TOUS LES ARTICLES

Corinne Mercadier

Corinne Mercadier

Photographe

www.corinnemercadier.com

L'oeuvre photographique de Corinne Mercadier est liée jusqu’en 2008 au Polaroid SX 70. A partir de ces clichés, elle réalise des tirages agrandis de différents formats. Elle a également une pratique du dessin, pour la préparation des sculptures et des mises en scènes de ses images. S’il y a une rupture radicale dans l’œuvre de CM, c’est l’arrêt de la fabrication de la pellicule Polaroid SX70 en 2008. Depuis, elle travaille avec les outils numériques, qui ont apporté des modifications fondamentales aux dispositifs de prise de vues et à l’esthétique de ses images.

Corinne Mercadier a exposé régulièrement depuis 1998 à la Galerie Les filles du calvaire, et à la Galerie Alan Klotz à New York en 2006 and 2008 ; au festival Fotofest, Houston, Texas; à la FIAC et à Paris-Photo; à La Primavera FotoGrafica, Barcelone; à l'ARCO, Madrid...

Elle a reçu le Prix Altadis en 2001 et a obtenu en 2003 une commande du Musée Reattu et du Ministère de la Culture à l’occasion de laquelle elle réalise La Suite d’Arles, exposée pendant les RIP.
  • Présentation

    Il y a 12 ans

    / Dessins / Black screen drawings

    Black screen drawings offre une entrée différente dans un univers qui a pris forme au travers de la photographie. J’ai toujours accompagné la maturation de mes photographies par des carnets de dessins préparatoires, pour travailler les images, composer des polyptyques, ou pour concevoir mes sculptures : ce sont des dessins rapides, utiles et liés par une chronologie. Ce n’est pas le cas de cette série (que l’on peut rapprocher de Dehors, Le versant éclairé, Ce qu’il y a entre les choses, dans les années 90) : une rêverie à partir d’un fond d’encre fait émerger des formes qui s’éclairent et se colorent peu à peu. Ce qui est commun à tous, outre l’unité de format et de technique, est l’apparente cohérence des sources de lumière, des ombres et de la perspective. Ces scènes sans réalité prennent l’aspect détaillé dont la mémoire ou l’observation auraient pu rendre compte. Les moirures du fond d’encre sont interprétées comme des territoires géographiques, et les formes construites sur ces territoires,  proches de l’abstraction, sont hors d’un temps ou d’un espace mesurable. Il ne s’agit pas de paysage, mais plutôt de lieu de spectacle en extérieur sans décor, ni costumes ni personnages. Un théâtre. Mes photographies aussi sont un théâtre, qui, lui, n’est pas vide et s’anime par la présence du corps et du temps. Que ce soit dans les dessins ou dans les photographies, je cherche à capter l’épaisseur du présent, et la mise en scène/mise en abyme est mon capteur idéal.
    Suite
    Thème : Photographie
  • Biographie

    Il y a 13 ans

    / Présentation

    Corinne Mercadier est née en 1955.
    Elle vit et travaille à Paris.

    Elle est représentée par la Galerie Les filles du calvaire à Paris, et la Galerie Alan Klotz à New York.

    L'oeuvre photographique de Corinne Mercadier est liée jusqu’en 2008 au Polaroid SX 70. A partir de ces clichés,  elle réalise des tirages agrandis de différents formats. Les séries Paysages (1992) et Où commence le ciel ? (1995-1996) cernent le vide, l’horizon, et jouent avec la notion de point de vue et de cadre. En 1998, la série Glasstypes, constituée de photographies de peintures sur verre, donne une aura lumineuse à d’indéfinissables objets. A partir de 2000, elle fabrique des sculptures destinées à être lancées et photographiées, dans les séries Une fois et pas plus (2000-2002), La Suite d’Arles (2003), Le Huit Envolé (2006), et Longue Distance (2005-2007). Elle a également une pratique du dessin, pour la préparation des sculptures et des mises en scènes, mais aussi indépendamment de la photographie, avec la série Black Screen Drawings, commencée en 2008 et qui fait suite à Dehors, et Ce qu’il y a entre les choses (1990).

    S’il y a une rupture radicale dans l’œuvre de CM, c’est l’arrêt de la fabrication de la pellicule Polaroid SX70 en 2008. Depuis, elle travaille avec les outils numériques, qui ont apporté des modifications fondamentales aux dispositifs de prise de vues et à  l’esthétique de ses images. Deux nouvelles séries seront présentées en 2012 durant le Mois de la Photo à Paris à la galerie Les filles du calvaire. La Maison d'Art Bernard Anthonioz à Nogent-sur-Marne montrera en même temps un ensemble important de photographies de l'artiste, de 1992 à 2012.

