoie pas l'énergie, mais j'aime beaucoup tailler le chêne, c'est vraiment un bois magnifique à tailler, le chêne est dur mais il renvoie l'énergie avec force.
    AL : Ton coyote, c'est du chêne?
    CdL : Coyote c'est du chêne, Coyote est en chêne. Il s'appelle Joseph, c'est mon hommage à Joseph Beuys.
    AL : Et donc dans les bois que tu tailles il y a le charme, le chêne ?
    CdL : Oui, ce sont les principales essences que je travaille. Le cèdre aussi, puisque tu m'avais demandé de réaliser pour ton exposition Sylvia* une causeuse en bois de cèdre qui m'a beaucoup plu à travailler, qui sent délicieusement bon.
    AL : Comme pour tes Gisantes, tes sculptures sont troublantes parce qu'à l'intérieur du bois, on voit bien se dessiner un ventre et des seins de femme en même temps qu'un visage. C'est beau de se balader au milieu de tous ces visages, de ces grands visages en bois.
    CdL : C'est vrai que cette ressemblance avec un visage leur donne un côté totémique. Et puis c'est une manière d'évoquer l'esprit, qui traditionnellement siège dans la tête, mais là de le relier à l'organique. Que ce soit l'organique du bois ou l'organique d'un corps.
    AL : C'est très érotique aussi comme approche.
    CdL : Oui, il y a une douceur au toucher de la main comme au toucher de l'oeil. Comme les formes sont plutôt évocatrices que figuratives, et que du coup l'échelle disparaît, ça appelle une sorte de voyage, on peut même évoquer un paysage. Mmm...
    AL : Est-ce que ça aurait un lien avec ton côté femme sauvage, Claire ?
    CdL : Oui !
    AL : Est ce que tu te sens connectée à la forêt ?
    CdL : Oui complètement, connectée à la forêt et connectée à l'arbre. La verticalité est quelque chose que, nous les humains, sommes les seuls à partager avec les arbres. Nous sommes les deux seuls êtres à nous tenir principalement debout. Et c'est un très grand lien. On pourrait dire que nous sommes des sortes d'antenne entre le ciel et la terre, comme ça, traversés verticalement.
    AL : Qu'est ce qui est important pour toi Claire, qu'est ce qui compte ?
    CdL : Le flux, l'énergie qui nous traverse, toutes les formes qu'elle peut prendre, oui, c'est ce sentiment qu'on est traversé, qui est très important pour moi.
    AL : C'est ici dans ton atelier que tu travailles ? Je vois qu'il y a deux fours, c'est là que tu fais cuire tes céramiques ?
    CdL : Oui toute la céramique est faite ici, entièrement ici, modelée, émaillée, cuite, recuite. Et le bois, j'ai d'abord travaillé à l'école où j'ai appris à tailler avec Sylvie Lejeune et ces dernières années, j'ai ensuite travaillé dans une serre, un endroit que j'aime beaucoup pas loin de la forêt. Une serre dans laquelle j'ai d'ailleurs installé les Gisantes pour qu'elles soient filmées.
    AL : Oui j'ai vu cette vidéo de Jean-Arneau* à partir de l'installation des Gisantes dans la serre désaffectée. Tous ces torses de femmes, tous ces visages, toutes ces figures, sont comme en transition entre deux états, entre la vie et la mort, en suspension. C'est d'ailleurs ce qui me saisit le plus dans tes oeuvres, cette ouverture qui laisse place à l'imagination, c'est pour ça que je te parlais d'érotisme tout à l'heure, je trouve que tes sculptures sont propices à laisser place.
    CdL : En fait, elles sont.. je les considère un peu comme un point de devenir. C'est curieux, parce qu'évidemment quand on parle de gisantes on pense plutôt à la vie qui s'arrête. Mais ce n'est pas du tout dans cet esprit que mes Gisantes sont, non, elles sont comme un arrêt sur l'image de quelque chose qui effectivement est en transition, soit un autre mode d'être et éventuellement une résurrection, mais il n'y a pas quelque chose de figé.
    AL : La résurrection ?
    CdL : La résurrection évidemment, pouvant avoir lieu à tout moment de la vie, puisqu'à chaque instant nous mourrons et qu'à chaque instant nous ressuscitons.
    AL : Alors, la résurrection, et comme on a démarré sur la peau, que tu nous parlais de la peau tout à l'heure, euh ca me fait penser à la question de la mue, à la question de perdre une peau pour devenir neuve, ou neuf. Tu viens d'ailleurs de démarrer une nouvelle série de sculpture ?
    CdL : Oui !
    AL : Tu peux nous en parler ?
    CdL : Alors... J'ai fait deux pièces que j'appelle les Alanguies, qui sont des sculptures en forme de plat, lequel plat étant la toile sur laquelle se dessine un sexe masculin qui se repose, qui repose au milieu du plat.
    AL : Tel un fruit...
    CdL : Comme un fruit ou comme une apparition un petit peu incongrue à cause de ce contenant un peu étonnant qu'est le plat, et en même temps ces sexes masculins apparaissent comme s'ils étaient poussés de l'intérieur dans le plat et pas du tout comme un élement séparé du corps qu'on aurait posé là. Ils naissent du plat en fait, ce ne sont ni des fragments, ni le résultat d'une amputation, c'est plutôt une sorte de naissance. Et alors voilà, il me semble que ce qui les caractérise, c'est qu'ils n'ont pas de caractère ni rituel ni pornographique, ni ... c'est une vision assez candide, d'ailleurs ils sont blancs, blancs mats.
