Baptiste de Ville d'Avray
Photographe
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A l'horizon, les témoins...
« le sable était d’or et sur l’immense front de mer dansait la tolérance » Gilbert Sinoué
 
 Depuis 2001, le Maroc est en chantier permanent. Les côtes  méditerranéenne et atlantique ne cessent de se métamorphoser au gré des  promoteurs immobiliers.
 Tout a changé... L’horizon seul n’as pas bougé. Les lagunes se sont  effacées, recouvertes doucement par des constructions stéréotypées. Port  de plaisance, résidences, villas, golf, hôtels bordent le front de mer.  Le bétonnage du littoral a commencé.
 Tout s’accélère depuis quelques années. Les habitants sont les témoins de la transformation de leur pays.
 Face à la mer, ils s’arrêtent, impassibles. On ne peut jamais savoir,  s’ils rêvent d’un ailleurs, s’ils recherchent un souvenir, un lieu  enfoui sous les nouvelles constructions, ou si simples
 témoins, ils attendent de voir ce que leur offrira ce nouveau visage du Maroc.
 Entre deux saisons, les lieux sont vides, les témoins en profitent pour  déambuler. Ils sont presque immobiles comme si cette accélération ne les  effleuraient pas. Tel Pénélope et son amour perdu, ils guettent  l’horizon.
 Baptiste de Ville d’Avray
 
 RADIOGRAPHIE D'UNE ANGOISSE TRANQUILLE.
 Nous avons tous suivi, avec intérêt, étonnement, espoir, angoisse, les  événements qui secouent en ce moment le Moyen-Orient et qui ont été  appelés, prenant exemple sur la Tunisie, les révolutions du jasmin. Mais  quels que soient la joie que nous avons éprouver à l’écoute des  nouvelles qui nous parvenaient de cet ailleurs si présent, la peur que  les choses retombent dans un statuquo qui renverrait à une stagnation,  ou pire, à un retour vers des situations auxquelles nous avons assisté  ici et là, bref, que ces signes d’espoir ne se transforment en un  avortement douloureux ne nous a jamais quittés.
 
 Le Maroc, royaume où l’avènement d’un roi jeune avait suscité tant  d’espoir n’échappe pas aux questionnements que provoque la région. Les  régimes autocrates ont la vie dure, comme en témoigne le spectacle des  répressions au Yémen, Bahreïn ou en Syrie. Nous vivons comme dans une  faille spatio-temporelle au sortir de laquelle personne ne peut prédire  l’avenir. Il y a comme une attente latente, partout dans les pays de la  Méditerranée, et c’est cette attente, à la fois tranquille et pleine de tension, que l’oeil de Baptiste de Ville d’Avray a su figer.
 
 Ces photographies montrent la contradiction entre un mouvement perpétuel  et une immobilité des corps et même des animaux qui tous, les yeux  tournés vers l’avenir, semblent s’interdire de trop rêver. Le dialogue  entre les espaces vides, les espaces en chantier et les jolies maisons et les hommes et les femmes qui vaquent à leurs occupations  quotidiennes, les adolescents qui contemplent la mer sans trop vouloir  en abolir les limites, tout semble figé dans l’attente d’un miracle qui,  soudain, redonnerait au cours de la vie son flot naturel.
 
 Sans doute, les signes avant-coureurs sont-ils y découvrir ici. Comme un  ciel avant l’orage, comme une prière sourde adressée à un Dieu sourd  inabordable. La force du travail de Baptiste de Ville d’Avray est d’être  parvenu à nous révéler, sans exotisme racoleur, ce que James Baldwin  avait nommé : l’évidence des choses que l’on ne voit pas. 
 
 Mieux que des foules en colère, ces images nous livrent une radiographie  d’un état intérieur qu’il est bien plus difficile de capturer, mais qui  n’en détient pas moins, dans ses cadrages et le choix de ses sujets,  les éléments d’une étrange prémonition. La pièce de monnaie est sur la tranche. Et chacun attend, avec une angoisse tranquille, de savoir de quel côté elle va retomber.
 
 Paris 30 juin 2011
 Simon Njami, écrivain, critique et commissaire d’exposition