    Corinne Mercadier a exposé régulièrement depuis 1998 à la Galerie Les filles du calvaire, et à la Galerie Alan Klotz à New York en 2006 and 2008 ; au festival Fotofest, Houston, Texas; à la FIAC et à Paris-Photo, stand Les filles du calvaire Paris; à La Primavera FotoGrafica, Barcelone, à l'ARCO, Madrid. En 2001, elle a reçu le  Prix Altadis et exposé à la Galerie Durand-Dessert, Paris et Galerie Juana de Aizpuru, Madrid. En 2003, elle a obtenu une commande du Musée Reattu et du Ministère de la Culture à l’occasion de laquelle elle réalise La Suite d’Arles, exposée pendant les RIP.

    Elle est présente dans les collections de La Maison Européenne de la Photographie, Paris; du FNAC, Paris; de la Bibliothèque Nationale, Paris; la Collection Polaroid Corporation. Elle a publié aux éditions Filigranes, en particulier une monographie en 2007, et chez Actes Sud.
    Suite
    Thème : Photographie
  • Armelle Canitrot, Le huit envolé

    Il y a 13 ans

    / Publications / Textes d'auteur

    Armelle Canitrot, Le huit envolé
    Armelle Canitrot, Le huit envolé

    Extraits de la monographie parue aux Editions Filigranes, 2007
    Page 13

    Jamais le symbolique n’aura été aussi fort que dans ce travail mettant en jeu le fini et l’infini,  le blanc et le noir, dans une curieuse interprétation du yin et du yang dont la sagesse veut qu’un peu de l’un existe dans l’autre, et réciproquement. Un travail qui voit aussi le triptyque se transformer en retable, dont personne n’ignore le lien à l’art religieux le plus accompli. Notamment l’extra-ordinaire Jardin des Délices de Jérôme Bosch auquel Corinne Mercadier fait souvent référence. Relevant à la fois de la sculpture, du livre et de l’écran, le retable offre ainsi à l’artiste un nouvel espace de représentation idéal pour développer ses obsessions sur le caché et le révélé, sur les volumes et la géométrie, sur la scansion du temps et sur la décomposition du mouvement. Et l’on ne peut s’empêcher de voir un double sublimé de l’artiste et de ses propres contradictions, dans cette danseuse tiraillée entre ses contraintes et ses aspirations, que cette performance montre finalement libérée grâce à l’exercice de son art.
    Suite
    Thème : Photographie
  • Armelle Canitrot, Absence

    Il y a 13 ans

    / Publications / Textes d'auteur

    Armelle Canitrot, Absence
    Armelle Canitrot, Absence

    Extraits de la monographie parue aux Editions Filigranes, 2007
    Pages 10,11,12

