L’approche méticuleuse de Jérémy Berton tient probablement à ce que « le quotidien est ce qu’il y a de plus difficile à découvrir. »1 Son interprétation d’objets domestiques est méthodique, guidée par la multiplicité des expériences formelles enrichissant une histoire de la sculpture qu’il connaît bien. Une histoire qui, depuis les assemblages d’objets réalisés par Picasso, a souhaité rétablir une continuité entre l’artistique et l’ordinaire, par le biais de l’expérience esthétique. Cette expérience peut en effet surgir indifféremment « à partir d’un contexte reconnu comme artistique ou d’un autre reconnu comme ordinaire. »2. L’humour qui caractérise les réalisations de Jérémy Berton procède en réalité d’un entrelacement entre une approche réfléchie et une façon digressive, fantaisiste et inattendue, de traiter les objets qu’il choisit de considérer. La sculpture intitulée Set en est l’exemple le plus direct parmi les œuvres qu’il expose au POCTB, en ce qu’elle règle de manière inattendue la question de la table par une double opération de recouvrement et de soustraction.
Est donc exposé ici un ensemble de sculptures réalisées depuis 2013, année où de passage en résidence dans un manoir, avec pour seul bagage un sac de plâtre, Jérémy Berton remarque des motifs drapés « en plis de serviette » qui ornent les meubles. Comment ce motif trouverait-il à s’incarner dans le plâtre ? Voici la question à laquelle il s’attelle en ornant tout d’abord un balai. Travaillé de façon lisse et très graphique, le plâtre emprunte au marbre sa beauté aristocratique. La tête du balai forme un socle qui a l’élégance d’une collerette amidonnée. Le torchon aux formes molles vient coiffer, telle une perruque 18e, le sommet du manche. Il y a quelque chose de l’esprit surréaliste dans ces télescopages de styles, ces renversements esthétiques des valeurs, ces migrations de matériaux et l’anthropomorphisation de l’objet.
De mêmes formulations métonymiques s’organisent sur la table de Picnic. On peut y projeter une relation implicite entre un rouleau de Sopalin qui pavoise et une serviette qui dégoise, (ces objets empruntant leurs contours profilés à ceux des phylactères, ancêtres médiévaux de la bulle de bande dessinée). Au centre de la table, un parasol semble avoir arbitré leurs échanges et suspendu leur bavardage en se fermant, façon baissé de rideau. L’étrangeté de cet ensemble repose sur un paradoxe : représenter des objets associés à des activités quotidiennes et les faire migrer vers l’inutilité de l’art, c’est à dire les convertir en des sculptures. Cette conversion, ou sublimation, peut expliquer le caractère suspendu qui caractérise nombreuses des sculptures exposées, et comme saisies dans un silence que vient amplifier leur blancheur.
La série de 6 pièces murales intitulée Drapés, un travail de variation minimaliste du torchon de cuisine, poursuit cette épure silencieuse des objets. Jérémy Berton s’y concentre plus précisément sur l’écart entre la géométrie, assez protocolaire, et le pli, l’aléatoire ; l’association du compas, systématique, et du dessin à main levée. Il est amusant de voir, au fil de ces variations, comment ce principe l’emporte finalement sur le sujet lui-même, au point d’en permettre quelques interprétations incongrues. Cet exercice formel semble poser à Jérémy Berton des défis si jubilatoires qu’il en amplifie la problématique avec la réalisation de Shelter, un drap reposant sur un étendoir à linge. L’étude de formes triangulaires ou losanges se complexifie, le volume et les plis du drap ayant cette fois-ci à coïncider avec la structure de l’étendoir. Autre tour de passe-passe, illusionniste cette fois-ci : convertir une micro- architecture massive (la sculpture porte bien son nom !) en un objet d’apparence plane, fluide, légère. De nouveau la forme du drap s’essentialise, elle devient précieuse par sa qualité graphique, sa densité. Comique par l’écart qu’elle ouvre et comble à la fois, entre ce qu’elle représente et ce qu’elle est effectivement, cette sculpture interroge avec force le rapport entre le réel et sa représentation ; rapport qu’une approche poétique du monde met constamment en jeu.
Les toutes dernières réalisations en date de Jérémy Berton, deux « miroirs » placé dans la vitrine de la galerie et visible depuis la rue, annoncent en quelque sorte l’esprit de cette exposition. Ils viennent également confirmer le goût marqué de Jérémy Berton pour le dessin, le traitement de la surface et du plan, et l’étude de possibles décalages avec le volume qu’ils enveloppent. Cet aspect de son travail, lié à des enjeux de perception et d’illusion, rappelle parfois celui de l’artiste Richard Artschwager et son propos manifeste : “Sculpture is for the touch, painting is for the eye. I wanted to make a sculpture for the eye and a painting for the touch.”