    AL : Très élégants !
    CdL : Veloutés, oui, élégants. En aucune manière ils ne veulent être vraiment figuratifs ni choquants ni dérangeants, il y a plutôt une notion d'apprivoisement.
    AL : Et ton envie de sculpter, d'où est-elle venue ? Comment elle est née ?
    CdL : C'est né, oh, en fait il y a tout le temps un aller-retour entre le matériau et soi-même. C'est dans cet espace là que pour moi bon bien évidemment, la sculpture existe. Oui comme un lieu de rencontre en fait.
    AL : Avec soi-même ?
    CdL : Finalement est-ce que toute rencontre n'est pas une rencontre avec soi-même ? Enfin là, c'est d'abord une rencontre avec l'inconnu et l'imprévu. En céramique, comme en taille directe, la sculpture naît pendant qu'on la fait. La taille directe, ce n'est pas une sculpture qui nécessite de faire des dessins préparatoires précis à éxecuter. On peut, bien évidemment, rédiger au préalable des pages et des pages, écrire des poèmes, etc, mais tout ça est oublié au moment où on a la gouge et la massette dans la main. C'est là que tout se fait, donc c'est une rencontre avec quelque chose de soi-même, et une grande rencontre avec l'imprévisible. L'imprévisible avec lequel on dialogue à chaque instant.
    AL : Et alors il y a des bois qui résistent ?
    CdL : Oui, oui, des bois qui induisent, avec lesquels on négocie, qui vous inspire à chaque instant, et auxquels aussi on doit par moment... imposer son désir.
    AL : Tu parles de désir, je l'entends comme... euh... une respiration pour revenir sur ce que tu disais au début, et donc la sculpture est-elle un combat de bouche à bouche, d'haleine à haleine ?
    CdL : Oui, on est très proche du bois quand on travaille.
    AL : Et qu'en est-il du temps que tu mets pour fabriquer l'objet ? Coyote, par exemple, tu l'as taillé en combien de temps ?
    CdL : Coyote, je ne sais pas, peut-être trois semaines.
    AL : Et tu choisis ton bois ?
    CdL : Le moment du choix d'un morceau de bois est lié à quelque chose qu'on voudrait en faire.
    AL : Donc, il y a une pré-figure ?
    CdL : En choisissant un bois, on projette toujours quelque chose à y tailler, après, bon, ça peut changer, mais il y a toujours ce mouvement.... Je relis d'une certaine manière le bois et la porcelaine, j'aime beaucoup ce travail d'empreinte comme je disais tout à l'heure, qui me semble lié à cette affaire de peau, et même il m'arrive de prendre des empreintes de mes sculptures en bois, comme pour créer une absolue proximité entre les deux matières.
    Al : Tu veux dire que tu moules par dessus tes sculptures ?
    CdL : Ca s'appelle estamper, je fais épouser la forme du bois à une plaque de terre.
    AL : Donc la sculpture est une forme de mariage entre les éléments ? Une réconciliation des pôles positif et négatif ?
    CdL : Oui, il y a un aspect comme ça que j'aime beaucoup pratiquer.
    AL : Une forme de balance ?
    CdL : Peut-être que mes formes en bois sont destinées à créer des pots P.O.T.S.. (Rires) Par la suite, à créer des peaux P.E.A.U.X. (Bruits de portes) Oui, Jean-Arneau, entre ! Là, il y a un tabouret. (Bruit d'un baiser)
    AL : Une porte qui s'ouvre sur le bruit de la civilisation, ouverture qui semble indiquer la fin de l'nterview. Merci Claire d'avoir accepté de parler de ton travail et de m'avoir reçue dans ton atelier.
    CdL : Ben merci pour toutes ces belles questions.
    Entretien avec Claire de Lavallée dans son atelier rue de Grenelle, Paris, Novembre 2015
    * Sylvia, vingt-quatre heures de la mémoire d'une forêt, exposition d'Aurore Laloy en hommage à l'Origine du Monde, tableau de Courbet caché derrière un panneau de bois peint par Masson et représentant une forêt. Vinyl de poésie et souvenirs à écouter assis sur une causeuse en cèdre sculptée par Claire de Lavallée. Galerie Nivet-Carzon, Paris, Juin-Juillet 2015. Performance Ezibélé, rite de passage en hommage à la matrice primordiale avec Rugiada Cadoni, Adrien Kanter, Aurore Laloy et Claire de Lavallée : www.youtube.com/watch?v=hUamYg-qODU
    * Les Gisantes, installation transitoire des sculptures de Claire de Lavallée dans une serre désaffectée, vidéo réalisée par Jean-Arneau Filtness, Studio Marbeau - Fondation PE 2015 / https://vimeo.com/145412989
    >>> Découvrez le travail de Claire de Lavallée : http://clairedelavallee.blogspot.fr
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    Ils sont les aimants, mes autres,
    D'ores et déjà mes fous adorés.
    Aurore Laloy
    Claire de Lavallée / Aurore Laloy / Entretien Novembre 2015