    « Amis, parents, enfants sur la plage un soir, tous plongés dans ce moment. Ils s’activent, s’ennuient, jouent, discutent… mais pas moi. Je suis soudain saisie par le point de vue que j’ai sur eux, ils me tournent le dos, ou plus justement je vais voir dans leur dos, et je trouve leur absence, et la mienne. C’est une photo urgente d’une scène immobile… ». (C.M.) Photographie mémorielle qui garde la trace d’un souvenir directement offert par le réel, l’image « Années-Lumière » fonde la série « Longue Distance ». Aucune mise en scène, aucune sculpture, abandon du format carré, adoption du strict noir et blanc, présence de nombreux « personnages » : l’instantané Années-Lumière crée une véritable rupture dans l’œuvre de l’artiste. Ainsi y-a-t-il un « avant », et un « après » Années-Lumière. Conceptualisé notamment par le ça-a-été de Roland Barthes,  le rôle mémoriel de la photographie est une évidence repérée depuis ses origines. Mais, comme aucune autre image avant elle dans l’œuvre de Corinne Mercadier, c’est Années-Lumière qui assume pleinement cette responsabilité par rapport au souvenir du réel. La « vision » y est directe, d’où l’effet de sidération de la photographe elle-même devant ce tableau où tout est en place sans qu’elle ait à forcer le destin. D’où l’effet de sidération qui parcourt aussi toute la série, même si les images qui suivent sont à nouveau fabriquées par l’artiste, avec ses propres arrangements entre hasard et nécessité.
    Temps
    Dans la série Longue Distance, la présence de plusieurs polyptyques _les trois images de Carré Lunaire où l’on passe de la nuit au jour, celles de La Terrasse, ou encore de L’Or _, renforce la tentation de se raconter des histoires. Regroupements de scènes très proches montrant les différents moments d’une même séquence, ces triptyques ne sont pas tant pour l’artiste un récit construit à partir d’images fixes, comme peut l’être La Jetée de Chris Marker, qu’au contraire une suite de « photogrammes » extraits d’un film qui ne cesse de s’échapper. Pas tant un désir de raconter une fiction, qu’un artefact pour signifier la fuite du temps et figurer l’impermanence. Une preuve par l’image de l’impuissance à retenir l’instant et le mouvement de la vie, à l’instar du héros de La Jetée, qui « comprit qu’on ne s’évadait pas du temps et que cet instant qu’il lui avait été donné de voir enfant, et qui n’avait cessé de l’obséder, c’était celui de sa propre mort ».
    Symbolique
    Ainsi aimerait-on voir se ranimer les trois images de L’Or, auxquelles le cadre d’une piscine offre cet espace scénique parfaitement délimité, comme au théâtre. Notamment ces deux figures saisies en pleine plongée et restées en arrêt dans l’air au-dessus du bassin miroitant. Car on fait le parallèle avec The Reflecting Pool, la fascinante vidéo de Bill Viola, dans laquelle un plongeur reste suspendu dans les airs en position fœtale, jusqu’à s’y fondre, avant de ré-émerger des eaux sans y avoir pourtant jamais pénétré. Dans une étrange résurrection. On retrouve des obsessions proches de celles de Corinne Mercadier, dans ces spectres qui se reflètent entre deux eaux chez Bill Viola, et dans sa vision dédoublée « haut-bas » de l’image. L’or, la plongée…, Corinne Mercadier ne tient pas le symbolique à distance, proche en cela de la démarche inspirée de l’artiste américain. Ainsi l’or, ou l’un de ses alchimiques leurres, est-il convoqué ici pour réinventer non seulement la lumière, mais aussi pour pousser plus loin l’exploration de la sculpture. Celle-ci devient tantôt une surface plane et miroitante délimitant un espace, comme la « feuille d’or » convoquée dans l’icône pour symboliser l’infinitude du sacré. Tantôt un volume protéiforme, comme un drapé capable d’épouser chaque fois de nouveaux contours, de se manifester dans de nouvelles apparences.
    Suite
    Thème : Photographie
  • Armelle Canitrot, Inconstance

    Il y a 13 ans

    / Publications / Textes d'auteur

    Armelle Canitrot, Inconstance
    Armelle Canitrot, Inconstance

    Extraits de la monographie parue aux Editions Filigranes, 2007
    Pages 3 et 4

    Lorsqu’elle aborde ses repérages « intérieurs », Corinne Mercadier explore les coins et les recoins de ces maisons qui rappellent les parties de cache-cache de l’enfance. Confirmant son choix du Polaroid, son cadre carré, son grain, sa fragilité et l’inconstance de ses couleurs qui lui permettent d’inventer déjà dans ses premiers travaux un autre rapport au temps et à l’espace. Le Polaroid SX70 et sa pellicule professionnelle 778 qui répond au nom insolite de « Time-Zero Color Instant Film », nom prémonitoire en tout cas du compte à rebours et de la course contre la montre dans lesquels est lancée malgré elle la photographe. Car aujourd’hui, chaque fois qu’elle utilise une nouvelle boîte, un macaron lui rappelle que ce « Produit en fin de vie, disponible jusqu’à épuisement des stocks », ne sera bientôt plus pour elle qu’un souvenir.
    Couleur
    Mais pour ces Intérieurs, elle peut alors encore bel et bien chercher dans cette pellicule le moyen de traduire sa propre vision du monde, un peu à la manière d’un Walker Evans qui vit lui aussi dans le Polaroid SX70 l’opportunité de faire de la couleur tout en s’émancipant d’une trop grande fidélité à la réalité. Car c’est l’apparition de cet appareil qui conduisit le maître du noir et blanc à renier ses propres propos contre la couleur qu’il jugeait vulgaire, pour finir par l’expérimenter trois ans avant de décéder. Ainsi, les explorations intérieures de Corinne Mercadier qui s’attarde sur une tête de lit, des vêtements sur cintres, le motif d’un fauteuil…, rappellent-elles l’esprit des polaroids de Walker Evans, notamment Sans titre (vêtements sur un fauteuil), tandis que ses maisons de l’Ayrolles sont proches de l’atmosphère poétique de Sans titre (maison abandonnée) et du Building Shell réalisé par le photographe américain en 1973 et 1974. Le vocabulaire qu’élabore Corinne Mercadier _ plans rapprochés sur un coin de mur, un plafonnier, un portemanteau, un miroir…_ rappelle aussi les plans de coupe des films de David Lynch, dont on sait qu’il fut influencé par les clichés du « coloriste » américain William Eggleston.
    Extraits de la monographie parue aux Editions Filigranes, 2007
    Pages 3 et 4
    Suite
    Thème : Photographie
  • Michele Moutashar, le vol des phylactères

