Je suce des petits calissons
Des calissons en forme de poisson
Pour nourrir mon petit chagrin
Je suce des petits calissons
Des calissons en forme de poisson
Pour l’empêcher de pleurer
Mon petit chagrin
Parce qu’il a faim
Mon petit chagrin, il a faim
A force de boire le calice
Qu’il boit jusqu’à la lie le calice
Jusqu’au fond du creux de la brèche du ravin
Où mes humiliations se nichent
Mon petit chagrin
Mon petit chagrin obèse et chuintant
Mon petit chagrin qui a faim
Alors je tasse je tasse
Je tasse bien au fond
Les petites confiseries pour mon petit chagrin
Les petits calissons
Les petits calissons
Faits de poudre d’amande et de confit de melon
Les petits calissons cuits à feu doux
Et en forme de poisson
Mon petit chagrin obèse et lent
Continue de pleurer au dedans
Je lêche et je suce et je tasse
Pour faire passer les avanies
De mon petit chagrin
Mais rien ne le fait taire
Pas même les petits calissons
Les calissons en forme de poisson
Alors je forme une petit boule
Et je roule au dedans
Je descends dans le ravin de mes peines
Pour lui faire un câlin au petit chagrin
Je roule et je roule et je cherche et je cherche
Mais je ne trouve pas mon petit chagrin
Je ne tombe que sur ma petit agonie
Elle fait peur ma petite agonie
Elle ne veut pas qu’on la console ma petite agonie
Elle ne veut ni qu’on lui caresse les cheveux
Ni qu’on la prenne dans les bras
Elle entend vivre de son propre mouvement ma petite agonie
Elle continue son chemin dans les replis ma petite agonie
J’essaye de la suivre plus profond ma petite agonie
Elle m’entraîne plus loin dans l’abîme de la vexation ma petite agonie
Dans les sillons sanglants ma petite agonie
Des tranchées dans la chair ma petite agonie
De chaque côté des tranchées dans la chair
Des soldats portant des casques se lancent des grenades
Ma petite agonie avance menaçante
Mais ma petite agonie marche sur des obus et explose
En lambeaux ma petite agonie
En morceaux
Ma petite agonie tapisse le couloir
De mes ambitions massacrées et de mes envies tuées dans l’œuf
Avant même d’être née
Je continue d’avancer seule
Dans les profondeurs abyssales de ma non-naissance
Et je pioche je pioche pour récupérer les morceaux de mon destin
Je pioche ma pioche en guise de sceptre
Et une lampe frontale en guise de diadème
Je suis l’infante défunte
Je suis la reine au calisson en forme de poisson dans la bouche
Morte avant d’être née
La reine avortée
En mille morceaux
Mes mille morceaux de petites boules
Au goût de calissons en forme de poisson
Dévalent dans les plis de mon inaccompli
Déboulent dans les entrailles de mes origines
Mes mille morceaux et moi
On descend plus profond dans l’ombilic
On se met à fouiller dans les plis
A chercher partout à quel moment je suis née
Par quel trou
On se salit les doigts dans toutes les entailles
Toutes les failles
On y met les mains les bras la tête : “Qui suis je ? Où est mon cordon ?”
Les questions résonnent en écho dans les couloirs
Et se collent aux parois
On continue à glisser mes mille morceaux et moi
Le long du couloir matriciel
J’entends tous mes flics
Toutes mes voix intérieures
Qui se mettent à gueuler
Et à produire la loi
Celle qui interdit
Celle qui réclame le respect
Qui veut qu’on se mette à plat ventre
A plat ventre
Mes mille morceaux et moi
On continue à fouiller dans chaque recoin
A palper chaque nodule
Chaque cellule malade
Ca crie et ca interdit partout
Les flics sont armés et nombreux
Mes mille morceaux et moi
On fore encore plus profond dans le tunnel
On explore chaque vagin, chaque cordon, on caresse
Chaque entaille, chaque cicatrice
On remonte le cours de chaque crevasse
Chaque névrose, on embrasse
Chaque mère
Chaque grand-mère
Chaque arrière grand-mère
Chaque arrière arrière grand-mère
Mes mille morceaux et moi on veut toutes
Les prendre dans mes bras
On veut les écouter, les comprendre
Et mes mille morceaux et moi
On veut surtout les soigner
Les soigner toutes ces femmes de ma matrice
Pour qu’elles arrêtent de gueuler
De faire la loi
Pour qu’enfin elles se reposent
Et s’assoient calmement pour discuter
Avec mes mille morceaux et moi
Je danse avec mes oncles morts
Et les jumeaux de mes frères morts-nés
Dans la boue sanglante des sillons de l’amour abyssal
De l’amour des mères sans fond
Je prends dans mes bras leurs ovaires fatigués
Je lèche leurs traumatismes
Je caresse leurs peurs tapies dans l’ombre
Et doucement, mes mères et moi, on se met à pleurer
Aurore Laloy, texte composé en fièvre dans la chambre d'Eléonore Lebidois, deux heures avant l'émission de radio "Hôtel Paradoxe" du 10 décembre 2011 avec Joujou, le groupe de poésie punk de Benjamin Colin & Agnès Pinaqui pour une thématique "Couloir(s)"