    Aurore Laloy : Claire, je vois juste derrière toi une Gisante qui trône dans ton atelier. Cette sculpture en céramique fait partie d'une série, peux-tu nous en parler ?
    Claire de Lavallée : Les Gisantes constituent une suite de torses féminins, qui ont un peu une forme de bouclier ou de peau, elles sont en porcelaine, émaillées pour la plupart, blanches ou noires. La suite, pour l'instant comporte cinquante gisantes…

    AL : Une suite de torses de femmes... On dirait presque des visages.
    CdL : Dans mes bois aussi il y a cette ambiguité. Le choix du torse qui va des clavicules au pubis, évidemment avec la présence des seins, peut dessiner un visage. Et enfant, j'ignorais le terme de visage, chez moi, on parlait de la figure, alors quand des personnes venaient chez nous et disaient : "Elle a un très beau visage", je me disais : "Mais ils n'ont jamais vu mon ventre !", et j'étais extrêmement surprise. En fait, il y a une superposition de ces deux termes dans la construction de mon langage, qui a fondé cette ambiguité.

    AL : Tu parlais de peau, as-tu un rapport particulier à la peau ?
    CdL : Oui, en céramique, aussi bien quand je fais des objets que des sculptures, j'aime travailler à la plaque. Donc, je commence à préparer une plaque et cette future peau, ensuite, je lui donne une forme. Soit par un système d'empreinte ou d'estampage. La plaque vient s'installer comme une peau sur l'objet, et ma technique pour les Gisantes a été de commencer par faire une plaque et de soulever la plaque avec des éléments qui lui donne une forme humaine comme si un souffle de vie soulevait cette peau et l'animait. Il y a un côté peau-enveloppe, hum... enveloppe limitant la vie et lui donnant la possibilité d'être, l'incarnant en quelque sorte. 