    Il y a 13 ans

    / Publications / Textes d'auteur

    Michele Moutashar, le vol des phylactères
    Michele Moutashar, le vol des phylactères
    D’Arles, si définitivement minérale, déployée dans l’excès continu de son métal, Corinne Mercadier choisit toitures célestes et revers, de celles qui bordent façon ourlet le déambulatoire du Cloître, ou l’extrados des Prêcheurs, et les degrés de Montmajour ; et ce par nature, une sorte d’évidence qui la porte continuellement, que ce soit à Bages, au bord de cet étang évanoui, lieu de son précédent travail, ou cette fois encore, très exactement là « où commence le ciel »[i]…
    Pavement principal, le polyptyque des Prêcheurs, déplié en cinq actes, dit d’emblée que tout ici est affaire de membrane et de géométrie : le mercure du ciel moulé à la forme du toit, les pans mêlés du revers de la voûte, montant et descendant, autant mer que vaisseau, et le va-et-vient du diaphragme en clé de voûte du ventre. On retrouve, comme si souvent dans les photographies de l’artiste, ce remous du premier plan, comble et mat, susceptible de déversement, et qui ici s’emplit au fur et à mesure que se vide la couleur.
    Une géométrie déployée en exèdres, trapèzes, polyèdres, nervures, déclivités, mais extrêmement résistante, têtue, compacte (le contraire d’un feuilleté), dévidant voiles, écrans, palmes, baleines, battements : c’est cet espace que visite, hanneton idéal, le vol des livres et des phylactères apparus dans l’image.
    Leurs matières comme leurs formes – tulles, feuilles d’or, rubans, miroirs, triptyques,  calligraphies célestes – y convoquent sur la pointe des pieds une histoire merveilleuse de la peinture, primitive, innocente, tout juste là en train de s’inventer. C’est ainsi que s’inclinaient les lys dans les tableaux de Simone Martini…
    Au-dessus du corps de la voûte, si longuement bercé, ployé, porté, frotté, vêtu, de quoi est fait réellement ce vol, qui fait tenir l’ensemble (le temps, l’espace, forcément), l’agite comme une crème, mais surtout livre la matière même du monde ? A quoi peut-il tenir, depuis le moment où le porte l’orante, sur la première image du polyptyque, et que déjà les feuilles entre ses mains échappent à la forme du livre ?
    Est-il question de lenteur, ou plus exactement de ralenti ? Mais l’aile en suspension, membrane mystérieusement plus lourde et dense que la pierre, sur les degrés inachevés de Montmajour, dément.
    Sommes-nous à cet endroit du rêve où viennent se résoudre l’ascension et la chute ? Mais rien pour indiquer ici l’existence de la gravité…
    Cette peau forme comme un théâtre, où volent les pensées et les ombres, où naissent et s’évanouissent, dépliées de l’embrasure des portes et des passerelles crénelées, des silhouettes qui dans les tragédies antiques eussent pu être aussi celles des Erinyes.
    Ces formes déployées, qui affleurent soudain mais ont toujours été là, ce virage de l’air, ce remous qui ne dépend pas d’elles, c’est l’apparition dans la scène d’un temps qui n’est ni celui de la pierre ni celui des personnages, qui ne se mesure pas aux ombres, ni aux souvenirs, quelque chose qui n’est pas dit, seulement effleuré, quelque chose tout de même que la peau, mais celle le long du cou et très près de l’oreille, parviendrait à percevoir.
    Quelque part au-dessus des toits, La « Suite d’Arles » lève, tout juste tenue au dessin de la chaise, fragile comme un jouet, distraite de l’intimité même de la joue de celle qui lit, couchée à fleur de toit, et le mystère qui s’y joue ploie à la forme d’un corps les feuilles qui s’envolent.