Marguerite Pilven, octobre 2017
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1 Maurice Blanchot, L’entretien infini, Paris, Gallimard « Blanche », 1969, p.355
2 Barbara Formis, Esthétique de la vie ordinaire, Paris Puf, 2010, p.44
Est donc exposé ici un ensemble de sculptures réalisées depuis 2013, année où de passage en résidence dans un manoir, avec pour seul bagage un sac de plâtre, Jérémy Berton remarque des motifs drapés « en plis de serviette » qui ornent les meubles. Comment ce motif trouverait-il à s’incarner dans le plâtre ? Voici la question à laquelle il s’attelle en ornant tout d’abord un balai. Travaillé de façon lisse et très graphique, le plâtre emprunte au marbre sa beauté aristocratique. La tête du balai forme un socle qui a l’élégance d’une collerette amidonnée. Le torchon aux formes molles vient coiffer, telle une perruque 18e, le sommet du manche. Il y a quelque chose de l’esprit surréaliste dans ces télescopages de styles, ces renversements esthétiques des valeurs, ces migrations de matériaux et l’anthropomorphisation de l’objet.
De mêmes formulations métonymiques s’organisent sur la table de Picnic. On peut y projeter une relation implicite entre un rouleau de Sopalin qui pavoise et une serviette qui dégoise, (ces objets empruntant leurs contours profilés à ceux des phylactères, ancêtres médiévaux de la bulle de bande dessinée). Au centre de la table, un parasol semble avoir arbitré leurs échanges et suspendu leur bavardage en se fermant, façon baissé de rideau. L’étrangeté de cet ensemble repose sur un paradoxe : représenter des objets associés à des activités quotidiennes et les faire migrer vers l’inutilité de l’art, c’est à dire les convertir en des sculptures. Cette conversion, ou sublimation, peut expliquer le caractère suspendu qui caractérise nombreuses des sculptures exposées, et comme saisies dans un silence que vient amplifier leur blancheur.
La série de 6 pièces murales intitulée Drapés, un travail de variation minimaliste du torchon de cuisine, poursuit cette épure silencieuse des objets. Jérémy Berton s’y concentre plus précisément sur l’écart entre la géométrie, assez protocolaire, et le pli, l’aléatoire ; l’association du compas, systématique, et du dessin à main levée. Il est amusant de voir, au fil de ces variations, comment ce principe l’emporte finalement sur le sujet lui-même, au point d’en permettre quelques interprétations incongrues. Cet exercice formel semble poser à Jérémy Berton des défis si jubilatoires qu’il en amplifie la problématique avec la réalisation de Shelter, un drap reposant sur un étendoir à linge. L’étude de formes triangulaires ou losanges se complexifie, le volume et les plis du drap ayant cette fois-ci à coïncider avec la structure de l’étendoir. Autre tour de passe-passe, illusionniste cette fois-ci : convertir une micro- architecture massive (la sculpture porte bien son nom !) en un objet d’apparence plane, fluide, légère. De nouveau la forme du drap s’essentialise, elle devient précieuse par sa qualité graphique, sa densité. Comique par l’écart qu’elle ouvre et comble à la fois, entre ce qu’elle représente et ce qu’elle est effectivement, cette sculpture interroge avec force le rapport entre le réel et sa représentation ; rapport qu’une approche poétique du monde met constamment en jeu.
Les toutes dernières réalisations en date de Jérémy Berton, deux « miroirs » placé dans la vitrine de la galerie et visible depuis la rue, annoncent en quelque sorte l’esprit de cette exposition. Ils viennent également confirmer le goût marqué de Jérémy Berton pour le dessin, le traitement de la surface et du plan, et l’étude de possibles décalages avec le volume qu’ils enveloppent. Cet aspect de son travail, lié à des enjeux de perception et d’illusion, rappelle parfois celui de l’artiste Richard Artschwager et son propos manifeste : “Sculpture is for the touch, painting is for the eye. I wanted to make a sculpture for the eye and a painting for the touch.”
Marguerite Pilven, octobre 2017
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1 Maurice Blanchot, L’entretien infini, Paris, Gallimard « Blanche », 1969, p.355
2 Barbara Formis, Esthétique de la vie ordinaire, Paris Puf, 2010, p.44