    AL : C'est elle ta matière en fait, la peau ?
    CdL : La peau est un lieu de communication absolu puisque c'est le plus grand organe du corps, la frontière avec ce qui n'est pas nous, notre manière de communiquer avec les autres, pour moi, une des manières principales... Et puis il y a aussi dans la peau ce double phénomène de frontière, de protection, et en même temps d'immense porosité. On pourrait dire tout passe par la peau. Et évidemment, on peut aussi faire un jeu de mots puisque quand on fait des objets en céramique, on est potier, et qu'on fait donc des pots. (Rires). C'est vrai qu'il y a cette homonymie aussi parce que le pot est fait pour contenir. Mais il contient principalement son propre vide ou son propre souffle. 

    AL : Tu parles de souffle Claire, et je sais que tu chantes aussi : vois-tu une analogie entre la sculpture et la voix ? Entre sculpter de la céramique pour lui donner une forme et sculpter un souffle ou une respiration pour chanter ?
    CdL : En tout cas pour les Gisantes, oui, je vois cette analogie. On a déjà évoqué ce souffle qui donne de la vie enfin est incarné par le fait qu'on l'enveloppe d'une peau. En taille directe sur bois, je travaille aussi sur le thème de la respiration. Et il est vrai qu'en même temps que de commencer à sculpter, dans ma première jeunesse, j'ai beaucoup travaillé la voix. Notamment, je faisais partie d'un groupe de recherche avec Emile Le Tendre et on travaillait trois jours par semaine de 18h à minuit d'une manière assez particulière. Tout le travail était centré sur la voix elle-même, on ne chantait aucune note écrite et aucun mot écrit car tout était basé vraiment sur la pure voix et l'expression corporelle.

    AL : Tu disais tout à l'heure "dans mes bois", ce que tu appelles tes "bois", ce sont ces sculptures que je vois là ? Alors, par exemple, là, qu'avons-nous ? Un demi-tronc de charme ?
    CdL : Oui, c'est un fût de charme que j'ai taillé. Je l'ai ouvert en deux avec des coins et une masse, et dans chacune des deux parties, j'ai commencé par sculpter à l'intérieur le négatif d'un corps féminin, que j'ai ensuite passé au graphite pour le noircir, ce qui a accentué ce côté justement négatif, comme on peut parler d'un négatif en photo, et puis bon, pour l'un deux j'ai sculpté l'extérieur aussi, et cet extérieur est constitué d'os.

    AL : Quelles sont les essences de bois que tu tailles, à part le charme ?
    CdL : Alors le charme est très difficile à tailler parce qu'il résiste, il ne renvoie pas l'énergie, mais j'aime beaucoup tailler le chêne, c'est vraiment un bois magnifique à tailler, le chêne est dur mais il renvoie l'énergie avec force. 

    AL : Ton coyote, c'est du chêne?
    CdL : Coyote c'est du chêne, Coyote est en chêne. Il s'appelle Joseph, c'est mon hommage à Joseph Beuys. 

    AL : Et donc dans les bois que tu tailles il y a le charme, le chêne ?
    CdL : Oui, ce sont les principales essences que je travaille. Le cèdre aussi, puisque tu m'avais demandé de réaliser pour ton exposition Sylvia* une causeuse en bois de cèdre qui m'a beaucoup plu à travailler, qui sent délicieusement bon.

    AL : Comme pour tes Gisantes, tes sculptures sont troublantes parce qu'à l'intérieur du bois, on voit bien se dessiner un ventre et des seins de femme en même temps qu'un visage. C'est beau de se balader au milieu de tous ces visages, de ces grands visages en bois.
    CdL : C'est vrai que cette ressemblance avec un visage leur donne un côté totémique. Et puis c'est une manière d'évoquer l'esprit, qui traditionnellement siège dans la tête, mais là de le relier à l'organique. Que ce soit l'organique du bois ou l'organique d'un corps.

    AL : C'est très érotique aussi comme approche.
    CdL : Oui, il y a une douceur au toucher de la main comme au toucher de l'oeil. Comme les formes sont plutôt évocatrices que figuratives, et que du coup l'échelle disparaît, ça appelle une sorte de voyage, on peut même évoquer un paysage. Mmm... 

    AL : Est-ce que ça aurait un lien avec ton côté femme sauvage, Claire ?
    CdL : Oui !