    [i] Titre du livre de C.M. paru en 1996 aux éditions Filigranes
    Suite
    Thème : Photographie
  • Magali Jauffret, Des rêves éveillés

    Il y a 13 ans

    / Publications / Textes d'auteur

    Magali Jauffret, Des rêves éveillés
    Magali Jauffret, Des rêves éveillés

    L’Humanité, 26 mars 2002, à l’occasion du Prix Altadis 2001

    Les grandes images noir et blanc, format polaroid, de Corinne Mercadier montrent des personnages confrontés, dans la nature, à des objets volants identifiés comme autant de vêtements, linges, voiles poussés par le vent. Une gosse qui court dans une forêt semble vouloir échapper à la menace d’une chemise de nuit immaculée aux manches longues tentaculaires. Un homme qui fait son jogging semble encerclé, mais peut-être, après tout, n’est-il qu’accompagné, par la présence enrobante, inquiétante, hitchcockienne, d’un Organza noir à la consistance ailée, plumée. Un homme, tournant le dos à la mer, n’a plus sa tête.
    Elle a disparu, happée par un linge blanc en forme de tulipe…ou de champignon atomique. Un spectre se déplace sur la dune, prend une consistance de mariée et, pourtant, l’ombre du deuil plane. La photographie comme destin, comme catastrophe.
    Ainsi vont les images de la série intitulée « Une fois et pas plus », qu’au moyen de ces lâchers éphémères d’étoffes qui s’abattent devant l’objectif, l’artiste donne consistance aux failles, aux fantasmes, aux phobies de tous et de chacun. On est dans l’humain jusqu’au cou, dans un monde fantomatique où les ombres sont décalées, où l’immatériel devient  présence charnelle, où l’impalpable se manifeste, où les symboles se forment,, entre visible et invisible, entre l’ici et l’au-delà. Il faut le dire : ces photographies nous font passer de l’autre côté du miroir, parviennent à créer l’espace irrationnel du rêve. Elles manifestent moins une idée qu’elles ne sont cette idée elle-même. Autant dire que le mouvement surréaliste s’est trouvé là une postérité.
    Ce nouveau travail, qui fait le deuil de la couleur, de l’écrit, qui convoque le hasard avec le vent, vient de loin. Il n’aurait pu voir le jour sans les prises de vue répétées et fondatrices, au polaroid, d’un bassin du XVIIIème siècle qui trônait sous les fenêtres de l’artiste. Sans  aussi, peinte sur verre, la représentation du genou de la petite servante, dans l’annonce à Sainte-Anne, de Giotto. C’est l’époque du dessin, des cartes postales, d’un bric-à-brac d’objets, de découpages, de cadrages, de fragments isolés photographiés en provoquant des ombres, en bricolant avec de la ficelle. Le mystère du procédé prend encore le pas sur ce que l’auteur veut représenter. Mais Corinne Mercadier, toute à son désir de révéler « la face diurne des choses visibles », explore déjà l’univers du ciel, des constellations, part à la recherche d’un espace, d’une lumière. Créant un monde, elle en défriche les racines. Arrivent les « Paysages ». Se demandant « où commence le ciel, », elle entraîne dans son sillage poétique et Bernard Plossu et Alain Fleischer. Elle sait que de ses images, le mystère, des questions doivent surgir, que si rien ne manque, ça ne l’intéresse pas, qu’ elle   gardera par contre, celles que « les mots ont lâchées, qui créent un fossé, qui parlent de ce qui est entre les choses, du vide, celles qui tirent sur un fil ».
    Puis surgissent, somptueux, tels des éclairs, les « Glasstypes ». Photographie et verres en un seul mot. Des objets, photographiés comme à l’intérieur de leur propre lumière, dégagent aura, magie et flottent, comme  visités. L’artiste rêve ses images. La série « Intérieurs », elle, se poursuit. La femme, au four et au moulin d’une vie de compagne, de mère et d’enseignante, arrive à vivre ses idées. Entre-temps, géométrie et polyèdres sont arrivés en force. Les filtres, eux, se sont multipliés comme autant « d’empêchements à voir pour mieux voir ». La photographie s’est définitivement imposée. La fabrication d’une image par l’appareil n’est-elle pas la plus proche de celle  produite par l’œil ?
    Sur les murs de la galerie Liliane et Michel Durand-Dessert, ça y est. La géométrie
    Dure et l’informe se rejoignent. Les sculptures rencontrent l’espace de la vie. La déchirure de la mort, elle, rôde toujours dans une ambiance très cinématographique. Qu’importe ! Tout se passe comme si ce  travail sur l’intérieur permettait à l’artiste de vivre d’autant mieux l’extérieur. En coulisses, d’ailleurs, les prises de vue réalisées le temps des vacances sont ludiques, joyeuses. L’atelier de Corinne Mercadier n’est pas triste non plus. Les strates des travaux antérieurs y sont là déposées. Et aussi l’ordinateur, des patrons, des robes-échelles, des vêtements volants comme des peaux, ce qui fait marge, cul-de-sac, et tous les ratés dont elle fera quelque chose un jour…
    Corinne Mercadier tutoie dans son monde les Américains Francesca Woodman et Ralph Eugene Meatyard.
    Suite
    Thème : Photographie
  • Jean Arrouye, île illusoire

    Il y a 13 ans

    / Publications / Textes d'auteur

    Jean Arrouye, île illusoire
    Jean Arrouye, île illusoire

    Citations extraites de Dreaming Journal, éditions Filigranes, 1999
    Texte paru dans la revue AKOZ, février 2001
    Jean Arrouye est enseignant en sémiologie de l’image, Université de Provence

    Lumière instable, rideaux de pluie, notations d’un poème qui semble commenter l’un de ses Glasstypes, où l’on peut voir un rideau de pluie et de lumière mêlées s’abattre sur une chaîne de montagnes escarpées qui se découpent à contre-jour.
    A droite et à gauche de la zone de pluie qui va en s’évasant à mesure qu’elle se rapproche du sol, laissant supposer de violents remous de vent d’orage sur les reliefs, le ciel est d’un bleu violacé intense tels que sont parfois au crépuscule, sous les tropiques, le ciel nuageux et la mer s’accordant en ton à son sombre compagnon. Cette couleur enserre la trombe pluvieuse et la chaîne montagneuse nimbée d’une aura lumineuse et s’étend sur tout le bas de l’image, sur près d’un tiers de la hauteur, de sorte que le spectateur se trouve, visuellement, imaginairement, dans la situation d’un navigateur qui, venant du large, verrait surgir à l’horizon la découpe d’une île volcanique. La silhouette tronconique de certaines de ces montagnes, la verticalité, comme d’un rempart né de l’effondrement des laves, des parois des parois d’autres hauteurs poussent à cette interprétation.
    à l’intérieur de sa propre lumière
    En fait rien de tel n’a été photographié par l’artiste qui n’a répondu à aucune Invitation au voyage et, si rideau il y a, ce n’est que rideau de tissus léger soulevé par quelque courant d’air et habité par la lumière qui entre par la fenêtre qu’il cache, tandis qu’à sa lisière inférieure, l’ombre s’amasse irrégulièrement au creux de ses ondulations. Si un objet si trivial peut, comme on l’a vu, ou cru voir, faire illusion et susciter l’apparition d’une île imaginaire, c’est que, explique Corinne Mercadier, lorsqu’un objet devient occasion de Glasstype, « il est photographié à l’intérieur de sa propre lumière, seul dans un espace vide, hybride minéral, animal, architectural, transversal ».

    La diversité des hybridations possibles ne se limite pas à cette liste donnée par la photographe : le rideau photographié est  devenu minéral, mais aussi pluvieux, atmosphérique… Si ainsi «  les  choses  les plus ordinaires se recomposent en nouvelles choses étranges », comme le dit encore Corinne Mercadier, c’est que le Glasstype consiste à « arracher du temps. Arracher de la lumière. Arracher de la musique », arracher du temps au temps de la prise de vue, de la lumière au spectacle photographié, de la musique au mutisme des objets.
    L’image obtenue est donc d’une certaine façon, intemporelle, surnaturaliste eût dit Baudelaire, et sa musique, évidemment de l’ordre des correspondances, variations de teinte, contrepoint du noir, fluctuation harmonique de la frange de lumière…

    métamorphose photographique
    Un Glasstype résulte donc d’une double action : l’une, volontaire, lors de sa création, de « désillusion de la photographie comme image de », ainsi que dit sans ambages Corinne Mercadier, l’autre, à sa réception, de consentement au pouvoir d’illusion de formes et de couleurs purgées de leur habituel fardeau mémoriel.
    Ainsi le rideau se soulevant découvre une île rêvée,
    « Une image de la pensée
    d’un ailleurs fait des représentations que l’on en a - monde mental. »
    Cependant, cet être d’imagination que le spectateur croit reconnaître dans le Glasstype n’est pas le produit de sa seule fantaisie. Il lui a été suggéré, du moins rendu possible par l’agencement prémédité de ces images dont leur auteur veut qu’elles soient des « photographies des rêves », sans préciser s’il s’agit des siens ou des nôtres.
    Dans son journal, l’artiste note : « Je veux en ce moment aller à la recherche de la lumière comme extrême et premier sujet de la photographie, de la couleur comme couleur et de la fiction comme fiction… ».
    La fiction est rendue possible par cette recherche d’une lumière qui transfigure ce qu’elle révèle et par l’élection de cette couleur bleu  violacé, couleur du rêve et du regret confondus, qui permet, simultanément, que le rideau devienne de pluie  et que l’île de rêve reste incluse dans sa frange de l’objet casanier.
    « Identités en transit », donc, comme note  la photographe. Mais transit purement  visuel,  métamorphose essentiellement photographique, rêve qui n’est possible que les yeux ouverts. Les mots sont peut-être utiles pour en parler. Ils ne servent à rien pour y entrer.
    Corinne Mercadier le dit clairement :
    « Du monde immense
    des histoires rêvées
    flottent encore
    paroles muettes
    images floues
    Le mot qui les décrirait
    S’éloigne
    L’image qui les retiendrait
    Est tout près ».