    AL : Est ce que tu te sens connectée à la forêt ?
    CdL : Oui complètement, connectée à la forêt et connectée à l'arbre. La verticalité est quelque chose que, nous les humains, sommes les seuls à partager avec les arbres. Nous sommes les deux seuls êtres à nous tenir principalement debout. Et c'est un très grand lien. On pourrait dire que nous sommes des sortes d'antenne entre le ciel et la terre, comme ça, traversés verticalement. 

    AL : Qu'est ce qui est important pour toi Claire, qu'est ce qui compte ?
    CdL : Le flux, l'énergie qui nous traverse, toutes les formes qu'elle peut prendre, oui, c'est ce sentiment qu'on est traversé, qui est très important pour moi.

    AL : C'est ici dans ton atelier que tu travailles ? Je vois qu'il y a deux fours, c'est là que tu fais cuire tes céramiques ?
    CdL : Oui toute la céramique est faite ici, entièrement ici, modelée, émaillée, cuite, recuite. Et le bois, j'ai d'abord travaillé à l'école où j'ai appris à tailler avec Sylvie Lejeune et ces dernières années, j'ai ensuite travaillé dans une serre, un endroit que j'aime beaucoup pas loin de la forêt. Une serre dans laquelle j'ai d'ailleurs installé les Gisantes pour qu'elles soient filmées. 

    AL : Oui j'ai vu cette vidéo de Jean-Arneau* à partir de l'installation des Gisantes dans la serre désaffectée. Tous ces torses de femmes, tous ces visages, toutes ces figures, sont comme en transition entre deux états, entre la vie et la mort, en suspension. C'est d'ailleurs ce qui me saisit le plus dans tes oeuvres, cette ouverture qui laisse place à l'imagination, c'est pour ça que je te parlais d'érotisme tout à l'heure, je trouve que tes sculptures sont propices à laisser place.
    CdL : En fait, elles sont.. je les considère un peu comme un point de devenir. C'est curieux, parce qu'évidemment quand on parle de gisantes on pense plutôt à la vie qui s'arrête. Mais ce n'est pas du tout dans cet esprit que mes Gisantes sont, non, elles sont comme un arrêt sur l'image de quelque chose qui effectivement est en transition, soit un autre mode d'être et éventuellement une résurrection, mais il n'y a pas quelque chose de figé. 

    AL : La résurrection ?
    CdL : La résurrection évidemment, pouvant avoir lieu à tout moment de la vie, puisqu'à chaque instant nous mourrons et qu'à chaque instant nous ressuscitons.

    AL : Alors, la résurrection, et comme on a démarré sur la peau, que tu nous parlais de la peau tout à l'heure, euh ca me fait penser à la question de la mue, à la question de perdre une peau pour devenir neuve, ou neuf. Tu viens d'ailleurs de démarrer une nouvelle série de sculpture ?
    CdL : Oui ! 

    AL : Tu peux nous en parler ?
    CdL : Alors... J'ai fait deux pièces que j'appelle les Alanguies, qui sont des sculptures en forme de plat, lequel plat étant la toile sur laquelle se dessine un sexe masculin qui se repose, qui repose au milieu du plat.

    AL : Tel un fruit...
    CdL : Comme un fruit ou comme une apparition un petit peu incongrue à cause de ce contenant un peu étonnant qu'est le plat, et en même temps ces sexes masculins apparaissent comme s'ils étaient poussés de l'intérieur dans le plat et pas du tout comme un élement séparé du corps qu'on aurait posé là. Ils naissent du plat en fait, ce ne sont ni des fragments, ni le résultat d'une amputation, c'est plutôt une sorte de naissance. Et alors voilà, il me semble que ce qui les caractérise, c'est qu'ils n'ont pas de caractère ni rituel ni pornographique, ni ... c'est une vision assez candide, d'ailleurs ils sont blancs, blancs mats. 

    AL : Très élégants !
    CdL : Veloutés, oui, élégants. En aucune manière ils ne veulent être vraiment figuratifs ni choquants ni dérangeants, il y a plutôt une notion d'apprivoisement. 