    Le temps du silence est venu pour que se découvre et s’éprouve la poésie muette du Glasstype.
    Suite
    Thème : Photographie
  • Jean Baptiste Para, Vues de l'insaisissable

    Il y a 13 ans

    / Publications / Textes d'auteur

    Jean Baptiste Para, Vues de l'insaisissable
    Jean Baptiste Para, Vues de l'insaisissable

    A l'occasion de l'exposition « Portrais du temps », espace 1789, Saint-Ouen, 2000.

    Les objets, les choses de ce monde qui apparaissent dans les photographies de Corinne Mercadier semblent là par inadvertance. Ou plutôt, ils n’en constituent pas le sujet exclusif. Ils n’imposent pas leur présence à grand bruit, ils n’engloutissent pas notre regard. Ce qui vit en eux, ce qu’ils manifestent, c’est peut-être la part d‘ amour silencieuse et oubliée qui réside en chaque chose. Ces objets ne surgissent pas dans l’éclat d‘ une heure fugitive, ils ne rutilent pas dans sa vive fraîcheur. Ils ne se tiennent pas à la surface chatoyante de l’instant, mais dans sa profondeur insoupçonnée, là où toute vie rejoint la lenteur des âges, l’air de l’enfance et l’enfance de l’air, la mémoire ombreuse. On ne saurait dire d’emblée si les photographies de Corinne Mercadier exposent une présence ou une absence. Elles montrent ce dont nous sommes à la fois très proches et infiniment séparés. Les eaux sombres d’un lac, la couleur d’un ciel, un pan de mur, une bombonne de verre abandonnée sur une plage deviennent soudain plus chers à nos cœurs qu’un trésor possédé. Les ombres gagnent en densité, la lumière se fait plus intense, le grain du temps se diffuse dans la couleur, les détails se raréfient, la nudité s’accentue autour de l’âme des choses. Souvent, les objets semblent soumis à une force d’attraction qui les retient aux lisières du cadre, comme pour laisser place à un vide central et surexposé. « L’amour est une exception du vide . Mais le vide se concentre autour de l’amour », écrivait Roberto Juarroz. C’est peut-être cela que tente de saisir Corinne Mercadier : non pas les choses mais l’espace entre les choses, cette béance où elles se tiennent et où elles découvrent comme l’écho d’une déchirure intérieure, ce vide consubstantiel qui menace de les engloutir mais qui peut aussi les porter comme il soutient le vol des oiseaux. Ce vide est encore le ciel, quand le ciel est l’autre nom d’une tension vers l’absolu qui fait croître les humains vers leur propre humanité. Il est pareil à cette soif ressentie en rêve et que rien ne peut étancher mais dont l’homme paradoxalement s’abreuvera hors du rêve. Car ce vide est comme le jeûne du visible, si le jeûne est cette expérience où notre soif et notre faim, s’abstenant d’ être comblées, deviennent à leur tour nourriture. C’est ainsi que le vide chez Corinne Mercadier n’est pas l’abysse du néant mais l’irreprésentable énergie du désir qui emplit l’espace comme une musique, sans image et sans trace. Parmi ses œuvres récentes, Corinne Mercadier a réalisé des Glasstypes. Il s’agit de photographies de peintures sur verre. Sous un aspect spectral, immatériel, surgissent des objets mystérieux. D’aucuns ressemblent à de nocturnes apparitions d’étoffes ou de vêtements emportés dans les airs. D’autres sont d’indéfinissables cristallisations géométriques. Nous n’avons plus affaire à des images, à des reproductions. Ce ne sont pas des choses que l’on puisse nommer, mais des imminences. Sans référent dans le monde extérieur, le halo des énigmes les entoure. « les choses naissent de l’indéterminé » disait Anaximandre. Les Glasstypes donnent figure à l’indéterminé, là où l’être des choses prend sa source. Ce sont de strictes manifestations lumineuses, une manière de donner présence corporelle à la lumière qui rend visible et qui est elle-même invisible. Dans Dreaming Journal, son carnet de travail, Corinne Mercadier a inscrit cette notation : « Les Glasstypes sont aussi la représentation du désir à l’état pur. Le désir-gemme. »  Dans la nuit montante, ce désir est un surcroît de jour. Il est cette présence étrange qui n’a pas de représentation possible. Et c’est bien cela que photographie Corinne Mercadier. Elle prend des vues de ce qui n’a pas d’image et que le langage ne peut nommer. Ce qui nous habite et qui échappe au langage, ce qu’il ne peut résorber ; ce dont il reste dépossédé, cela nous est souffrance. Nous l’appelons vide, béance, désir. Cela nous est à la fois blessure et beauté. Si les photographies de Corinne Mercadier nous importent, si elles ont sur nous un durable pouvoir de commotion, c’est qu’elles ne montrent peut-être rien d’autre : seulement l’insaisissable en nous qui se donne dans son don le plus fort.
    Suite
    Thème : Photographie
  • Jean Baptiste Para, Le temps et le lieu

    Il y a 13 ans

    / Publications / Textes d'auteur

    Jean Baptiste Para, Le temps et le lieu
    Jean Baptiste Para, Le temps et le lieu

    Avril 1994

    Que voit-on dans les photographies de Corinne Mercadier ? Le  ciel et l’eau, le trait de l’horizon, de frêles appontements aux planches disjointes, une ou deux barques tirées sur la grève, presque rien. Les objets n’étaient pas plus nombreux dans les toiles de Morandi. Des vases, des cruches, des bouteilles. Une égale persévérance dans le laconisme. Un art du peu où le terne et le  quelconque  deviennent le réel le plus radieux. Une figure de l’esseulement qui se métamorphose en extase de la solitude. Contre tout ce qui oblitère notre vision, Corinne Mercadier ouvre la voie du vide. Et ce vide étrangement attise une présence au monde. Il est la charpente et le gréement du regard. Peu à peu s’insinue en nous cet état d ‘abandon qui imprègne le paysage. Peu à peu se retranche tout ce qui n’est pas la lumière. Les rares objets que nous voyons vivent dans la vacance de leur usage.  Il y a en eux quelque chose d’infiniment disponible qui communique son accalmie et sa paix jusqu’aux abords du cœur. Les sites photographiés sont toujours les mêmes, jamais nommés. Ils sont inassignables, comme en marge de tout lieu, mais non pas nulle part. Il semblerait plutôt qu’ils étaient déjà  présents  en  nous   avant d’être aperçus de nous. « Chaque âme est et devient ce qu’elle contemple », affirmait Plotin.  Corinne Mercadier nous donne à contempler le peu. La merveille est que ce soit à lui seul une échelle d’intensités. Il  contient   l’inépuisable. Ces eaux dormantes ou sculptées par d’immobiles remous sont-elles celles d’un lac, d’un étang, d’une mer ? On songe à peine à se le demander. Quand la barque sur le sable ressemble à un os de seiche, elle signale une réduction à l’essentiel, un passage à l’extrême de la simplicité. S’éveille alors  la tentation d’inscrire cet art de la photographie à l’enseigne de l’haïku visuel. Comme les trois vers du poème japonais classique, chaque image évoque ici l’événement le plus ténu et le sertit dans la blancheur d’un silence.  Elle est un fragment isolé où l’univers se déchiffre et se recompose au fil de la contemplation. Voici un autre trait sensible de ces photographies : elles portent en elles l’amont de leur art, approchant parfois le grain et les bistres des plus anciens clichés ou des primitifs daguerréotypes. Quant à l’emploi de la couleur, on le devine soumis à une patiente décantation : les tons se patinent, s’enfauvent, se fanent, puis soudain se vivifient dans la stridence écarlate de trois fanions hérissés sur un esquif, parmi les filets de pêche et les flotteurs. Tout est affaire de lumière et l’on perçoit un accent pictural dans la clarté qui nous parvient, comme si la lumière se matérialisait en dématérialisant les choses. Peut-être serait-il plus juste de dire que Corinne Mercadier rend perceptible une part latente de la matière ? l’objet le plus humble, le spectacle le plus ordinaire, celui qu’avait effacé l’accoutumance, voici que nous le percevons d’un regard ému et neuf. Tout le visible se retrempe alors dans un air de légende, comme si se révélaient à nos yeux les villes d’Ys et de Kitège enfouies au fond des eaux. Dans la légère pulvérulence ou le flou qui marquent certaines photos, on devine pourtant un voile de mélancolie. Est-ce le regret de l’inaccessible ? Est-ce le tourment de ne pouvoir accorder une vie à cette lumière qui s’inaugure sans cesse et semble vouloir nous conduire au revers du temps, « là où il tremble et s ‘étale et renonce à filer»? Au plus profond de son être, l’homme croit alors traverser l’échancrure des jours, et dans une lueur indécise où l’aube ne se distingue plus du crépuscule, son œil étrenne à nouveau le monde.
    Suite
    Thème : Photographie