    AL : Et ton envie de sculpter, d'où est-elle venue ? Comment elle est née ?
    CdL : C'est né, oh, en fait il y a tout le temps un aller-retour entre le matériau et soi-même. C'est dans cet espace là que pour moi bon bien évidemment, la sculpture existe. Oui comme un lieu de rencontre en fait. 

    AL : Avec soi-même ?
    CdL : Finalement est-ce que toute rencontre n'est pas une rencontre avec soi-même ? Enfin là, c'est d'abord une rencontre avec l'inconnu et l'imprévu. En céramique, comme en taille directe, la sculpture naît pendant qu'on la fait. La taille directe, ce n'est pas une sculpture qui nécessite de faire des dessins préparatoires précis à éxecuter. On peut, bien évidemment, rédiger au préalable des pages et des pages, écrire des poèmes, etc, mais tout ça est oublié au moment où on a la gouge et la massette dans la main. C'est là que tout se fait, donc c'est une rencontre avec quelque chose de soi-même, et une grande rencontre avec l'imprévisible. L'imprévisible avec lequel on dialogue à chaque instant. 

    AL : Et alors il y a des bois qui résistent ?
    CdL : Oui, oui, des bois qui induisent, avec lesquels on négocie, qui vous inspire à chaque instant, et auxquels aussi on doit par moment... imposer son désir. 

    AL : Tu parles de désir, je l'entends comme... euh... une respiration pour revenir sur ce que tu disais au début, et donc la sculpture est-elle un combat de bouche à bouche, d'haleine à haleine ? 
    CdL : Oui, on est très proche du bois quand on travaille. 

    AL : Et qu'en est-il du temps que tu mets pour fabriquer l'objet ? Coyote, par exemple, tu l'as taillé en combien de temps ?
    CdL : Coyote, je ne sais pas, peut-être trois semaines. 

    AL : Et tu choisis ton bois ?
    CdL : Le moment du choix d'un morceau de bois est lié à quelque chose qu'on voudrait en faire. 

    AL : Donc, il y a une pré-figure ?
    CdL : En choisissant un bois, on projette toujours quelque chose à y tailler, après, bon, ça peut changer, mais il y a toujours ce mouvement.... Je relis d'une certaine manière le bois et la porcelaine, j'aime beaucoup ce travail d'empreinte comme je disais tout à l'heure, qui me semble lié à cette affaire de peau, et même il m'arrive de prendre des empreintes de mes sculptures en bois, comme pour créer une absolue proximité entre les deux matières. 

    AL : Tu veux dire que tu moules par dessus tes sculptures ?
    CdL : Ca s'appelle estamper, je fais épouser la forme du bois à une plaque de terre. 

    AL : Donc la sculpture est une forme de mariage entre les éléments ? Une réconciliation des pôles positif et négatif ? 
    CdL : Oui, il y a un aspect comme ça que j'aime beaucoup pratiquer. 

    AL : Une forme de balance ?
    CdL : Peut-être que mes formes en bois sont destinées à créer des pots. (Rires) Par la suite, à créer des peaux. (Bruits de portes) Oui, entre ! Là, il y a un tabouret.   

    AL : Une porte qui s'ouvre sur le bruit de la civilisation, ouverture qui semble indiquer la fin de l'nterview. Merci Claire d'avoir accepté de parler de ton travail et de m'avoir reçue dans ton atelier.
    CdL : Ben merci pour toutes ces belles questions. 

    Entretien avec Claire de Lavallée dans son atelier rue de Grenelle, Paris, Novembre 2015

    * Sylvia, vingt-quatre heures de la mémoire d'une forêt, exposition d'Aurore Laloy en hommage à l'Origine du Monde, tableau de Courbet caché derrière un panneau de bois peint par Masson et représentant une forêt. Vinyl de poésie et souvenirs à écouter assis sur une causeuse en cèdre sculptée par Claire de Lavallée. Galerie Nivet-Carzon, Paris, Juin-Juillet 2015. Performance Ezibélé, rite de passage en hommage à la matrice primordiale avec Rugiada Cadoni, Adrien Kanter, Aurore Laloy et Claire de Lavallée : www.youtube.com/watch?v=hUamYg-qODU 

    * Les Gisantes, installation transitoire des sculptures de Claire de Lavallée dans une serre désaffectée, vidéo réalisée par Jean-Arneau Filtness, Studio Marbeau - Fondation PE 2015 / https://vimeo.com/145412989

    >>> Découvrez le travail de Claire de Lavallée : http://clairedelavallee.blogspot.fr

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    Suite
  • Thème : Arts plastiques
  • Marguerite Pilven

    Marguerite Pilven

    Critique d'Art, Commissaire d'exposition

    www.margueritepilven.net

    Josué Z. Rauscher ou les nouveaux commencements
    Sans doute n’est-il pas meilleure façon de parler de l’humain que de s’intéresser à sa relation aux objets. Les outils permettent son accomplissement, sa maîtrise de la nature et l’appropriation de son environnement. C’est le processus inhérent à ces formes d’inscription dans le monde que Josué Z. Rauscher fouille et délivre « sur le mode d’une espèce d’archéologie expérimentale »?2. 

    Jour du Seigneur (2013) et Le Pèlerinage à Emmaüs (2014) sont deux œuvres significatives de son questionnement amusé sur la fonctionnalité des objets. Par les systèmes de déclassement et de recyclage qu’il met en œuvre, Josué Z. Rauscher s’émancipe de « cette instance sélective (...) qu’est le rationalisme »?3. Il développe une recherche guidée par une libre manipulation des objets, l’étude sensorielle et comparative de leurs formes et de leurs matériaux. Son œuvre se construit de manière à la fois empirique et contemplative, comme aux premiers temps de la technique.

    D’apparence pré-industrielle voire pré-culturelle, ses objets ont un caractère souverain, indéchiffrable et silencieux. Dévoyés de leur fonction première, ils migrent vers un « ordre de nature »?4 que Jean Baudrillard opposait dans Le système des objets à ceux produits par une « société technique »?5 développée « sur la base d’une abstraction totale »?6. Chez Josué Z. Rauscher, le traitement de la matière leste chaque forme d’une présence singulière.
    L’absence de finalité de ces objets en fait aussi des « outils spéculatifs »?7 où se réfléchit tout autant la réalité du travail que celle de la création artistique. Les références au chantier et l’entremêlement de l’espace de travail à celui de l’exposition caractérisent fortement son univers. Mais l’accident, la panne, l’équilibre précaire si présents dans l’œuvre de Josué Z. Rauscher opposent une forme de résistance sourde aux critères de la productivité.

    Car, au-delà des objets, c’est plus essentiellement du geste qu’il s’agit. En le dégageant de toute finalité clairement identifiable, Josué Z. Rauscher fait apparaître le sens du faire. En le réfléchissant dans sa réalité économique, morale et affective, il l’approche comme valeur. Travailler pour quoi ? Apporter quoi de plus à ce monde déjà saturé d’objets ?

    À ce sujet, certaines pièces imaginées par Josué Z. Rauscher évoquent aussi des jouets brisés ou des armes, résidus d’actions ludiques ou guerrières au travers desquelles les civilisations expriment l’excès, dilapident l’avoir et touchent l’être.

    S’il fallait retenir un aspect essentiel et singulier de l’œuvre de Josué Z. Rauscher, ce serait cette forme de poïesis qui la caractérise et l’habite. Le philosophe et architecte Stéphane Gruet en donne la définition suivante : « Ni production technique, ni création au sens romantique, l’œuvre poïétique réconcilie la pensée avec la matière et le temps, et l’homme avec le monde »?8.

    Texte pour la YIA art fair #05, octobre 2015
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    1. Nous empruntons l’expression du titre à Jack Ralite - La pensée, la poésie et le politique. Éd. Les Solitaires Intempestifs, 2015 -
    2. Propos de l’artiste
    3. Qu’est-ce que la sculpture moderne ? Éd. du centre Georges Pompidou, 1986
    4. Jean Baudrillard, Le système des objets. Éd. Gallimard, collection Tel, 1968
    5. Ibid.
    6. Ibid.
    7. L’usage des formes, artisans d’art et artistes. Palais de Tokyo, 2015 (document d’aide à la visite de l’exposition)
    8. Stéphane Gruet, Architecture, ville et société humaine. Éd. Poïesis, 2015
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    Thème : Arts plastiques